
Successions : non, il n'est pas prévu que l'Etat saisisse et vende les biens immobiliers à partir de 2026
- Publié le 17 avril 2025 à 15:47
- Lecture : 9 min
- Par : Claire-Line NASS, AFP France
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"Si tes parents décèdent, l'Etat pourra vendre leur maison dès 2026", assure le titre d'une vidéo du compte "Actu.time" partagée plus de 12.000 fois sur TikTok depuis le 12 avril.
Sur des images d'illustration, une voix off énonce : "à partir de 2026, si tes parents décèdent, l'Etat pourra vendre leur maison [...] Si tu n'as pas les moyens de payer les frais de succession exigés, l'Etat pourra la mettre en vente, même contre ta volonté".
Elle poursuit : "pour devenir pleinement propriétaire, tu devras t'acquitter de dizaines de milliers d'euros. Et si tu ne les as pas, l'administration peut décider de vendre le bien pour récupérer ce qu'elle estime lui être dû [...] Certains parlent déjà d'une triple peine, perdre un proche, perdre une maison et devoir payer".

Ces affirmations ont été relayées à d'autres dizaines de milliers de reprises sur TikTok, sur Facebook et sur X.
Elles sont notamment véhiculées par des comptes se présentant comme diffusant des actualités, mais relayant en réalité des contenus parfois infondés dans le but d'attirer des internautes -et donc d'engranger des revenus- sur lesquels l'AFP avait déjà écrit en décembre dernier.
Mais le titre et le début des affirmations sont infondés, et les détails mentionnés ensuite, s'ils s'appuient sur des éléments réels, sont largement trompeurs, selon deux notaires interrogées par l'AFP. Nous n'avons en outre retrouvé aucune trace d'un changement dans la législation liée à la succession des biens immobiliers.
Pas de trace d'une nouvelle loi
En effectuant des recherches par mots-clés sur Google, nous n'avons retrouvé aucune trace d'annonce officielle faisant état d'une loi qui modifierait les modalités liées à la succession de biens immobiliers en avril 2025.
Des recherches sur le site de l'Assemble nationale parmi les propositions (émanant de parlementaires) et projets de loi (de l'exécutif) récents n'a pas non plus permis de retrouver une telle proposition législative (liens archivés ici et ici).

La Direction générale des finances publiques (DGFIP) avait déjà confirmé à l'AFP en février, alors que le budget avant été adopté définitivement : "il n'y a pas d'augmentation [des droits de succession] dans la loi de finances pour 2025", comme détaillé dans ce précédent article.
Cette loi tend d'ailleurs plutôt à aller dans le sens de plus d'avantages pour les héritiers, souligne Céline Deschamps, notaire et porte-parole du bureau du Conseil supérieur du notariat (CSN), à l'AFP le 16 avril : "dans la loi de finances pour 2025, au contraire, il a été créé des abattements supplémentaires, pas pour les successions, mais pour les donations [effectuées par une personne de son vivant, et donc différente d'une succession, NDLR]. Donc, il y a plutôt eu un geste de l'administration fiscale pour favoriser la transmission et l'aide des plus jeunes générations qu'un durcissement de la règle" (liens archivés ici et ici).
Que se passe-t-il lors d'une succession ?
Créés en France en 1791, les droits de succession sont calculés en fonction de la part nette du patrimoine (immobilier et financier) du défunt qui revient à l'héritier et de leur lien de parenté (liens archivés ici et ici). Ils sont réglés à l'administration fiscale.
Ces impôts progressifs s'appliquent selon un barème précis qui dépend notamment du lien entre la personne qui hérite et le défunt, comme indiqué sur le site service-public.fr (lien archivé ici).
Dans le cas d'une succession parent-enfant ("en ligne directe") comme le cas mentionné dans la vidéo trompeuse, il existe par ailleurs un abattement de 100.000 euros, qui s'applique "au décès de chacun des deux parents, pour chaque enfant".
En d'autres termes, il n'y a pas de somme à payer obligatoirement dès le premier euro hérité - et il est donc infondé de dire que l'Etat aurait ainsi le droit de se saisir du total d'un héritage puisque, de toute façon, les transmissions inférieures à cette valeur sont totalement exonérées d'impôts, comme également rappelé sur le site de Notaires de France, le syndicat de la profession (lien archivé ici).

Les droits de succession doivent être versés "dans les six mois suivant le décès, après, vous avez des intérêts", souligne Barbara Thomas-David, présidente de la commission communication des notaires de Paris (lien archivé ici), le 16 avril auprès de l'AFP.
Si les héritiers n'ont pas directement les moyens de payer ces impôts, "il y a plusieurs options", développe Céline Deschamps : "soit ils peuvent eux-mêmes vendre la maison, et avec le produit de la vente, payer les impôts, puis garder le reste. Donc ce n'est pas l'Etat qui récupère 100% du prix de vente. Ça, ça n'existe pas".
Et si les héritiers ne veulent pas ou ne peuvent pas vendre la maison, "l'administration fiscale propose d'autres solutions", explique la notaire, comme un "paiement fractionné" au travers duquel "on peut demander à fractionner le paiement sur une durée maximum de 10 ans, mais qui peut être plus courte aussi" ou un "paiement différé" qui permet "de demander dans certaines conditions à payer plus tard" (lien archivé ici).
"Là où il y a peut-être une confusion, c'est qu'au bout d'un moment, si ces droits ne sont pas payés, le Trésor public peut saisir les biens et les faire vendre. Mais c'est extrêmement rare, et généralement d'autres solutions sont trouvées", ajoute Barbara Thomas-David.
Une telle situation prendrait de toute façon "plusieurs années" et ne serait pas automatique à chaque héritage comme suggéré dans les vidéos virales.
L'argent de la vente ne reviendrait par ailleurs pas directement et dans sa totalité à l'Etat, car ce dernier ne récupérerait que les droits de succession non payés (et éventuellement des intérêts supplémentaires) : "comme n'importe quel créancier, l'Etat peut faire saisir les biens de son débiteur et demander à ce qu'il soient vendus au tribunal, et donc l'Etat sera servi sur le prix de vente par priorité, mais le reste reviendra aux héritiers", résume-t-elle.
Un héritier peut choisir "d'accepter ou refuser" une succession, note Barbara Thomas-David. Si le premier héritier en ligne directe refuse, "l'héritage va passer aux héritiers de degré subséquent" (dont le lien familial est plus lointain). Dans le cas où un héritage est refusé par tous les héritiers connus, ce dernier arrive au "service des domaines, donc l'Etat".
Mais elle note que "généralement si tout le monde refuse, c'est que l'héritage comporte des nombreuses dettes, dont l'Etat hérite de dettes". Et là encore, il ne s'agit pas d'une acquisition automatique de l'Etat.
"Je n'ai jamais entendu parler d'une succession qui aurait été déclarée vacante alors qu'il y a des enfants qui se manifestent pour récupérer. Finalement, les cas où les gens n'acceptent pas la succession de leurs parents, c'est quand il y a trop de dettes par rapport à l'actif, parce qu'accepter une succession engage à payer toutes les dettes, même si elles sont plus importantes que l'actif successoral", confirme Céline Deschamps.
Ainsi, il est "complètement faux" d'avancer que la loi permettrait à l'Etat de vendre tous les biens immobiliers hérités "sans autorisation" et entièrement à son propre bénéfice comme l'avancent les vidéos, résume Céline Deschamps.
Elle rappelle ainsi de "ne pas se fier à ce genre d'informations qui circulent sur internet", et conseille : "quand une succession s'ouvre, il faut aller voir son notaire le plus vite possible, car il peut y avoir des différences en fonction des situations, mais tout s'explique, et ce n'est pas parce qu'il est arrivé ceci ou cela à son voisin que ça va s'appliquer à nous".

Impôt mal compris car mal connu
De nombreux Français dénoncent régulièrement sur les réseaux sociaux ou dans les médias les montants dont ils ont dû s'acquitter pour hériter des biens d'un membre de leur famille.
Pourtant les droits de succession recueillent un "grand consensus" parmi les économistes en raison de leurs vertus redistributrices qui permettent de "favoriser l'égalité des chances", au moment où "la part de la fortune héritée dans le patrimoine total représente désormais 60% contre 35% au début des années 1970", soulignait le Conseil d'analyse économique (CAE), organisme rattaché à Matignon, dans une note publiée en décembre 2021 (lien archivé ici).
Les résultats de nombreux sondages mettent toutefois en avant une hostilité des Français vis-à-vis de cet impôt, les trois-quarts d'entre eux le jugeant régulièrement "injustifié" ou "trop élevé" - même si des experts ont dénoncé des biais dans la manière dont les questions sont parfois posées dans certaines études d'opinion (liens archivés ici, ici, ici).
Chaque campagne électorale nationale voit aussi son lot de propositions éclore pour le réformer et le rendre plus équitable, mais aussi des contre-vérités circuler (liens archivés ici et ici).
Si cet impôt est mal compris, c'est qu'il est mal connu du grand public, jugent des experts. "Une majorité de la population pense, de manière erronée, que les droits de succession ont un taux unique et ne sont pas progressifs, que le seuil d'exemption est significativement plus bas que son niveau réel, et surestime fortement les taux effectifs payés sur les successions", notait le CAE en 2021.
L'AFP a déjà vérifié plusieurs rumeurs trompeuses sur le sujet, comme celle-ci assurant que des droits de successions systématiques de 68.000 euros seraient mise en place en mai 2025.