
Propranolol, metformine, ivermectine: non, cette liste ne révèle pas des "traitements alternatifs du cancer"
- Publié le 3 octobre 2025 à 16:22
- Lecture : 11 min
- Par : Chloé RABS, AFP France
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"Incroyable: des médecins défient Big Pharma et révèlent 18 traitements alternatifs du cancer qui fonctionnent", affirment des publications partagées sur X ou Facebook (1, 2, 3).
Parmi ces prétendus remèdes miracles, on retrouve des procédés régulièrement plébiscités sur les réseaux sociaux à tort comme le régime sans sucre ou l'ivermectine, mais également d'autres moins courants comme le propranolol ou la metformine.
Les posts relaient pêle-mêle que "le stress chronique alimente le cancer", que le propranolol "supprime les hormones qui favorisent la propagation des tumeurs", ou que la metformine - via son action sur l'insuline - coupe "le carburant du cancer".


Ces publications cherchent à diaboliser la chimiothérapie et la radiothérapie - des traitements lourds, avec des effets secondaires importants, mais efficaces - pour mettre en avant des remèdes miracles qui ne reposent la plupart du temps sur aucun fondement scientifique.
Comme souvent, le texte ne précise d'ailleurs pas quel type de cancer devrait être concerné par ces fausses astuces. Pour rappel, il n'existe pas de traitement unique pour tous les types de cancer. Les options thérapeutiques dépendent en réalité de la localisation et du type de tumeur, du stade de la maladie et d'autres facteurs, comme l'expliquent les experts de l'Organisation mondiale de la santé (lien archivé ici).
"Il est important de rappeler que seuls les traitements conventionnels (comme la chirurgie, la radiothérapie ou les traitements médicaux spécifiques du cancer (TMSC), dont les chimiothérapies, les immunothérapies et les thérapies ciblées) ont fait la preuve de leur efficacité, après des études scientifiques très poussées, reconnues internationalement", souligne le Pr Claude Linassier, directeur du pôle prévention, parcours et organisation des soins, à l'Institut national du cancer (INCa), contacté le 1 octobre 2025 par l'AFP.
Toute autre allégation qui met en avant un traitement dit alternatif est "non étayée, voire dangereuse", insiste l'oncologue. "Elle peut semer le trouble dans l’esprit des personnes atteintes d’un cancer et leurs proches. Leur désarroi face à la maladie peut les inciter à délaisser les traitements reconnus à la faveur de pseudo thérapeutiques pouvant mettre en danger leur pronostic et leur vie", alerte-t-il.
Pas de preuves du régime cétogène
Théorie très souvent relayée sur les réseaux sociaux : le cancer se nourrirait du sucre et adopter un régime cétogène - consistant à limiter les glucides et le sucre - permettrait d'affamer "les tumeurs en coupant l'apport en glucose", affirme la publication que nous examinons.
Mais cette fausse croyance a déjà été démentie plusieurs fois par l'AFP. "Les cellules du corps humain brûlent des sucres pour se développer et se multiplier, mais le fait de manger des aliments sucrés ne fait pas croître les cellules cancéreuses plus rapidement", explique ainsi la Société canadienne du cancer.
Si la réduction du sucre peut vous protéger contre des maladies telles que l'obésité et le diabète, rien ne prouve également qu'un régime sans sucre puisse guérir le cancer. "Il n’existe à ce jour aucune preuve qu’un régime pauvre en sucre lorsqu’on est atteint de cancer ait une action anti-tumorale", expliquait dans cet article l'oncologue Fabrice André.
Ainsi, "les spécialistes déconseillent formellement le régime cétogène qui pourrait théoriquement aggraver, via une exacerbation de l’inflammation, une diffusion des métastases", alerte - au contraire - le Service Public d'Information en Santé (SPIS) sur son site.
L'organisme cite par ailleurs une analyse croisée, publiée en 2018, de 11 études cliniques menées sur l’action du régime cétogène dans le cancer et dans le Journal of Human Nutrition and Dietetics : "elle conclue à l’absence de preuves convaincantes", explique le SPIS.
Le régime cétogène peut en outre provoquer des "effets indésirables gênants et des déséquilibres alimentaires importants" et, parce qu'il n'est pas tenable sur la durée, il expose aussi "à une prise de poids plus importante lors du retour à une alimentation normale" et de carences en "sels minéraux, vitamines, oligo-éléments et fibres", met en garde l'organisme.
Les régimes alimentaires de privation peuvent en outre être dangereux, soulignent les oncologues interrogés par l'AFP en avril 2024, rappelant que la dénutrition touche près de la moitié des patients cancéreux, et est la cause directe du décès de 5 à 25% d'entre eux.
Les bienfaits de l'activité physique
Selon la publication, "le mouvement régulier réduit l’inflammation, renforce l’immunité et aide le corps à cibler les cellules cancéreuses".
Mais attention, même si une activité physique est indispensable pour maintenir un bon état de santé, elle "n'aide pas le corps à cibler les cellules cancéreuses" à proprement parler, affirme le Pr Linassier.
Il a été "scientifiquement démontré que la pratique régulière était associée à la réduction de 3 localisations de cancer : sein, côlon et endomètre", précise l'oncologue
L'activité physique est ainsi reconnue "comme un élément de prévention du risque du cancer quand elle est pratiquée régulièrement", ajoute Jérôme Hinfray, responsable de l’information scientifique de la Ligue contre le cancer (lien archivé ici), contacté par l'AFP le 2 octobre 2025.
Pendant le traitement, l'activité physique - lorsqu'elle est possible en fonction des pathologies - va permettre de réduire "la fatigue, les épisodes dépressifs", de diminuer "le risque de sarcopénie (diminution de la masse musculaire) qui peut augmenter la toxicité des chimiothérapies", et d'améliorer la tolérance des traitements "en diminuant leurs éventuels effets secondaires", comme le développe la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer.
"L'activité physique va participer à l'efficacité des traitements et éloigner le risque de rechute. En revanche, elle, seule, ne représente pas un traitement", conclut M. Hinfray.
Pas de lien prouvé stress/cancer
La publication affirme également que "le stress chronique alimente le cancer".
En réalité, la recherche "n’a pas démontré l’existence formelle d’un lien de cause à effet entre le stress et le cancer", comme l'explique la Société canadienne du cancer.
"Aujourd’hui, il n’existe aucune étude ayant démontré que le stress provoque le cancer. Les études disponibles sont contradictoires et ne permettent pas de l’affirmer", ajoute de son côté le Pr Linassier.
Le stress peut en effet engendrer des comportements à risques -comme la consommation de tabac, une consommation excessive d'alcool ou une alimentation déséquilibrée- "qui peuvent induire une augmentation du risque ou encore aggraver le pronostic des personnes qui suivent un traitement", explique l'oncologue.
Ainsi, même s'il existe "une suspicion de contribution du stress à la progression de la maladie", "il n'y a aucun lien établi et direct entre le stress et le déclenchement d'un cancer", ajoute M. Hinfray.
Pas de bénéfices de la vitamine D
D'après la publication, "un faible taux de D3 est corrélé à un risque accru de cancer" et une supplémentation permettrait ainsi de ralentir "la prolifération tumorale". Mais l'efficacité de la vitamine D pour prévenir un cancer "n'est pas du tout avérée", expliquait dans cet article de l'AFP Mélanie Deschasaux, chercheuse en épidémiologie nutritionnelle (lien archivé ici).
"Dans le contexte de la prévention du cancer ou des maladies cardiovasculaires, au moins trois grandes études contrôlées portant sur des dizaines de milliers de personnes âgées de plus de 60 ans, supplémentées en vitamine D pendant 5 ans, n’ont montré aucun effet bénéfique de cette supplémentation", détaille le Service Public d'Information en Santé.
L'essai VITAL a suivi plus de 25.000 personnes âgées de plus de 50 ans (hommes) ou 55 ans (femmes) aux Etats-Unis, pendant une durée médiane de 5,3 ans, avec administration de 2.000 UI de vitamine D par jour (lien archivé ici). Mais ses résultats, publiés en 2018, ont montré que la supplémentation en vitamine D "n'a pas entraîné une incidence plus faible de cancers ou de maladies cardiovasculaires par rapport au placebo", écrivent les auteurs.
En 2022, les résultats d'une étude menée en Australie sur 21.000 personnes de plus de 60 ans dont la moitié ont reçu 60.000 UI de vitamine D par mois pendant 5 ans, ont montré que l'administration de cette vitamine "n'a pas réduit la mortalité toutes causes confondues" (lien archivé ici).
Même conclusion pour cette étude menée en Finlande sur 2.500 personnes âgées de 60 ans et plus (hommes) ou 65 ans et plus (femmes), au cours de laquelle un tiers des participants ont reçu 1.600 UI de vitamine D par jour, un tiers 3.200 UI par jour et un tiers un placebo, pendant 5 ans (lien archivé ici). "De nouveau, aucune différence n’a été observée entre ces groupes, que ce soit en nombre de cancers ou de cas de maladies cardiovasculaires", explique le SPIS.
Des résultats contrastés pour le propranolol
Dans la publication que nous vérifions, il est aussi écrit que le propranolol "courant supprime les hormones qui favorisent la propagation des tumeurs". "Des études montrent qu’il ralentit la progression et améliore la survie", peut-on y lire.
Ce médicament est un bêtabloquant, utilisé notamment dans le traitement de l'hypertension artérielle, qui agit en bloquant l'action de l'adrénaline et d'autres hormones apparentés, selon le site de référence sur les médicaments Vidal.
Cependant, "le propranolol n’a pas d’indication retenue pour le traitement des cancers", affirme le Pr Linassier.
"Dans une récente méta-analyse portant sur 31 études, dont 7 essais randomisés (même si certains résultats suggèrent que le propranolol pourrait améliorer l'issue du cancer, notamment lorsqu'il est administré en période périopératoire, en réduisant le risque de récidive), les résultats restent peu concluants pour une utilisation en association avec la chimiothérapie ou la radiothérapie", détaille l'oncologue citant cette étude (lien archivé ici).
De même Jérôme Hinfray explique que même si des petits essais cliniques "ont débouché sur des résultats encourageants", les résultats restent surtout "inconsistants".
"Au regard de la littérature actuelle, on peut dire qu'on a une piste de traitement complémentaire, mais on reste quand même à une étape assez préliminaire. En tout cas, c'est une piste mais ce ne sera jamais une alternative au traitement conventionnel du cancer, au mieux ce pourra être un traitement adjuvants pour certains patients et dans certains cas", précise-t-il.
M. Hinfray rappelle par ailleurs que ces molécules qui ont des effets secondaires et des contre-indications "ne doivent pas être prises en dehors d'un cadre de prescription défini par un médecin". "C'est vraiment prendre des risques avec sa santé", insiste-t-il.
Pas de conclusion sur la mélatonine
Autre affirmation: la mélatonine protégerait "les cellules saines" et permettrait d'améliorer "la chimiothérapie et la radiothérapie".
La mélatonine est une hormone produite par l'organisme pour réguler le cycle quotidien de sommeil et d'éveil.
Aujourd'hui, "aucune étude sur l’homme n’a permis de mettre en évidence un quelconque bénéfice de la prise de mélatonine sur les effets de la chimiothérapie ou encore de la radiothérapie", contredit le Pr Linassier.
L'oncologue cite notamment cet article publié en avril 2021 et intitulé : "Utilisation de la mélatonine en cancérologie : le paradoxe". Celui-ci indique que "les résultats des études pré-cliniques et cliniques menées sur la mélatonine dans le traitement des cancers sont contradictoires et ne permettent pas de conclure".
Une autre analyse publiée par la Cochrane le 30 avril 2025 rapporte que les auteurs n’ont trouvé "aucune étude nous permettant de répondre à nos questions sur la qualité de vie et la qualité du sommeil lorsque la mélatonine est utilisée avec les traitements standards du cancer comparés au traitement standard seul".
Pas de succès pour la metformine
La metformine est un traitement utilisé contre le diabète de type 2 qui permet "de diminuer l'excès de sucre dans le sang sans pour autant favoriser la sécrétion d'insuline", selon le site Vidal.
Selon la publication, elle "réduit l’insuline et le glucose — coupant ainsi le carburant du cancer. Les preuves montrent un ralentissement de la croissance dans les cancers du sein et de la prostate".
Tout d'abord, "il est faux de penser qu'on peut affamer le cancer en évitant le glucose", rappelle M. Hinfray.
Le repositionnement de la metformine dans le traitement du cancer est très largement étudié depuis les années 2010. De nombreuses études sur des cellules de laboratoire, des animaux, et des humains ont étudié l'utilité de la metformine pour le traitement d'une série de types de cancer. Cependant, celles-ci n'ont pas montré de réel succès.
"Certaines études in vitro suggèrent une action anti-cancéreuse de cette molécule. Cependant, il n’existe pas de démonstration clinique montrant que son utilisation pourrait être bénéfique pour le traitement des cancers", explique ainsi le Pr Linassier.
M. Hinfray cite notamment un essai clinique dont les résultats ont été publiés en 2022 et qui a été mené au Canada, en Suisse, aux États-Unis et au Royaume-Uni, sur plus de 3.500 patientes atteintes d'un cancer du sein non métastatique à haut risque et recevant un traitement standard entre août 2010 et mars 2013.
"On leur a donné de la metformine en plus, donc là encore de façon adjuvante, pour voir si finalement on avait une amélioration liée à l'association de la metformine à leur traitement conventionnel. Et finalement le résultat c'est non, il n'y a eu aucune amélioration de la survie associée à l'utilisation de la metformine", détaille l'expert.
Données peu convaincantes pour la curcumine
Selon la publication, la curcumine serait "capable de déclencher la mort des cellules cancéreuses".
Si la curcumine -un composé naturel présent dans l'épice curcuma- a montré, sur des cultures de cellules, "une capacité à bloquer la multiplication de plusieurs types de cellules cancéreuses", "aucune étude clinique sérieuse n’a été menée chez l’homme dans cette maladie", explique le Service public d'information en santé (SPIS), déjà cité dans cet article de l'AFP.
Deux études indépendantes - une analyse critique des essais cliniques sur les effets de la curcumine sur les maladies malignes (2024) et un examen systématique de la recherche sur la contribution de la curcumine au traitement du cancer (2023) - concluent que les données cliniques disponibles ne sont pas suffisamment convaincantes pour soutenir l'utilisation thérapeutique de la curcumine dans le traitement du cancer.
L'ivermectine, une simple piste de recherche
La publication affirme que des études ont révélé la capacité de l'ivermectine à "affaiblir les voies de survie des cellules cancéreuses et à renforcer d’autres traitements".
Mais comme déjà expliqué dans différents articles comme ici ou ici, l'efficacité de l'ivermectine dans le traitement du cancer n'est qu'une piste de recherche et les propriétés anticancéreuses potentielles du médicament n'ont jamais été démontrées à ce jour dans des essais cliniques.
"Affirmer que l’ivermectine est efficace pour guérir les cancers est certes mensonger ou fantaisiste et ne s’appuie sur aucune donnée scientifique. C’est surtout dangereux, car ces fausses informations propagées en toute inconscience, recommandent des posologies inhabituelles et donc potentiellement toxiques", a expliqué à l'AFP en mars 2025 le Pr Claude Linassier, oncologue et directeur du pôle prévention, organisation et parcours de soins à l'Institut national du cancer (lien archivé ici).
Les antiparasitaires
La publication affirme que le mébendazole, le fenbendazole et l'albendazole "perturbent la division des cellules cancéreuses, poussant les tumeurs à s’effondrer".
Concernant le fenbendazole, des études solides ont examiné ce médicament (1, 2) mais n’ont pas trouvé suffisamment de preuves pour confirmer qu’il pouvait guérir le cancer chez l’homme (liens archivés: 1, 2).
Affirmer que le fenbendazole peut guérir le cancer "n'est tout simplement pas scientifique, car il n'existe aucune donnée pour étayer cette affirmation", a déclaré à l'AFP en 2023 la directrice du Centre de découverte en recherche sur le cancer de l'Université McMaster, Sheila Singh (lien archivé ici).
"Dans tout ce qui est décrit, il n'y a absolument rien qui puisse se substituer aux traitements conventionnels, on n'est pas du tout dans des thérapies alternatives, équivalentes", conclut Jérôme Hinfray.
"Cette désinformation peut donner l'illusion aux patients qu'ils peuvent traiter leur maladie avec quelque chose d'alternatif, dont l'efficacité serait comparable ou supérieure au traitement conventionnel, ce qui n'est pas du tout le cas. Le risque est qu'ils se privent de traitements dont l'efficacité a été démontrée et les conséquences peuvent vraiment être catastrophiques", regrette-t-il.
L'AFP vérifie régulièrement des fausses informations qui circulent dans le traitement du cancer comme ici ou ici.