
Non, il n'est pas prévu que les appels téléphoniques de plus de dix minutes soient systématiquement surveillés en 2026
- Publié le 05 juin 2025 à 16:26
- Lecture : 6 min
- Par : Océane CAILLAT, AFP France
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"Les appels téléphoniques de plus de 10 minutes seront automatiquement enregistrés par les opérateurs dès 2026", affirme une voix off dans une vidéo TikTok d'un peu plus d'une minute, postée le 20 mai 2025 et relayée depuis par plus de 30.000 utilisateurs de la plateforme.
"Concrètement, si tu passes un appel téléphonique, que ce soit depuis ton téléphone mobile ou fixe, et que celui-ci dépasse dix minutes, il sera automatiquement enregistré par ton opérateur : Orange, SFR, Bouygues et Free", raconte la voix off.
Elle ajoute ensuite que "ces enregistrements seront stockés pendant une durée maximale de 30 jours puis automatiquement supprimés, sauf en cas de demande de la justice ou des autorités", alors que défilent en fond des images d'illustrations du président Emmanuel Macron ou de personnes avec des téléphones.
Enfin, la vidéo avance que "selon BFMTV et les annonces du ministère de l'Intérieur", cette mesure a pour objectif de "lutter contre les fraudes, les arnaques téléphoniques et les activités criminelles".
Cette vidéo provient du compte TikTok actu.france25, suivi par plus de 46.000 utilisateurs, qui affirme proposer "un résumé rapide de l'actualité". Mais en réalité, ce compte mêle faits et désinformation, une tendance reprise ces dernières années par un grand nombre d'autres comptes similaires reconnaissables par leur mise en page alarmiste imitant parfois les codes visuels de médias existants. L'AFP avait décrypté ce phénomène ici.

L'affirmation selon laquelle les appels téléphoniques de plus de 10 mn seraient enregistrée est infondée, aucun texte ne prévoit de mettre en place un tel contrôle généralisé.
Une allégation infondée
A en croire la vidéo, cette mesure aurait été relayée par BFMTV. Mais lorsque nous effectuons une recherche avancée sur Google en incluant le nom de la chaîne d'information en continu, nous n'avons retrouvé aucune trace de contenu à ce sujet.
Parallèlement, une recherche avancée avec les mots-clefs "appels téléphoniques", "dix minutes", "enregistrés", "2026" et "opérateurs" ne nous permet pas de retrouver d'éléments attestant de l'existence de ce dispositif, mais nous conduit uniquement vers des vidéos TikTok reprenant la même allégation.
Contacté par l'AFP, le ministère de l'Intérieur, cité dans la vidéo comme étant à l'origine de cette annonce, a indiqué le 4 juin 2025 que "cette mesure n'était pas envisagée, cibler les communications de plus de 10 minutes ne correspond à aucun besoin opérationnel" avant de rappeler que "ce type de mesure passe nécessairement par une loi".
Les textes législatifs et réglementaires de la République française sont consultables au Journal officiel (lien archivé ici). Mais en effectuant une recherche, les résultats ne permettent pas en effet de retrouver la trace d'une telle réglementation. Sur le site de l'Assemblée nationale, où sont répertoriés les projets (initiés par le gouvernement) et les propositions de loi (initiées par des députés), la liste des résultats nous mène au même constat (liens archivés ici et ici).
Dans la vidéo, quatre opérateurs téléphoniques sont cités comme coopérant à cette mesure : Orange, SFR, Bouygues et Free.
La fédération française des télécoms - association qui réunit un grand nombre d'opérateurs de communications électroniques français dont SFR, Bouygues et Orange - a confirmé à l'AFP, le 2 juin 2025, que la vidéo reposait sur "une information totalement erronée" (lien archivé ici).
L'organisation a également indiqué qu'"aucune disposition légale ou réglementaire n'impose, ni ne prévoit, un tel dispositif" avant d'appeler les internautes à une plus grande "vigilance et à faire preuve de discernement face à ce type de rumeurs et à consulter les sources officielles pour toute question relative à la confidentialité des communications". Contacté par l'AFP, le 2 juin 2025, l'opérateur Free a pour sa part qualifié les allégations de la vidéo comme des "informations fausses".
Que dit la loi concernant les écoutes téléphoniques ?
Selon le site du Service public, site officiel de l'administration française, les écoutes téléphoniques sont mises en place uniquement dans un certain cadre : judiciaire ou administratif (lien archivé ici). Selon le cas, on parlera "d'écoutes téléphoniques judiciaires" ou "administratives".
En ce qui concerne les écoutes administratives, leur réglementation émane du Code de la sécurité intérieure qui établit à l'article L811-3 l'ensemble des motifs "relatifs à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation" pouvant justifier le recours à cette mesure parmi lesquels figurent par exemple "la prévention du terrorisme" (lien archivé ici et ici).
Son autorisation résulte d'une demande "écrite et motivée" provenant "du ministre de la défense, du ministre de l'intérieur, du ministre de la justice ou des ministres chargés de l'économie, du budget ou des douanes" adressée au Premier ministre.
Ce dernier donne ensuite son autorisation après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement qui veille au respect du cadre légal du recours à ces méthodes. L'autorisation est alors valable au maximum quatre mois, mais peut-être renouvelée. Quant à la conservation des enregistrements, elle ne peut dépasser 30 jours sauf exception.

Les écoutes dites judiciaires sont quant à elles réglementées par le Code de procédure pénale (lien archivé ici) et relèvent de la décision écrite d'un juge d'instruction dans le cadre d'une enquête judiciaire.
"En matière criminelle et en matière correctionnelle, si la peine encourue est égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement, le juge d'instruction peut, lorsque les nécessités de l'information l'exigent, prescrire l'interception, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des communications électroniques. Ces opérations sont effectuées sous son autorité et son contrôle", peut-on lire à l'article 100 du code procédure pénale (lien archivé ici).
Ce même article précise aussi qu'en cas "de délit puni d'une peine d'emprisonnement commis par la voie des communications électroniques sur la ligne de la victime, l'interception peut également être autorisée, selon les mêmes modalités, si elle intervient sur cette ligne à la demande de la victime".
Le Code de procédure pénale établit également que cette technique d'enquête peut être mise en place dans des cas de criminalité et délinquance organisées définis aux articles 706-73 et 706-73-1 du texte (liens archivés ici et ici).
Le juge d'instruction peut aussi acter l'interception des correspondances émises par la voie des télécommunications "en cas de découverte d'un cadavre, qu'il s'agisse ou non d'une mort violente" mais dont la cause est "inconnue ou suspecte" comme indiqué à l'article 80-4 (lien archivé ici).
Enfin, chacune des étapes d'écoutes judiciaires doit être répertoriée dans un procès-verbal mentionnant "la date et l'heure auxquelles l'opération a commencé et celles auxquelles elle s'est terminée".
La surveillance des communications ou l'accès à nos appareils électroniques est une thématique récurrente de désinformation. L'équipe d'AFP Factuel avait déjà réfuté plusieurs affirmations fausses ou trompeuses à ce sujet que vous pouvez retrouver ici ou ici.