Non, la France n'a pas cédé "en secret" à la Chine des droits sur un minerai dans les Vosges

La souveraineté énergétique est un thème récurrent du débat politique français et de la géopolitique international. Dans un contexte mondial tendu, des utilisateurs des réseaux sociaux dénoncent en août 2025 un supposé accord "secret" qui aurait permis une vente par la France à la Chine d'un permis d'exploration d'un gisement de minerai, le thorium, "dans les Vosges". Mais c'est faux : aucun accord de ce type n'a été scellé et la France ne dispose d'aucun gisement de thorium économiquement viable, ont indiqué à l'AFP le ministère de l'Economie et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Les articles cités par les internautes émanent au demeurant de faux sites d'actualité, relais fréquents d'allégations trompeuses ou fausses.

A l'image d'un antimacronisme prégnant sur les réseaux sociaux, une utilisatrice prétend sur X le 1er août 2025 rapporter "ENCORE UNE HISTOIRE GLAÇANTE DE LA PART D'EMMANUEL MACRON", qui selon elle "VEND LA FRANCE [...] : une entreprise chinoise obtient secrètement les droits sur un gisement de thorium vosgien jamais dévoilé au public dans le plus grand secret", assure-t-elle dans son post partagé plus de 3.000 fois.

D'autres relaient les jours suivants cette soi-disant information sur X, notamment un compte diffusant régulièrement des posts pro-russes, un autre partageant des points de vue pro-extrême droite, ou bien celui d'un média considéré comme complotiste par l'observatoire du complotisme Conspiracy Watch (archive). Ils dénoncent "le silence des médias", l'"opacité totale" de l'opération, et évoquent la "stupeur" de l'apprendre.

L'allégation est aussi virale sur Facebook, avec une multitude de petites publications. "Et que font nos députés ?", s'interroge une utilisatrice.

Un très grand nombre cite comme soi-disant source un média, "Le Journal Economique". On retrouve bien un "article" sur son site, daté du 26 juillet 2025. Mais nous verrons qu'il s'agit en réalité d'un faux article ne citant aucune source fiable.

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Capture d'écran, réalisée le 5 août 2025, d'une publication sur X
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Capture d'écran, réalisée le 5 août 2025, de l'article du site "Le quotidien économique" cité par les publications virales

Sur internet, les allégations ont aussi été relayées par un autre article, daté du 4 août 2025, cette fois sur le site du "Courrier des Stratèges" - considéré comme complotiste par Conspiracy Watch -, qui se demande si la France "brade son avenir énergétique à Pékin" (archive).

Mais si le thorium est un authentique minerai, l'idée d'une vente secrète d'un permis d'exploration à la Chine est fausse.

"Plusieurs sites peu fiables versent dans le sensationnel et relaient depuis quelques mois de fausses informations concernant les réserves de lithium, scandium, thorium...", a mis en garde le ministère de l'Economie auprès de l'AFP le 11 août 2025, en soulignant qu'"il n'y a pas de titre attribué ou de demande de titre minier portant sur des gîtes [gisements, NDLR] de thorium en France".

Dans le cadastre minier, qui recense les titres alloués sur le territoire national et régis par le Code minier, on ne retrouve d'ailleurs aucun permis d'exploration ou d'exploitation d'un quelconque gisement de thorium dans les Vosges ou ailleurs (archive). "Le cadastre minier numérique ne recense pas de titre de mines de thorium", a confirmé Bercy. Il "ne distingue aucun permis en cours de quelque nature que ce soit" pour le thorium, a abondé le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) auprès de l'AFP le 11 août 2025.

Faible présence sans intérêt économique

Le thorium est un métal naturellement radioactif et relativement présent dans la croûte terrestre. Il est extrait de la monazite et de terres rares. Les réserves mondiales de thorium sont estimées à 6,37 millions de tonnes par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), dont 846.000 tonnes en Inde, 632.000 tonnes au Brésil, 595.000 tonnes aux Etats-Unis, et... 1.000 tonnes en France (archive).

"La formation des gisements de thorium est associée à un contexte géologique qui n'est pas celui de l'Hexagone", souligne le ministère de l'Economie. Il précise que "de faibles indices de thorium peuvent cependant être associés à des gisements d'uranium connus (Bretagne, Limousin, Vosges) sans pour autant présenter à ce jour un intérêt économique". Ainsi, l'édition 2023 de "l'Atlas des ressources minérales relatives au sous-sol français produit par le BRGM pour préparer la Politique nationale des ressources et des usages du sous-sol remise au Parlement au 2e trimestre 2025 ne mentionne pas le thorium" — cette politique vise à formuler la stratégie de l'Etat en matière de gestion des ressources du sous-sol national et de leur usage ainsi que de ses approvisionnements en matières premières (archives 12).

"Il existe des occurrences en Bretagne mais ces dernières ne peuvent nullement être qualifiées de gisement, faute d'études existantes visant à en évaluer le potentiel économique", a confirmé le BRGM.

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Le logo du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) le 3 février 2020 (AFP / GUILLAUME SOUVANT)

Le thorium trouve des usages dans diverses industries, aéronautique, électronique ou bien encore chimique (archive). Associé à l'uranium, il est étudié depuis plusieurs décennies comme combustible nucléaire par plusieurs pays, dont la Chine et l'Inde, dans des réacteurs expérimentaux, car il génère moins de déchets radioactifs que l'uranium. Mais son usage dans ce cadre reste pour l'heure limité par sa faible rentabilité, rappellent l'AIEA et la  World Nuclear Association (archives 1, 2).

Ainsi, début avril 2025, des médias ont rapporté que des scientifiques chinois étaient parvenus à alimenter en combustible thorium un petit réacteur nucléaire expérimental sans avoir eu à l'arrêter - une avancée saluée par la presse spécialisée et de nombreux experts (archives 123).

Dans le cadre de ces usages divers, des installations industrielles abritent en France des stocks de thorium (8.510 tonnes à fin 2023), comme recensé par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) dans son dernier inventaire des matières et déchets radioactifs sur le sol français (archive). Mais là encore, rien à voir avec un soi-disant gisement convoité par Pékin.

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Capture d'écran, réalisée le 6 aôut 2025, d'une carte des matières et déchets radioactifs stockés en France, issue de L'Essentiel 2025 de l'inventaire national réalisée par l'Andra

Faux sites d'actualité

L'allégation d'une cession secrète de ces supposés droits d'exploration n'est pas nouvelle : elle était relayée le 31 mai 2025 par un article sur un site se présentant comme un site d'information, le 4 juin par un autre, et le 19 juin, un cinquième évoquait une histoire similaire... dans le Cantal.

Avant eux, le 10 mai, un site prodiguant des conseils immobiliers et de bricolage annonçait la soi-disant "découverte" d'un gisement de thorium "estimé à 96 milliards d'euros" en Lozère.

Mais tous sont de faux sites d'actualité. Ils mélangent des éléments factuels sur le minerai thorium avec de fausses allégations, en ne citant aucune source fiable ou clairement identifiée. Ils jouent sur le flou en ne précisant ni le nom de la supposée société chinoise ni le lieu exact du soi-disant gisement de thorium : il se situerait "dans les Vosges", sans mentionner sa localisation précise.

De manière générale, les articles qu'ils publient sont titrés de manière sensationnaliste et ne sont pas accompagnés de photos mais d'illustrations générées par intelligence artificielle. Ils regorgent aussi de bandeaux publicitaires.

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Capture d'écran, réalisée le 11 août 2025, d'un faux site d'actualité

L'AFP a déjà vérifié des fausses allégations relayées par de tels sites qui citaient par exemple de fausses sources, et de nombreux médias ont enquêté ces derniers mois sur ce phénomène (archives 12). En mai 2025, le tribunal judiciaire de Paris a ordonné le blocage de l'accès à l'un d'eux, News.DayFr.com, qui était attaqué par une quarantaine de journaux français car il pillait leurs contenus avec l'appui de l'intelligence artificielle (archive). 

Souveraineté énergétique

L'infox virale à propos du thorium surfe sur la course aux ressources minières et en terres rares engagée par les grandes puissances à l'échelle mondiale (archive).

Il n'est pas possible de savoir avec certitude pourquoi elle a émergé précisément au printemps 2025. Sans préjuger d'un lien de causalité, on peut seulement remarquer que les premiers faux articles sont apparus fin mai, après la diffusion début avril des informations des médias chinois sur le réacteur expérimental réalimenté au thorium, et la présentation le 28 avril par le Premier ministre François Bayrou de la feuille de route de la France pour les dix ans à venir (archive).

Ce dernier sujet continue de susciter des débats houleux. Rejetée en première lecture à l'Assemblée nationale, une proposition de loi sur l'avenir énergétique du pays a été approuvée par le Sénat le 8 juillet, avant un retour prévu à l'Assemblée fin septembre. Elle consacre une relance massive du nucléaire et est censée aider l'exécutif à finaliser son décret à venir sur la programmation pluriannuelle énergétique (PPE - archive).

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