
Attention aux publications vantant des "détox" ou hydrothérapies du côlon
- Publié le 01 juillet 2025 à 11:02
- Lecture : 12 min
- Par : Claire-Line NASS, AFP France
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"Le nettoyage du côlon est la détox la plus sous-estimée de votre vie. Votre intestin peut stocker jusqu'à 5 kg de déchets. Et quand il est encombré, il contamine tout : votre foie, votre peau, votre cerveau et votre énergie. Voici comment nettoyer votre côlon (de la bonne façon)", débute une publication sur X partagée 600 fois depuis le 14 juin.
Plusieurs autres posts liés présentent diverses allégations et conseils sur la digestion. Dans certains, l'auteur renvoie en parallèle vers des formations "pour créer un business grâce à l'IA" ou encore pour gagner de l'argent "grâce à des étapes simples".
Le même texte a aussi été diffusé par d'autres comptes sur X, repris sur YouTube avec le texte énoncé en voix-off, et relayé sur Facebook par des internautes basés au Cameroun.

Ces publications sont notamment diffusées par plusieurs comptes sur X qui publient des séries de messages sur des sujets divers, parfois relevant de la désinformation, permettant de générer de l'engagement et renvoyant vers des formations payantes. Comme déjà détaillé par l'AFP dans cet article, gagner de la visibilité sur les réseaux sociaux peut avoir des fins mercantiles, via la redirection vers des sites hébergeant des publicités ou directement vers des produits ou cours payants comme c'est le cas ici.
Se mêlent à ces comptes visant à gagner de l'argent grâce à des produits sans lien direct avec la "détox du côlon" d'autres publications qui circulent depuis des mois voire des années sur les réseaux sociaux, dont TikTok, qui vont jusqu'à promouvoir des cures d'"hydrothérapie du côlon" (1, 2, 3), réalisables à partir d'appareils à livrer chez soi, ou dans des "centres", dont des dizaines sont facilement trouvables à partir d'une simple recherche sur Google.

Parfois liées à des prétendues astuces pour "perdre du poids", ces "détox" s'inscrivent aussi en parallèle d'une tendance sur les réseaux sociaux, déjà décrite par l'AFP, contribuant au développement de troubles des conduites alimentaires (TCA) notamment chez des jeunes déjà fragilisés.
"Aucun bénéfice clinique sur le long terme"
Une partie des publications énonce une liste de conseils censées aider à "détoxifier" son côlon. Mais certains de ces points ne sont pas pertinents, et ils s'appuient sur un vocabulaire peu précis qui, s'il se fait passer pour médical, n'a rien de scientifique, relèvent deux gastro-entérologues auprès de l'AFP.
"Le principe de 'détoxifier' le côlon est vieux comme le monde, ça date du Moyen-Age où notamment les femmes, pour serrer les corsets, avaient tendance à faire des lavements : ça a un impact direct, ça peut vider le côlon, mais ça n'a aucun bénéfice clinique sur le long terme", détaille le professeur Christophe Cellier (lien archivé ici), chef de service d'hépato-gastroentérologie et endoscopie digestive à l'hôpital Georges Pompidou à Paris, le 26 juin à l'AFP.
D'abord, les publications assurent que "la plupart des gens" auraient "2 à 5 kilos de déchets toxiques coincés dans le côlon", ce qui justifierait le "besoin" d'un "bon nettoyage du côlon".

Or, s'"il y a bien des déchets dans le colon, il n'y en a pas autant et ils ne sont pas toxiques", explique le professeur Gabriel Perlemuter, chef de service d'hépato-gastroentérologie et nutrition à l'hôpital Antoine-Béclère à Clamart, le 27 juin à l'AFP (lien archivé ici).
"On peut considérer que notre organisme est une usine écolo. Les matières premières, c'est ce qu'on mange, que notre corps transforme, et on élimine ça par les urines, par le foie, par les reins, par les selles. Ce qui est dans le côlon, ce sont des déchets, mais pas toxiques, qui sont là pour être éliminés. Et pour la plupart des personnes, il n'y en a pas tant que ça puisqu'on va régulièrement à la selle", développe-t-il.
"La détoxification se fait naturellement, et il n'y a pas de besoin de se 'détoxifier' en plus", résume le gastro-entérologue.
Ensuite, les publications prétendent que si une personne a "moins de deux selles solides" par jour, "c'est que votre système digestif retient trop de déchets", et qu'une "détox" est donc recommandée.
Or, mettre en avant un tel chiffre n'est pas pertinent, selon Gabriel Perlemuter : "en termes médicaux, on accepte jusqu'à trois selles par jour et deux selles par semaine environ, tout cela est normal" (lien archivé ici).
Il note néanmoins qu'il faut prendre en compte "le vécu et ressenti personnel" qui fait que des personnes peuvent se sentir moins bien si elles ont plus ou moins de selles que d'habitude, ou dont le nombre quotidien de selles pose des contraintes perçues comme peu agréables dans la vie courante.
Des "conseils" peu précis voire trompeurs
Les publications diffusent aussi une série d'affirmations censées lutter contre la constipation ou mener à un "nettoyage" de son système digestif. Parmi elles : "boire 3 à 4 litres d'eau par jour", "ajoutez des fibres", "le matin : buvez 1 litre d'eau tiède + 2 c. à café de sel marin" puis "buvez de l'eau fraîche toutes les 15 minutes", ou encore prendre "des laxatifs naturels"...

Mais ces "conseils" sont pour certains excessifs et pour d'autres peu précis voire trompeurs, selon Gabriel Perlemuter : "on boit quand on a soif, on fait attention à ne pas se déshydrater, mais dire 3 à 4 litres par jour, ou obligatoirement toutes les 15 minutes, c'est inutile".
Ensuite, "manger des fibres, c'est toujours conseillé, vous allez améliorer votre microbiote, mais il faut faire attention si vous mangez trop de fibres et que vous n'avez pas l'habitude, ça va vous ballonner, et il y a des personnes qui doivent justement limiter les fibres" (lien archivé ici).
Selon le gastro-entérologue, certains laxatifs naturels "peuvent très bien fonctionner", mais "il faut faire très attention quand on prend des laxatifs en vente libre à cause du risque d'accoutumance, (...) il y a un risque qu'il faille en prendre de plus en plus et que le côlon s'habitue, et bien que ce soit naturel, il y a une fausse idée en se disant que si c'est une plante, c'est naturel, donc il n'y a pas d'effet indésirable".
"Tout ce qu'on consomme peut avoir, si c'est dans l'excès, des effets indésirables", résume-t-il.
Il ajoute que certaines "méthodes naturelles" peuvent néanmoins aider dans des cas de constipations légères, comme "prendre un grand verre d'eau froide le matin pour stimuler le réflexe gastro-colique : quand on met du froid dans l'estomac, le colon se contracte" ou "consommer une bouteille par jour d'une eau riche en magnésium, qui va stimuler le transit digestif".
Pour Christophe Cellier, il faut aussi prendre en compte la variété de facteurs qui favorisent la constipation "dont l'absence d'activité physique, le fait qu'on ait un régime alimentaire pas riche en fibres, la sédentarité, le fait de ne pas avoir une hydratation suffisante. Donc ce n'est pas forcément des mauvais conseils de manger sain, d'essayer de s'hydrater suffisamment, surtout en période chaude", mais les solutions pour la faire passer ne sont pas forcément toujours identiques à l'inverse de ce que sous-entendent les publications qui mettent en avant un seul remède, "la détox" (lien archivé ici).
L'"hydrothérapie" du colon, "pas un acte médical"
Sur TikTok, des vidéos vantent aussi les bénéfices de l'"hydrothérapie" du côlon, soit sous forme de témoignages d'adeptes de la pratique, soit via des promotions pour des centres voire certains kits pour recevoir des appareils permettant d'en réaliser chez soi. Ils sont notamment relayés par des adeptes de thérapies dites "naturelles" ou du jeûne comme Bernard Clavière (lien archivé ici).
Le principe est d'insérer "délicatement" de l'eau dans son côlon, via le rectum, dans le but avancé de "nettoyer" ou "purifier" son côlon, selon le site d'un centre permettant d'en réaliser.

On peut trouver sur Google des dizaines de centres ou cabinets proposant de réaliser de l'hydrothérapie du côlon rien qu'à Paris, facturant d'une à plusieurs centaines d'euros la séance. Des kits pour en réaliser chez soi sont aussi facilement trouvables sur des sites de vente en ligne comme Amazon, pour quelques dizaines d'euros par appareil pour les plus basiques, et pouvant aller jusqu'à des centaines pour d'autres.
Pourtant, cette pratique n'a "aucun bénéfice pour la santé, aucun changement sur la flore intestinale", précise Christophe Cellier. A l'inverse, selon le spécialiste, "si on met trop de pression, si c'est mal fait ou si on ajoute des produits, ça peut être dangereux : ça peut être toxique ou corrosif pour le côlon, et la sonde, parfois, s'il y a trop de pression, peut entraîner des perforations".
"Donc, ce n'est absolument pas recommandé en médecine classique", résume-t-il. "Les seuls 'lavements', les seuls 'vidages' du côlon qu'on propose, c'est dans des cas très spécifiques, quand on fait une coloscopie par exemple, c'est pour avoir un côlon propre, nettoyé, pour réaliser un examen médical qui permet d'aller voir s'il y a des lésions dans le côlon".
Il estime néanmoins qu'"il y a peut-être un effet placebo avec le fait de se sentir 'vide' sur le moment, mais il n'y a pas de bénéfice clinique sur le long terme, ni sur la flore, ni sur la prévention de maladies, ni sur l'amélioration de la constipation".
"Ce n'est pas une pratique ni médicale ni scientifique, qui n'est pas recommandée par les médecins dont la spécialité est les soins des personnes qui ont des problèmes digestifs", confirme Gabriel Perlemuter.
Le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom) s'inquiétait déjà du développement de cette pratique dans un rapport publié en juin 2023 dédié aux "pratiques de soins non conventionnelles" et à leurs "dérives" (liens archivés ici et ici).
"La technique de l'hydrothérapie du côlon n'est pas un acte médical, elle n'est enseignée dans aucune faculté de médecine et les bienfaits que certains professionnels lui prêtent ne répondent à aucune étude scientifique démontrée", y était-il indiqué.
Le Cnom mettait en garde quant à "des risques mécaniques de perforation, infectieux et de modification d'une écologie de la flore intestinale", ainsi que le fait que ce genre de pratiques pourraient "écarter les patients présentant des pathologies graves des traitements dont l'efficacité peut être démontrée, ce qui peut entrainer une perte de chance ou un risque vital pour ces patients".

L'organisme rappelait aussi que des professionnels de santé présentant cette technique comme efficace, ainsi que les personnels non-médicaux la présentant comme un acte médical, s'exposent à des sanctions définies par la loi française.
Dès 2019, la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) avait alerté sur des "insuffisances dans le respect de la règlementation" liée "aux médecines 'douces' ou alternatives", faisant état de "près d'une dizaine de cas potentiels d'exercice illégal de la médecine (...) concernant principalement des acupuncteurs, mais aussi des auriculothérapeutes et des professionnels exerçant l'hydrothérapie du côlon" pour l'année précédente (lien archivé ici).
Des publications qui instrumentalisent "la détresse"
Les gastro-entérologues interrogés par l'AFP s'inquiètent que ces sujets puissent concerner beaucoup de personnes, et possiblement des personnes "en détresse".
En effet, "la constipation est quelque chose d'extrêmement fréquent et souvent peut commencer dans l'enfance, chez des gens qui ne se sentent pas à l'aise pour aller à la selle, à cause de contraintes extérieures, c'est très banal", rappelle Christophe Cellier. "Mais à la question 'est-ce qu'on peut régler le problème avec le nettoyage du côlon et la détoxification', c'est médicalement non".
Ce genre de publications "reflète une certaine détresse des personnes qui cherchent des traitements que leur médecin ne va pas leur proposer ou qui ne font pas confiance dans la médecine traditionnelle et veulent voir ailleurs sur internet - où il y a malheureusement beaucoup de personnes qui se considèrent comme experts et qui racontent n'importe quoi", estime-t-il.
"Les personnes qui vont là-dedans, souvent, sont dans la détresse, elles ne trouvent pas de solution à des situations qui leur posent problème, mais ce n'est pas parce qu'on ne trouve pas de solution qu'il faut se mettre à faire n'importe quoi, et à croire des charlatans, parce que c'est vraiment ce qu'on appelle du charlatanisme, et avec des pseudo bases scientifiques", déplore aussi Gabriel Perlemuter.
Dès 2018, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) pointait dans un rapport que les "personnes fragiles et vulnérables" comme "les enfants, les personnes âgées, les femmes enceintes, les malades, sont particulièrement ciblés par les mouvements sectaires et par les pseudo-thérapeutes", citant parmi les pratiques à risques proposées l'"hydrothérapie" du côlon (lien archivé ici).

Dans son dernier rapport d'activité, la Miviludes évoque également cette pratique, soulignant observer "qu'un grand nombre de personnes s'écartent de leurs parcours de soins initiaux pour se tourner vers des praticiens 'autodéclarés' qui vont progressivement se substituer à leur médecin et l'évincer", et qui développent des pratiques "qui ne sont pas reconnues pour leur efficacité par les autorités médicales", dont l'hydrothérapie du côlon (lien archivé ici).
La désinformation liée à la santé reste très présente sur les réseaux sociaux, et l'AFP y consacre régulièrement des articles, consultables ici. Comme indiqué dans cet article de l'AFP, l'action gouvernementale pour contrer la propagation de fausses informations médicales reste encore limitée selon des professionnels, qui attendent plus, notamment sur les médecines alternatives.