
Non, le Kenya n'a pas quitté l'OMS
- Publié le 13 mars 2025 à 17:31
- Lecture : 7 min
- Par : Peris GACHAHI, AFP Kenya
- Traduction et adaptation : Monique NGO MAYAG , AFP Sénégal
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Le 20 janvier 2025, quelques heures après son investiture, le président américain Donald Trump a signé un décret officialisant le retrait des États-Unis de l'OMS (dépêche de l'AFP archivée ici).
Cette décision, prise par le principal contributeur de l'organisation (lien archivé ici), a rapidement donné lieu à une série de publications sur les réseaux sociaux au Kenya, annonçant que le pays aurait également quitté l'OMS.
Cette rumeur a largement circulé en Afrique anglophone et dans une partie francophone du continent (liens archivés ici et ici).

"Le Kenya quitte l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et toute forme d'aide venant du monde occidental au Kenya", affirme ainsi le 20 février une page Facebook nommée "Réussir d’Afrique" (post archivé ici). La raison ? Un vaccin expérimental contre le tétanos, distribué par l’OMS au Kenya en 2014, aurait rendu infertiles près de 2.000 femmes, affirme la page.
Dans plusieurs publications, une vidéo accompagne ce message, où l’on voit un homme en costume-cravate s’exprimer en anglais (archivée ici). Une voix off traduit ses paroles et déclare: "Nous ne pouvons plus nous permettre de faire confiance à l’OMS, votre Excellence".

Dans les commentaires, les internautes félicitent la nation kényane pour sa décision qu’ils jugent "courageuse". "L'effet Trump. Bravo à la nation kényane pour le bien de sa population", écrit l’un d’eux.
"Pourquoi les autres pays africains gardent-ils un silence foncièrement coupable ? Agir ou périr, le choix doit être clair", interroge un autre.
Pas de retrait de l’OMS
Cependant, le Kenya n’a pas quitté l’OMS, ni même annoncé qu'il avait l'intention de le faire.
Il n’existe aucun communiqué officiel annonçant un tel retrait ou projet de retrait, ni aucun article de presse sur ce sujet, qui aurait pourtant dû être largement couvert.
Au contraire, le ministre kényan chargé du Service public, Amos Gathecha, évoquait encore le 28 janvier 2025 devant des médias locaux le fait que l’OMS finançait plusieurs programmes au Kenya. Il s'inquiétait d'une potentielle réduction des financements, à la suite du retrait américain, et invitait à réfléchir dès à présent à des solutions possibles (lien archivé ici, discours partiellement en swahili).
Il ne mentionne à aucun moment le fait que le Kenya aurait quitté l'OMS. Mais reconnaît au contraire que l'aide de l'organisation internationale est essentielle pour soutenir le secteur de la santé du pays.
Par ailleurs, l’OMS a elle-même démenti la fausse information. "Nous ne sommes au courant d'aucun retrait du Kenya de notre organisation", a indiqué à l'AFP le porte-parole de l’organisation, dans un mail envoyé le 12 mars 2025.
Le vaccin sur le tétanos et l'infertilité, une vieille rumeur
L’allégation selon laquelle un vaccin expérimental de l’OMS contre le tétanos aurait rendu des milliers de Kenyanes infertiles remonte à 2014, au plus fort d’un débat provoqué cette année-là par certains groupes religieux et activistes (dépêche AFP archivée ici).
L’OMS avait publié un démenti dès novembre 2014, qualifiant de "désinformation" l’allégation selon laquelle le vaccin Tetanus Toxoid serait contaminé avec une hormone qui causerait des fausses couches et rendrait certaines femmes stériles (lien archivé ici).
"Ces graves accusations ne s’appuient sur aucune preuve, et risquent d’avoir des conséquences négatives sur les programmes nationaux d’immunisation des enfants et des femmes", avait alors indiqué l’organisation internationale dans un communiqué en l'anglais.

"L’OMS et l’Unicef confirment que les vaccins sont sûrs" grâce à "un système de test global en trois étapes", y indiquait l’organisation, précisant que deux doses de vaccin avaient à l’époque été administrées à "plus de 130 millions de femmes dans 52 pays".
Dix ans plus tard, tout dans "cette déclaration est encore valable", a précisé l'OMS à l'AFP en mars 2025, "nous n'avons observé aucun effet sur la fertilité, contrairement à ce qu'avancent ces rumeurs".
Selon une dépêche de l'AFP publiée en octobre 2014, le gouvernement kényan avait lui aussi déclaré que ce vaccin était "sûr" (lien archivé ici).
AFP Factuel avait déjà réalisé en 2024 une vérification détaillée sur ces rumeurs d'infertilité (en anglais).
Une ancienne vidéo détournée
La vidéo qui accompagne souvent les publications affirmant que le Kenya a quitté l’OMS reprend cette rhétorique sur la dangerosité de la campagne de vaccination contre le tétanos menée par l’OMS en 2014.
"Nous ne pouvons plus nous permettre de faire confiance à l'OMS, votre Excellence", met en garde l’homme qui parle dans l’extrait, évoquant "un nombre grandissant de cas d’infertilité au sein des jeunes couples" ou bien de "fausses couches", qu’il lie au vaccin contre le tétanos.
L’homme qui s’exprime n’évoque cependant pas un quelconque retrait de l’OMS dans cet extrait.
Pour retrouver l’origine de cette vidéo, nous procédons à une recherche d'images inversée avec des scènes clés de la séquence virale, grâce à l'outil InVid-WeVerify.
Les résultats de notre recherche nous conduisent à une vidéo publiée le 30 mai 2024 sur Facebook par Wahome Ngare, un obstétricien-gynécologue kényan (archivée ici), connu pour être un critique des vaccins (archivé ici et ici). C’est lui qui apparaît sur la vidéo.

Selon la légende associée à sa vidéo, elle le montre en Ouganda prononçant un discours en mai 2024 lors de la Conférence interparlementaire africaine sur les valeurs familiales et la souveraineté, que plusieurs médias ont couvert (archivé ici et ici). AFP Factuel avait d’ailleurs démystifié plusieurs affirmations trompeuses faites par M. Ngare lors de ce même discours.
Dans les commentaires de sa publication, M. Ngare met un lien vers la version complète de son discours, publié par l'Association des médecins catholiques du Kenya (KCDA), dont il est membre (liens archivé ici et ici).
Nous avons écouté intégralement ce discours de 7 minutes et il ne mentionne pas non plus de retrait de l'OMS dans cette version complète.
Devant l'ampleur que prenaient les messages faux reprenant sa vidéo, Wahome Ngare a lui-même réagi sur sa page Facebook. "Il semble y avoir confusion, certaines personnes ne réalisent pas que [dans cette vidéo] je m’adresse au Président de l’Ouganda au sujet d’un traité sur la pandémie", a-t-il indiqué dans une publication le 30 janvier 2025.
"Je souhaite vraiment que le Kenya se retire de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), mais je doute qu'aucun président africain ait le courage de faire un geste aussi audacieux", a-t-il ajouté, confirmant ainsi lui aussi que le pays était toujours membre de l’organisation internationale.

Aux dernières nouvelles, l’OMS poursuit ses activités dans le pays. Dans une publication du 11 mars, l’institution se réjouit que le Kenya ait vacciné environ 920.000 enfants durant une campagne vaccinale en février contre la poliomyélite (tweet archivé ici).