
Attention à ces affirmations infondées sur l'accès aux caméras et micros des téléphones "à tout moment" par l'État à partir de juin 2025
- Publié le 05 juin 2025 à 17:53
- Lecture : 8 min
- Par : Cintia NABI CABRAL, AFP France
Copyright AFP 2017-2025. Toute réutilisation commerciale du contenu est sujet à un abonnement. Cliquez ici pour en savoir plus.
"L'État pourra désormais accéder à la caméra frontale de ton téléphone à tout moment en cas d'enquête administrative à partir du 1er juin 2025", est-il affirmé dans une vidéo Facebook, datée du 2 mai 2025, partagée par plus de 2.000 internautes et vue plus de 200.000 fois.
"Concrètement, si tu fais l'objet d'une enquête administrative - que ce soit pour fraude, suspicion de menaces ou même contrôle fiscal - les autorités pourront activer à distance la caméra frontale de ton smartphone sans ton accord préalable. Cette surveillance pourra aussi inclure le micro, la géolocalisation et l'accès à certaines applications", ajoute la voix off de la vidéo virale.
Des messages similaires, avec d'autres images d'illustration à l'appui, circulent sur Facebook, Instagram, TikTok (1, 2, 3, 4) et YouTube.

"Selon les informations relayées par BFMTV, cette mesure a été validée dans le cadre du nouveau plan de sécurité numérique, avec pour objectif de renforcer les capacités d'enquête face aux nouvelles formes de criminalité digitale", est-il affirmé dans les publications, qui ajoutent que "le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau justifie cette décision par la nécessité de lutter contre la cyberfraude, la radicalisation en ligne et les réseaux organisés".
Dans les commentaires sous ces vidéos, de nombreux internautes expriment leur indignation face à cette prétendue nouvelle mesure, dénonçant une "atteinte à la vie privée" et une violation des libertés.
Mais l'affirmation selon laquelle l'État pourrait accéder à la caméra frontale et aux micros des téléphones "à tout moment" depuis le 1er juin 2025 est infondée, ont rappelé le ministère de l'Intérieur et des juristes à l'AFP.
D'où vient cette rumeur ?
En réalité, ces allégations s'appuient sur des mesures proposées dans le cadre du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, présenté par Eric Dupond-Moretti, alors ministre de la Justice, le 3 mai 2023.
Le 5 juillet 2023, les députés avaient donné leur feu vert à une disposition sensible de ce projet de loi justice : la possibilité d'activer à distance des téléphones portables, ordinateurs et autres objets connectés de personnes visées dans certaines enquêtes, dans deux cas de figure (lien archivé ici).
Le premier dispositif prévoyait d'autoriser la géolocalisation pour suivre en temps réel les déplacements de personnes visées dans le cadre d'une enquête pour crime ou délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement.
Le second volet devait ouvrir la possibilité de capter à distance son et image, mais cette fois dans des affaires de terrorisme ainsi que de délinquance et criminalité organisées. Cette captation n'aurait concerné que "des dizaines d'affaires par an" selon Eric Dupond-Moretti.
Toutefois, ce second dispositif avait été censuré le 16 novembre 2023 par le Conseil constitutionnel pour atteinte à la vie privée (liens archivés ici et ici).

"L'activation à distance d'appareils électroniques afin de capter des sons et des images [...] est de nature à porter une atteinte particulièrement importante au droit au respect de la vie privée dans la mesure où elle permet l’enregistrement, dans tout lieu où l’appareil connecté détenu par une personne privée peut se trouver, y compris des lieux d’habitation, de paroles et d’images concernant aussi bien les personnes visées par les investigations que des tiers", expliquait le Conseil constitutionnel dans sa décision.
L'activation à distance d'appareils électroniques aux seules fin de géolocalisation est, quant à elle, restée autorisée dans l'article 6 de la loi finalement votée le 20 novembre 2023.
Retour d'une mesure décriée
Au printemps 2025, les vidéos virales surfent sur le retour de ce sujet dans un nouveau texte, une proposition de loi visant à "sortir la France du piège du narcotrafic". Malgré la censure en 2023 de l'activation à distance d'appareils électroniques, deux articles de ce nouveau texte législatif, adopté le 29 avril 2025, prévoient la possibilité de capter à distance sons et images (liens archivés ici, ici et ici).
"L'article 38 de ce texte, issu de la commission mixte paritaire, prévoit une extension des 'sonorisations et caméras' déjà existantes (article 706-96 du code de procédure pénale) avec activation des objets électroniques fixes. L'article 39 reprend la notion d'activation à distance des microphones et caméras installés sur des appareils électroniques mobiles en créant deux articles 706-99 et 706-100 du code de procédure pénale", a résumé le ministère de l'Intérieur à l'AFP le 28 mai 2025.
Des députés ont saisi le Conseil constitutionnel sur un risque, selon eux, d'atteinte à la vie privée. Il n'a pour l'heure pas encore rendu sa décision (lien archivé ici).

Même si ces articles étaient validés, les dispositions qu'ils contiennent ne seraient appliquées que dans certains cas précis. Tout d'abord, ces possibilités seraient "réservées à des enquêtes judiciaires, et non pas administratives", a expliqué le ministère de l'Intérieur à l'AFP, contrairement à ce qu'affirment à tort les publications virales.
Deuxièmement, les dispositifs seraient seulement autorisés par un juge indépendant (juge d'instruction, ou juge des libertés et de la détention) selon le cadre d'enquête. Contacté par l'AFP le 22 mai, l'avocat au Barreau de Paris David Lévy rappelle que le juge pourrait "parfaitement refuser" d'accepter l'activation à distance d'appareils électroniques "parce qu'il estimerait que les raisons qui sont avancées ne sont pas suffisamment graves et importantes".
Enfin, le ministère de l'Intérieur indique que la possibilité de la mise en place d'un tel dispositif pourrait ne concerner que les "crimes et délits les plus graves", énumérés dans l'article 706-73 du Code de procédure pénale.
Par ailleurs, toute donnée récoltée à propos d'une personne dont l'activité est protégée par un secret (médical, des sources journalistiques, de la défense pénale ou civile) serait détruite, comme le stipule l'article 706-95-14.
"Ce type de vidéos virales laisse croire que cela peut s'appliquer à tout et n'importe quoi. Or, c'est faux. (...) Cela ne peut pas être fait pour tous les téléphones de tout le monde, n'importe qui, n'importe quand, n'importe comment", conclut M. Lévy.
Une vidéo authentique du président au service de faux récits
Dans ces vidéos, un autre élément jette le doute sur la véracité des affirmations : en effectuant une recherche d'image inversée à partir de la première séquence d'une vidéo montrant le président Emmanuel Macron en train de s'exprimer, l'AFP a constaté que cette séquence était détournée et utilisée par plusieurs comptes se présentant comme diffusant des actualités mais relayant en réalité des contenus infondés. Ces vidéos ajoutent une voix off et les bandeaux incrustés - comme ici, ici et là - contenant de fausses informations.

Les images originelles proviennent en réalité d'un discours d'Emmanuel Macron le 9 avril dernier, retransmis notamment par BFMTV . Le président français y exprimait l'espoir que son homologue américain Donald Trump "revienne sur sa décision" d'imposer des droits de douane au reste du monde, et notamment à l'Union européenne (lien archivé ici).
Contrairement à ce que suggèrent les versions manipulées de cette vidéo, Emmanuel Macron n'y annonce aucune des mesures évoquées par ces comptes se présentant, à tort, comme des médias d'actualité. L'AFP avait d'ailleurs déjà vérifié une vidéo réutilisant la même image du président ici et là.
De nombreuses fausses affirmations sensationnalistes sont postées sur ces comptes dans l'objectif de générer de l'audience, et donc des revenus. L'AFP s'est déjà penchée sur des comptes TikTok qui se présentent comme des médias d'actualité mais véhiculant de la désinformation.