Non, ce bas-relief ne prouve pas l'existence de vélos il y a 2.000 ans

Des images d’un bas-relief sculpté sur un temple antique, montrant un homme à vélo, circulent largement sur les réseaux sociaux. Selon des internautes, cette sculpture prouverait que le vélo existait déjà il y a 2.000 ans, bien avant son invention officielle en 1817 par l’Allemand Karl von Drais. Mais en réalité, ce bas-relief a été réalisé en 1904, à une époque où l’Indonésie était sous domination coloniale néerlandaise.

De la "machine à courir", inventée en 1817 par le baron allemand Karl von Drais (1785-1851), au VTT des années 1970, la bicyclette suscite des débats sur les réseaux sociaux. Des internautes partagent notamment des images de bas-reliefs d’un homme à vélo, sculptés sur des temples en Inde et en Indonésie, y voyant la preuve que des vélos existaient bien avant l'époque de Drais.

"Sachant que ces temples là ont 2.000 ans et 800 ans respectivement, on nous dit quoi ? Que ces vélos ont été rajoutés lors d’une rénovation. (...) Pourquoi on rajouterait des vélos dans un temple, dans une rénovation ?", s’indigne un internaute dans une vidéo TikTok publiée le 27 janvier 2025, "likée" par plus de 6.000 internautes.

"Certainement, les images dérangent. Elles sont pas dans l'habituel de ce qu'on imagine de ces civilisations, bien que concernant l’Inde et tout le reste, ils se mangent un boycott, c’est violent !" , ajoute-t-il.

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Captures d'écran effectuées sur Facebook (à gauche) et sur TikTok (à droite) le 19/02/2025. Croix rouges ajoutées par l'AFP.

Des publications similaires sur Facebook (1, 2), X et TikTok, et dans plusieurs langues différentes comme l'anglais, l'espagnol et le portugais. Ces posts s’accompagnent souvent d’images de bas-reliefs similaires (1, 2, 3) ou d'objets modernes tels qu'un téléphone portable ou un astronaute.

"Il y a 2000 ans, les gens faisaient du vélo. Le temple où a été découvert le bas-relief représentant une bicyclette s'appelle Panchavarnaswamy. Sur ses murs se trouvent des inscriptions datant de la dynastie Chola. Rappelons que le prototype d'un véhicule à deux roues a été inventé en 1917 [sic] par l'Allemand Karl von Dres", ajoute un internaute sur Facebook.

Mais l’idée que ce bas-relief prouve l’existence du vélo il y a 2.000 ans est infondée.

"L'homme à vélo" : symbole d'une rencontre interculturelle entre les Pays-Bas et l'Indonésie

Une recherche d'image inversée a permis à l'AFP de retrouver plus d'informations sur le bas-relief de l'homme à vélo, reconnaissable à la fleur ornant son oreille, sur Wikimedia Commons. Selon la description de la photo, le bas-relief a été sculpté sur un mur du Pura Meduwe Karang, un temple hindou situé à Kubutambahan, au nord de Bali, en Indonésie. "Il serait la représentation de l'artiste néerlandais WOJ Nieuwenkamp qui a exploré Bali à vélo en 1904", peut-on lire dans la description de l'image sur le site (lien archivé ici).

Contactée le 7 février par l’AFP, la fondation W. O. J. Nieuwenkamp a confirmé que le bas-relief représentait bien l’artiste néerlandais : "Il a visité Bali à l’époque, et la communauté locale était très surprise de le voir monter sur cette bicyclette. Je pense que ce sont les habitants locaux, les Indonésiens, qui ont réalisé cette sculpture, avant qu'elle ne soit détruite lors d'un tremblement de terre au début des années 1900", a indiqué en anglais Olga van Erp Taalman Kip, bénévole de l'organisation, précisant qu'elle traduisait ainsi les propos en néerlandais de Wiepke van Erp Taalman Kip, présidente de la fondation.

Entre 1898 et 1938, Wijnand Otto Jan Nieuwenkamp (1874-1950) entreprit "six longs voyages" dans les anciennes Indes orientales néerlandaises, notamment à Bali, où il s'intéressa à la culture locale et rédigea plusieurs ouvrages et articles, peut-on lire sur le site de la fondation W. O. J. Nieuwenkamp.

"S’il n’est certes pas le premier Européen à s’être intéressé à Bali, il est en revanche le premier artiste étranger à y avoir séjourné et à en avoir exalté les splendeurs naturelles et les richesses culturelles", peut-on lire dans un compte-rendu en français de sa biographie (lien archivé ici).

Si la date exacte de la construction du temple reste inconnue, Agus Widya Suputra, responsable marketing à l'office du tourisme de Buleleng, assure qu'"il est fort probable que le Pura Meduwe Karang ait subi des rénovations au cours des XIXe et XXe siècles". Ce dernier précise que "les temples balinais évoluent souvent au fil du temps, avec des ajouts et des rénovations réalisés sur plusieurs générations", fruits de "projets communautaires".

Les anciennes Indes orientales néerlandaises, devenues plus tard la République d'Indonésie, étaient sous domination néerlandaise depuis plus de trois siècles. À son apogée, l'empire colonial néerlandais possédait des colonies comme l'Indonésie, où la Compagnie néerlandaise des Indes orientales s'était établie au 17e siècle.

Après la défaite du peuple Buleleng lors de la guerre de Puputan Jagaraga en 1849, les Néerlandais prirent le contrôle du nord de Bali, région où est situé le bas-relief du Pura Meduwe Karang (liens archivés ici et ici).

Selon une analyse iconologique du bas-relief de "l'homme à vélo", publiée dans une revue scientifique d'histoire de l'art de l'Asie du Sud-Est, c'est dans ce contexte que des chercheurs néerlandais étudièrent la culture et l'art balinais, contribuant à façonner l'image de Bali comme une région "harmonieuse" et "cultivée", et à ainsi tenter d'atténuer les "connotations négatives" liées à la domination néerlandaise après la guerre (lien archivé ici).

"Le relief a été créé vers 1904, lorsque le nord de Bali était sous la domination coloniale hollandaise. C'est le premier relief créé qui s'écarte du style artistique traditionnel de la société balinaise", explique l'analyse.

Ce bas-relief a donc biété sculpté au Pura Meduwe Karang en 1904, et non au Panchavarnaswamy il y a 2.000 ans.

Le vélo, un héritage colonial représenté sur des bas-reliefs du 20e siècle

Selon cette même analyse, ce bas-relief n’est pas un cas isolé. L'étude montre que des objets modernes, comme des "avions", des "voitures", des "soldats saouls", et même des "cyclistes", ont été représentés dans d’autres temples de la région entre 1900 et 1930, tels que le Pura Dalem Jagaraga, situé à 5 kilomètres du Pura Meduwe Karang.

"Cela montre que des thèmes profanes et des symboles modernes ont pénétré dans le domaine sacré ou les lieux de culte balinais" souligne l'analyse iconologique.

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Capture d'écran sur TikTok (à gauche) d'un internaute pointant un bas-relief d'homme à vélo au Pura Dalem Jagaraga, avec croix ajoutée par l'AFP, et carte Google Maps (à droite) montrant la distance entre les temples Pura Meduwe Karang et Pura Dalem Jagaraga, au nord de Bali, en Indonésie, 24/02/2025.

D'autres images de représentations d'un homme à vélo ont été partagées par les internautes, parfois sans distinction du lieu où elles ont été prises. Des recherches d'image inversée on permis à l'AFP de retrouver la localisation de chacune de ces images.

D'une part, selon une image sur Wikimedia Commons de l'homme à vélo sur un mur noirâtre est situé au Panchavarnaswamy, un temple hindou construit au sud-est de l'Inde.

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Capture d'écran TikTok effectuée le 24/02/2025. Croix rouge ajoutée par l'AFP.

Selon Raghavan Srinivasan, l'idée selon laquelle ce temple aurait 2.000 ans est erronée, car la construction des temples en Inde n'a commencé qu'environ 500 ans après J.-C. : "Avant cette période, les temples étaient sculptés dans la pierre à partir d'un seul bloc. Ce type de temple autonome n'a vu le jour qu'à partir du 6e siècle [car] la technologie n'était pas encore au point à cette époque", explique l'expert.

D'autre part, l'image du bas-relief de l'homme à vélo sur un panneau de bois provient de la porte de palais conçue par l'artiste nigérian Aregogun d'Osi-Illori (1880-1954). Cette porte est, à ce jour, conservée en France, et plus précisément au musée du quai Branly, à Paris (lien archivé ici).

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Capture d'écran du site internet de l'Agence photo de la Réunion des Musées nationaux et du Grand Palais, faite le 24/02/2025, montrant une porte de palais datant de la première moitié du 20e siècle, attribuée à l'artiste nigérian Areogun d'Osi-Ilorin (1880-1954)

Des représentations anachroniques à travers le monde

Le bas-relief de l’homme à vélo n'est pas un cas unique, et d'autres images de bas-reliefs représentant des objets modernes, retrouvés dans des temples et monuments historiques, ont alimenté les théories de certains internautes.

En Espagne, la Nouvelle cathédrale de Salamanque a fait l’objet d’une rénovation entre 1992 et 1993, lors de laquelle des éléments modernes, comme un astronaute, ont été ajoutés par le sculpteur Miguel Romero, a affirmé Raúl Benito Calzada, technicien du patrimoine de la cathédrale à l'AFP. Dans ce même pays, le bas-relief d’un téléphone portable dans la cathédrale de Calahorra est une œuvre contemporaine, ajoutée lors de la rénovation de 1996, comme en témoigne la date inscrite sur la sculpture (lien archivé ici).

 "Il est donc important de distinguer ce qui appartient à la construction initiale et ce qui a été ajouté bien plus tard", analyse Raghavan Srinivasan.

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24 février 2025 corrige coquille dans le titre

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