L’armée française ne s’installe pas à Bouaké après son départ d’Abidjan

La France a rétrocédé le 20 février à la Côte d’Ivoire la base militaire d’Abidjan Port-Bouët, désormais rebaptisée camp Thomas d’Aquin Ouattara. Des publications partagées des centaines de fois sur les réseaux sociaux affirment que les soldats français de cette base n’ont pas quitté la Côte d’Ivoire et ont été redéployés dans la ville de Bouaké. Mais en réalité, aucun soldat français ne se trouve dans cette ville et ceux qui ont quitté Abidjan sont rentrés en France, a indiqué le porte-parole de l’Armée française. L'ancienne base française à Bouaké est d'ailleurs toujours détruite et il n'en existe pas de nouvelle, a constaté sur place un journaliste AFP. La Côte d’Ivoire a en revanche évoqué un projet futur de coopération, dans lequel elle demandera à quelques soldats de l’armée de l’Air française d’aller temporairement à Bouaké former des pilotes ivoiriens.  

Après 50 ans de présence militaire à Abidjan, la France a rétrocédé le 20 février 2025 à la Côte d'Ivoire la base militaire de Port-Bouët, où stationnait son 43ème Bataillon d'Infanterie de Marine (BIMa). Le camp a été rebaptisé Thomas d'Aquin Ouattara, du nom du premier chef d’Etat-major de l’armée ivoirienne.

Cette décision, prise de concert avec les autorités ivoiriennes, a généré beaucoup de désinformation en ligne.

"L’ARMÉE FRANÇAISE A QUITTÉ ABIDJAN POUR S’INSTALLER À BOUAKÉ, LA DEUXIÈME GRANDE VILLE DE LA CÔTE D’IVOIRE", affirment ainsi des publications relayées par de nombreuses pages et comptes sur Facebook (1, 2, 3, 4). Ces posts, qui cumulent des centaines de partages et de commentaires, mettent en avant l’image d’un groupe de personnes en uniforme devant six aéronefs.

D’autres publications, comme cette vidéo de cinq minutes visionnée plus de 100.000 fois, reprennent cette affirmation, assurant que le départ de l’armée française de la Côte d’Ivoire et la rétrocession de la base du 43ème BIMa à l’armée ivoirienne n’étaient que de la poudre aux yeux.

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Capture d’écran Facebook effectuée le 13 mars 2025

"Alassane Ouattara [le président ivoirien, NDLR] se ment à lui-même", martèle à plusieurs reprises l’auteur de la vidéo, face caméra. Selon lui, les soldats français n’ont pas quitté la Côte d’Ivoire et leur véritable destination est Bouaké.

Certains internautes dans les commentaires sont convaincus de l’authenticité de cette information. Ils indiquent que "la France se rapproche ainsi des pays de l’AES" ou encore qu'elle "ne peut quitter l’Afrique".

Mais ces affirmations sont fausses : l’armée française ne s’est pas installée à Bouaké après son départ d’Abidjan.

La plupart des soldats rentrés en France

Cette rétrocession, annoncée le 31 décembre par le président ivoirien Alassane Ouattara, ponctue un processus initié il y a deux ans entre les deux pays, alors que la France a annoncé sa volonté de réorganiser son dispositif militaire en Afrique.

Depuis la rétrocession effective de la base le 20 février, 90% des effectifs sont rentrés en France, a indiqué à l’AFP le colonel Guillaume Vernet, porte-parole du chef d’Etat major des Armées françaises.

Aucun de ces militaires n’a été redéployé à Bouaké. “L’ensemble” des soldats ayant quitté Abidjan sont rentrés en France, a assuré le porte-parole du chef d’Etat major. Il "n’y a pas d'effectifs militaires français basés à Bouaké", a-t-il précisé, et il n’est pas non plus prévu que des forces s’y installent dans le futur.

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Un soldat français (à gauche) salue un soldat ivoirien (à droite), alors que les soldats français se préparent à quitter le camp militaire de Port-Bouët,
lors de la cérémonie de rétrocession de la base à la Côte d'Ivoire, le 20 février 2025 (AFP / Issouf SANOGO)

Moins d'une centaine de soldats français, chargés d’assurer la continuité de la coopération militaire entre les deux pays, stationnent encore au sein du camp Thomas d’Aquin Ouattara, sur lequel flotte désormais le drapeau ivoirien.

Le nouveau partenariat entre les armées française et ivoirienne “prend désormais la forme d’un détachement de liaison interarmées, composé d’un socle permanent de 80 personnels, qui a pour mission d’organiser les entraînements et exercices conjoints au profit de nos deux armées”, auxquels pourront se rajouter “des détachements ponctuels et temporaires venant de France”, a précisé le colonel Guillaume Vernet.

Equipe de formation temporaire à Bouaké

En effet, malgré la rétrocession de la base d’Abidjan, la coopération militaire entre la Côte d’Ivoire et la France continue.

La cérémonie de rétrocessionmarque une nouvelle étape dans les relations d’amitié et de coopération stratégique entre nos deux nations", avait vanté à cette occasion Téné Birahima Ouattara, ministre ivoirien de la Défense. “C'est une autre forme de coopération basée sur des questions de formation, d'équipement, de lutte anti-drone...", avait précisé une source au sein de la présidence ivoirienne.

La fausse information selon laquelle l’armée française aurait quitté Abidjan pour Bouaké trouve son origine dans une interview que le ministre ivoirien de la Défense a donnée à Radio France Internationale (RFI) le 18 février 2025, dans laquelle il détaille justement ces nouvelles formes de coopération.

Il n'y a pas de rupture en réalité parce qu’une équipe de l'armée de l'Air française va s'installer à Bouaké, par exemple, où il y a des infrastructures appropriées pour la formation des pilotes ivoiriens”, avait indiqué Téné Birahima Ouattara à RFI.

Cependant, cette équipe de formation, qui interviendra exclusivement à la demande de la Côte d’Ivoire, ne stationnera à Bouaké que de manière temporaire. Elle sera accueillie le temps de la formation sur une base ivoirienne, et ne constituera pas une présence militaire permanente, comme cela a été le cas pour le 43ème BIMa sur le base d'Abidjan.

Qui plus est, cette future formation est encore au stade de projet, si bien qu’aucun soldat français n’est en ce moment à Bouaké.

Des échanges et des exercices auront lieu au cours de l’année, notamment sur la base ivoirienne de Bouaké”, a confirmé de son côté le colonel Vernet, soulignant que “les modalités précises sont encore en cours de définition entre les deux armées de l’Air”.

Pas de camp français utilisable

Afin de vérifier les dires de l’armée française, un correspondant de l’AFP qui vit à Bouaké a fait le tour de la ville et de ses environs. Il a pu constater que l’ancienne base militaire française sur place, le Camp Descartes, n’existe plus.

Cet ancien camp, qui était logé dans l’enceinte du lycée français René Descartes de Bouaké, a été abandonné et fermé depuis près de 18 ans. Il avait été bombardé le 6 novembre 2004 par des avions de l’armée ivoirienne, lors de l’opération Dignité lancée par le président de l’époque Laurent Gbagbo pour réunifier la Côte d’Ivoire divisée par une rébellion.

Le camp n’a plus jamais servi depuis cette attaque, qui a tué 9 soldats français ainsi qu’un ingénieur agronome américain. La frappe, encore entourée de nombreuses zones d’ombres, a constitué un tournant dans la crise politico-militaire en Côte d’Ivoire, entraînant à terme la destruction de l’aviation ivoirienne par la France et une crise diplomatique entre les deux pays.

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Deux soldats Français se lavent dans les débris du lycée Descartes de Bouaké, qui servait de camp militaire, le 10 novembre 2004 (PHILIPPE DESMAZES / AFP)

Le Lycée Professionnel Commercial de Bouaké a été construit sur les cendres du lycée français et du Camp Descartes. Seule une stèle commémorative en la mémoire des victimes du bombardement et un bâtiment touché par les roquettes rappellent que des militaires français ont stationné sur ce site par le passé, a constaté le journaliste AFP.

Ce dernier n’a pas non plus trouvé de traces d’installation de l’armée française ailleurs dans la ville.

Photo décontextualisée

Par ailleurs, la photo largement relayée pour indiquer que l’armée française s’est installée à Bouaké ne date pas de la rétrocession de la base française à Abidjan : elle est bien antérieure.

Une recherche par image inversée nous permet de retrouver l’image dans cet article datant du 4 septembre 2024, soit bien avant que ne soit même évoquée la rétrocession de la base française. Selon l'article, la photo a été prise lors d’une visite du général français Stéphane Mille, à l'époque chef d'Etat major de l'armée de l'Air, et de plusieurs pilotes français sur la base militaire ivoirienne de Bouaké.

Cette visite, réalisée “à la demande” de la Côte d’Ivoire, “s’est déroulée du 1er au 03 septembre 2024, dans le cadre de manœuvres conjointes avec l’armée de l’air ivoirienne”, a confirmé le colonel Guillaume Vernet. Elle est évoquée à la rubrique “Afrique” de la note de synthèse hebdomadaire des Armées françaises couvrant cette période ou encore dans cette publication sur la page Facebook des Forces armées de Côte d'Ivoire, où l'on retrouve la photo en question. 

Diminution de la présence française en Afrique

L’armée française ne s’est donc pas redéployée à Bouaké après avoir rétrocédé sa base d'Abidjan à l’armée ivoirienne, dans un mouvement concerté avec les autorités locales.

Cette entente mutuelle fait par ailleurs figure d'exception, dans un paysage africain défiant envers la présence militaire française.

L'armée française a ainsi définitivement quitté fin janvier sa dernière base au Tchad, après la rupture surprise de l'accord de coopération militaire entre Paris et N'Djamena fin novembre.

Quatre autres anciennes colonies françaises - le Niger, le Mali, la Centrafrique et le Burkina Faso - ont enjoint à Paris de retirer son armée de leurs territoires après des années de présence militaire, et se sont rapprochées de Moscou (1, 2, 3).

La France a aussi dû restituer les installations utilisées par l'armée française au Sénégal, l'un des alliés africains les plus sûrs de la France mais dont les nouveaux dirigeants depuis 2024 ont promis de traiter désormais la France à l'égal des autres partenaires étrangers, au nom de la souveraineté.

Ces retraits surprises, en particulier au Tchad, ont souvent généré de la désinformation en ligne. AFP Factuel a déjà vérifié plusieurs fausses informations, comme ici, ici ou encore

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