
Non, ces images ne montrent pas des affrontements en 2025 liés à l'envoi de la Garde nationale à Portland
- Publié le 2 octobre 2025 à 17:14
- Lecture : 6 min
- Par : Pierre MOUTOT, AFP France
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Plusieurs manifestations ont eu lieu aux Etats-Unis ces derniers mois contre les arrestations à grande échelle de personnes en situation irrégulière par les agents de la police d'immigration, l'ICE , dont certaines à Portland, une des villes tenues par l'opposition démocrate dans le collimateur des républicains (lien archivé ici). Pour justifier la mobilisation de la Garde nationale, une unité de réserve de l'armée américaine, le président américain a décrit une ville "ravagée par la guerre" et des installations de l'ICE "assiégées par des Antifas et d'autres terroristes intérieurs".
Dans ce contexte, la mobilisation annoncée d'un peu moins de 200 membres de la Garde nationale de l'Oregon s'est accompagnée de rumeurs et de désinformation en ligne, des soutiens du président reprenant son narratif d'une guerre civile en cours pour affirmer, images à l'appui, que de violents affrontements avaient eu lieu en marge de manifestations, auxquels auraient été confrontés les militaires.
"Alerte! Guerre civile à Portland ! Les forces fédérales combattent les terroristes Antifa et Black Lives Matter financés par les démocrates!", écrit une internaute qui anime le compte X France from Trump, en légende d'une vidéo partagée des centaines de fois sur le réseau social.
Sur les images marquées du logo de la chaîne de télévision russe Russia Today, on aperçoit des agents lourdement armés plaquer au sol un manifestant, de nuit, dans une épaisse fumée de gaz lacrymogène (lien archivé ici). La même séquence est reprise des centaines de fois sur X, en français (1, 2, 3, 4) et en anglais (1, 2, 3), souvent accompagnée de commentaires enthousiastes saluant l'intervention de l'armée.

Mais ces images ont été sorties de leur contexte : elles datent en réalité de 2020 et non de 2025. Si des manifestations sporadiques ont bien eu lieu fin septembre et début octobre entre la police de Portland et des groupes de militants opposés à la politique migratoire de l'administration Trump, conduisant à un petit nombre d'arrestations, elles ne sont en rien comparables aux épisodes du mouvement Black Lives Matter (BLM) dont sont tirées les vidéos en question. De plus, la Garde nationale, qui a mobilisé près de 200 soldats, n'est pas encore présente dans la ville.
Des images d'affrontements datant de juillet 2020
Une recherche d'image inversée effectuée à partir de la vidéo permet d'en retrouver la source : elle a été publiée le 26 juillet 2020 par l'activiste conservateur Andy Ngo, qui suivait alors les manifestations du mouvement BLM à Portland (lien archivé ici). "Des agents fédéraux immobilisent et arrêtent un homme à l'émeute de Portland. La foule est en colère. #Antifa", peut-on lire en légende.

Contrairement à ce qu'affirment les publications, et à ce que Donald Trump a lui-même écrit sur son réseau Truth Social, la Garde nationale n'était d'ailleurs pas encore déployée à Portland au moment de la publication des vidéos, et la date de son déploiement restait floue au moment de la publication de cet article.
La situation en 2020 à Portland était très différente de la configuration de 2025 : la mort de Georges Floyd, un homme noir tué par un policier blanc le 25 mai 2020 à Minneapolis, avait entraîné dans les mois suivants une vague de manifestations qui ont régulièrement débouché sur des émeutes et des affrontements entre manifestants, policiers, et groupes d'activistes d'extrême gauche ou d'extrême droite (lien archivé ici).
Les manifestations avaient fait plusieurs morts et conduit à l'arrestation de milliers de manifestants sur une période d'environ six mois. A Portland, une mobilisation quotidienne avait réuni un millier de personnes chaque jour dans les semaines qui avaient suivi la mort de Georges Floyd, et jusqu'à plusieurs centaines jusqu'au mois d'octobre, donnant lieu à des violences et des émeutes (lien archivé ici).
En comparaison, les rassemblements de 2025 dans la capitale de l'Oregon sont de bien moindre ampleur : depuis le mois de juin, un petit groupe de manifestants se rassemble régulièrement devant un centre de détention de l'ICE, d'après la presse locale (lien archivé ici). Mais si des incidents impliquant la police de Portland et des manifestants ont été rapportés ces précédentes semaines, menant à quelques arrestations, la situation n'a rien de commun avec le niveau de violence constaté lors des événements de 2020 (lien archivé ici).
Les manifestations et leur répression, qui avaient amplifié la polarisation déjà très importante de l'opinion publique américaine, avaient provoqué la mort de plusieurs personnes et près de 14.000 arrestations, selon un décompte du Washington Post (lien archivé ici).
La séquence avait également donné lieu à de nombreuses fausses rumeurs sur les réseaux sociaux, vérifiées par l'AFP. Les articles sont à retrouver ici.
Des mobilisations ponctuelles et de petite ampleur

Le département de la police de Portland publie régulièrement des bulletins recensant les interventions et arrestations effectuées aux abords du centre de détention sur son site ainsi que sur son compte X. Le 30 septembre, le chef de la police Bob Day a abordé le sujet des manifestations lors d'une conférence de presse, insistant sur le fait que la situation concerne "un seul bloc [l'équivalent d'un pâté de maison, NDLR] de la ville" et estimant que "les faits qui se produisent là-bas n'ont rien de comparable avec le niveau d'attention qu'ils reçoivent" (liens archivé ici et ici).
"Nous voyons circuler en ligne ces clips de 20, 30 secondes qui datent d'il y a des mois ou des années", a t-il ajouté, estimant que "cela alimente un narratif national qui n'est pas conforme à la réalité".

En évoquant le 5 septembre l'idée d'envoyer l'armée à Portland, Donald Trump lui-même a d'ailleurs semblé faire référence aux clips vidéos : "Je ne pensais pas que ça continuait comme ça à Portland, mais quand j'ai regardé la télévision hier soir, je me suis rendu compte que ça dure depuis des années, la destruction de la ville", a t-il déclaré.
Le président n'a pas donné le nom de l'émission où il aurait vu ces images de violences, mais d'après le quotidien britannique The Guardian, un journal télévisé de la chaîne Fox News avait diffusé la veille un montage incluant des vidéos des manifestations BLM de 2020.
L'arrivée annoncée de la Garde nationale a toutefois mené à une mobilisation accrue de manifestants, passés de quelques dizaines à une centaine lors de manifestations début octobre (lien archivé ici). Moins d'une dizaine d'arrestations ont toutefois été rapportées par la police de la ville.
Une opération contestée par les autorités de la ville et de l'État
Les autorités de la ville de Portland et de l'Etat de l'Oregon, elles, affichent un front uni contre la mesure ordonnée par le président : le procureur général de l'Etat Dan Rayfield a ainsi annoncé porter plainte contre l'administration Trump, au motif que l'envoi de troupes serait illégal et "motivé par son désir de normaliser le recours à l'armée pour des activités ordinaires de maintien de l'ordre intérieur".
Le ministère de la Justice a en effet engagé ces derniers mois des procédures contre les Etats de l'Illinois, de New York et du Colorado, ainsi que les villes de Los Angeles ou de Chicago.
Après avoir ordonné l'envoi de troupes de la Garde nationale à Los Angeles, Washington, Memphis et Portland, Donald Trump a ainsi récemment annoncé son intention de déployer des troupes à Chicago, troisième ville du pays, qui a en commun avec les précédentes d'être dirigée par des démocrates (liens archivés ici et ici).