Le nouveau secrétaire américain à la santé Robert F. Kennedy Jr. s''exprime après avoir prêté serment dans le bureau ovale. (AFP / ANDREW CABALLERO-REYNOLDS)

Les vaccins pas assez testés selon Robert Kennedy Jr ? Un argumentaire largement trompeur

  • Publié le 20 février 2025 à 15:52
  • Mis à jour le 20 février 2025 à 16:56
  • Lecture : 11 min
  • Par : Chloé RABS, AFP France
Robert Kennedy Jr a été confirmé à la tête du ministère de la Santé aux Etats-Unis, en dépit des inquiétudes de nombreux scientifiques et professionnels de santé en raison notamment de sa remise en cause de la sécurité des vaccins et de son soutien à des théories complotistes. L'ancien avocat en droit de l'environnement affirme en effet régulièrement que les vaccins ne sont pas assez testés, reprenant un argument largement relayé pendant la pandémie de Covid. Cependant, son argumentaire est largement trompeur. Les vaccins suivent une batterie de contrôles et d'essais cliniques avant d'être mis sur le marché. La surveillance continue après leur approbation.

Aussitôt nommé le 13 février 2025, le nouveau ministre américain de la Santé, Robert Kennedy Jr, a promis de s'attaquer aux institutions qui "volent la santé" des Américains, suggérant une possible refonte des autorités sanitaires

Relais régulier de nombreuses théories conspirationnistes, "RFK Jr" est connu pour ses positions hostiles aux vaccins, affirmant pêle-mêle que les vaccins seraient responsables de l'autisme ou que le Covid-19 serait un virus "ethniquement ciblé". 

De nombreux scientifiques et professionnels de santé ainsi que des élus démocrates avaient ainsi appelé à ne pas confirmer sa nomination. Mais depuis sa nomination, le septuagénaire a toutefois tâché de rassurer, déclarant défendre des politiques de "bon sens" en faveur du "consentement éclairé" de tous.

Avant de répéter sur Fox News qu'il ne "retirerait les vaccins de personne", tout en affirmant qu'il n'y avait "pas d'études de sécurité complètes sur la quasi-totalité des vaccins" (lien archivé ici).

Un argument qu'il a souvent répété ces derniers mois et qui est très repris sur les réseaux sociaux, afin de remettre en doute la sûreté des vaccins - et en particulier de ceux à destination des enfants.

"76 millions d'enfants en bonne santé sont obligés de se faire vacciner chaque année aux Etats-Unis… il n'y a aucun vaccin dans ce calendrier, aucun de ces 72 vaccins qui ait jamais fait l'objet d'une étude de sécurité préalable à l'homologation", avait-il par exemple affirmé dans cette vidéo partagée ensuite en français.

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Capture d'écran d'une publication réalisée sur X, réalisée le 18/02/2025.

Toutefois, les vaccins sont toujours soumis à des essais cliniques et à une évaluation approfondie par des experts scientifiques et médicaux de l'Agence américaine du médicament des États-Unis (FDA) avant d'être approuvés. Ils font ensuite l'objet d'une surveillance continue pendant toute la durée de leur commercialisation.

Processus d'autorisation des vaccins

Aux Etats-Unis, l'agence chargée de réglementer les vaccins est l'Agence américaine du médicament, la FDA (Food and Drug Administration), par l'intermédiaire du Centre de recherche et d'évaluation des médicaments (CBER).

Avant d'être approuvés, "les vaccins sont soumis à des tests parmi les plus rigoureux de toutes les interventions médicales", explique à l'AFP David Higgins, chercheur à l'Ecole de médecine de l'Université du Colorado (lien archivé ici).

"Les vaccins pédiatriques sont testés spécifiquement pour vérifier leur sécurité et leur efficacité chez les enfants avant d'être recommandés", précise-t-il encore.

La première étape se déroule en laboratoire. "Les scientifiques développent un vaccin en recherchant un antigène qui peut aider à apprendre au système immunitaire à reconnaître et à combattre les maladies", détaille sur son site le ministère américain de la Santé et des Services sociaux (lien archivé ici).

Lorsque les scientifiques ont trouvé le bon antigène, ils le testent en laboratoire "sur des échantillons de tissus ou de cellules et sur des animaux".

Il s'agit de la phase préclinique. A partir des résultats obtenus, les scientifiques évaluent ainsi la sécurité et l'efficacité du vaccin et déterminent s'il est prudent et pertinent de procéder à des tests sur l'homme.

Ensuite, ils font l'objet d'essais cliniques, "qui se déroulent en trois phases", développe David Higgins.

Phase 1 : Un petit groupe (généralement moins de 100 personnes) pour évaluer la sécurité initiale et la réponse immunitaire.

Phase 2 : Des centaines de participants pour évaluer plus en détail la sécurité, le dosage et la réponse immunitaire.

Phase 3 : Des milliers de participants pour confirmer l'efficacité, identifier les effets secondaires rares et comparer les résultats à ceux d'un placebo ou des traitements existants.

Les vaccins destinés aux enfants sont généralement testés selon une approche progressive, ajoute le ministère de la Santé. "Cela signifie que les essais cliniques commencent généralement par les adultes, puis par les adolescents, les enfants et les bébés."

Une fois les essais terminés, "les vaccins font l'objet d'un examen réglementaire au cours duquel toutes les données issues des essais précliniques et cliniques sont examinées de manière indépendante", continue David Higgins.

En effet, c'est alors au tour des experts médicaux et scientifiques de la FDA d'examiner les données "pour s'assurer que le vaccin est sûr et efficace et que les avantages l'emportent sur les risques" éventuels, explique le ministère.

"Après cette évaluation des informations cliniques et de fabrication, la FDA décide d'approuver ou non l'utilisation du vaccin." La liste de tous les vaccins approuvés aux Etats-Unis est disponible ici (lien archivé ici).

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Capture d'écran du site du ministère américain de la Santé, réalisée le 19/02/2025.

Si la FDA a approuvé le vaccin, le Comité consultatif sur les pratiques de vaccination (Advisory Committee on Immunization Practices, ACIP) - composé d'experts médicaux et de santé publique - examine alors à nouveau de son côté les données des essais cliniques, et décident de recommander ou non l'inclusion du vaccin dans le calendrier des vaccinations recommandées (lien archivé ici).

L'ACIP tient compte d'un certain nombre de considérations supplémentaires, comme la sécurité et l'efficacité du vaccin en fonction de l'âge auquel il est administré (lien archivé ici). Pour cela l'APIC utilise une méthode basée sur l'approche "GRADE" (Grading of Recommendations, Assessment, Development and Evaluation), comme expliqué ici (lien archivé ici).

Si l'ACIP recommande à son tour le vaccin, le directeur des Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) procède à un examen final et approuve ou refuse la recommandation.

Pour chaque vaccin, les CDC fournissent des tableaux de preuves GRADE, que l'on retrouve ici (lien archivé ici), où toutes les étapes validées par les vaccins sont détaillées.

Et même après avoir passé cette batterie de tests, les vaccins n'arrêtent pas d'être étudiés pour autant. "Même après leur approbation, les vaccins font l'objet d'une surveillance continue en vie réelle grâce à des systèmes tels que le Vaccine Adverse Event Reporting System (VAERS) et le Vaccine Safety Datalink (VSD) des CDC, afin de repérer tout effet indésirable rare", développe David Higgins.

D'autres systèmes de surveillance sont également mis en place, comme l'explique ici le ministère de la Santé américain, affirmant également que les Etats-Unis "disposent de l'un des systèmes de sécurité vaccinale les plus solides au monde" (lien archivé ici).

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Capture d'écran du site du ministère américain de la Santé, réalisée le 19/02/2025.

Cette surveillance permet de détecter des effets secondaires qui n'auraient pas été observés lors des essais cliniques, comme cela a été le cas pour le premier vaccin homologué contre le rotavirus, Rotashield.

Le vaccin - testé sur 11.000 enfants avant d'être approuvé par la FDA en 1998 - a été administré à environ 1 million d'enfants, lorsque le système VAERS a détecté une quinzaine de cas d’invagination intestinale (une forme rare d’occlusion intestinale), durant la semaine suivant l'administration de la première dose, comme le raconte l'hôpital pour enfants de Philadelphie sur son site (lien archivé ici).

Les CDC ont alors suspendu temporairement l'utilisation du vaccin en 1999 afin de faire des recherches supplémentaires. Leur analyse a conclu que 10 enfants vaccinés sur 100.000 souffraient d'invagination intestinale. Puisque seuls 11.000 enfants avaient été testés avant l'autorisation de mise sur le marché, il n'avait pas été possible de détecter un effet secondaire aussi rare.

"L'expérience du vaccin contre le rotavirus a eu pour conséquence qu'au moins 60.000 enfants ont dû être testés avant l'homologation du vaccin suivant", détaille l'hôpital.

Dans son argumentaire mettant en cause la sécurité des vaccins, Robert Kennedy Jr répète également que les vaccins devraient être testés "comme les autres médicaments", sous-entendant qu'ils ne le seraient pas, comme repris dans cette publication en français partagée sur X.

Une affirmation "trompeuse", selon David Higgins. "Les vaccins sont testés et contrôlés avec autant de rigueur, si ce n'est plus, que les médicaments approuvés par la FDA, et bien plus que de nombreux médicaments et compléments en vente libre que les gens utilisent fréquemment", déclare le chercheur.

Des essais contrôlés par placebo

Autre élément récurrent de son argumentaire, RFK Jr appelle à faire des "études contrôlées par placebo" pour les vaccins dont l'utilisation a déjà été prouvée, sans lesquelles on ne pourrait pas connaître les effets secondaires à long terme des vaccins.

Les essais contrôlés par placebo consistent à comparer les résultats d'un groupe recevant un traitement et d'un groupe n'en recevant pas, afin de s'assurer de l'innocuité et de l'efficacité du traitement.

Depuis l'été 2024, un visuel est ainsi très largement partagé en anglais et en français affirmant que "AUCUN des vaccins du programme de vaccination infantile du CDC n'a été testé contre un placebo dans un essai contrôlé randomisé en aveugle avec des critères d'évaluation cliniquement différents".

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Capture d'écran d'une publication sur X, réalisée le 19/02/2025.

Ce visuel, réalisé par le groupe anti-vaccins Informed Consent Action Network (ICAN), montre, selon le groupe, que 17 vaccins n'ont pas été autorisés par la FDA "sur la base d'un essai à long terme contrôlé par placebo".

On retrouve parmi eux les vaccins contre la coqueluche, la rougeole, les oreillons et la rubéole, le VPH, le COVID-19 ou la grippe. Mais cette affirmation est largement trompeuse.

Sur la plateforme Substack, Paul Offit, directeur du Vaccine Education Center de l'hôpital pour enfants de Philadelphie (lien archivé ici), explique que, pour l'ICAN, "les seuls véritables placebos sont l'eau ou l'eau salée, ce qui n'est pas vrai" (lien archivé ici).

"En effet, un large éventail de placebos a été utilisé dans les essais de vaccins. Ces placebos peuvent contenir des tampons, des agents stabilisants, des agents émulsifiants ou des adjuvants, comme des sels d'aluminium. Ils peuvent contenir du citrate de sodium, du phosphate de sodium, du saccharose ou du polysorbate-80. [...]Par conséquent, ils répondent tous aux critères de la FDA pour un placebo", développe le professionnel.

Les nouveaux vaccins développés pour lutter contre des maladies pour lesquelles il n'existe pas déjà de vaccin sont ainsi soumis à des essais contrôlés par placebo, comme cela a été le cas pour les vaccins contre le Covid-19 par exemple.

Toutefois, pour les maladies pour lesquelles il existe déjà un vaccin, la communauté médicale considère qu'il ne serait pas "éthique" de procéder à des essais contrôlés par placebo, car cela priverait des adultes ou des enfants d'un vaccin efficace qui pourrait les protéger.

"Tous les essais de vaccins ne sont pas contrôlés par placebo, et ce pour une bonne raison. Il arrive qu'un essai contrôlé par placebo ne soit pas réalisé parce qu'il serait contraire à l'éthique. Par exemple, lorsqu'on teste de nouvelles versions ou formulations de vaccins déjà approuvés, il serait contraire à l'éthique de donner un placebo aux enfants du groupe de contrôle. Cela reviendrait à priver les enfants d'un vaccin salvateur, ce qui les exposerait à un risque important de maladies graves et potentiellement mortelles", détaille ainsi David Higgins.

Dans ces cas-là, le groupe de contrôle reçoit le vaccin existant - déjà approuvé - et les résultats sont comparés à ceux du groupe qui reçoit le nouveau vaccin qui cherche à être approuvé.

"Imaginez que l'on propose aujourd'hui une expérience dans laquelle certains enfants seraient choisis au hasard pour utiliser des sièges auto pendant un an, tandis que d'autres n'en utiliseraient pas, à titre de placebo, afin de prouver l'efficacité de ces sièges. Il est clair que ce serait contraire à l'éthique, car nous disposons déjà de preuves irréfutables de l'utilité des sièges auto pour sauver des vies. Le même principe s'applique aux vaccins : il serait contraire à l'éthique de ne pas les administrer à un groupe afin de confirmer leur efficacité", soutient David Higgins.

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Une infirmière administre le vaccin ROR à un enfant le 29 avril 2019 à Provo, dans l'Utah. (GETTY IMAGES NORTH AMERICA / GEORGE FREY)

Epidémie de rougeole au Texas

Interrogé dans cet article de l'AFP, Paul Offit estime que l'ascension de RFK Jr. entraînera "une perte de confiance dans les vaccins" et se traduira par une diminution des taux de vaccination infantile dans le pays, déjà en baisse depuis la pandémie de Covid-19, faisant craindre le retour de maladies comme la rougeole ou la coqueluche (lien archivé ici)

Près de 50 cas de rougeole ont d'ailleurs récemment été recensés au Texas, selon un rapport des autorités locales le 14 février (lien archivé ici), témoignage du retour en force de cette maladie très contagieuse qui avait été quasiment éradiquée grâce à la vaccination.

Toutes les personnes affectées par cette maladie "ne sont pas vaccinées ou leur statut vaccinal est inconnu", ont précisé les autorités texanes. Et "treize des malades ont été hospitalisés".

La quasi-totalité des malades (42) est âgée de moins de 18 ans, dont 13 de moins de quatre ans. Aux Etats-Unis, la proportion d'enfants en maternelle vaccinés contre la rougeole est passée de 95% en 2019 à moins de 93% en 2023, avec des diminutions plus importantes localement.

Si le vaccin contre la rougeole est obligatoire, de plus en plus de parents ont recours à des exemptions "non-médicales", explique à l'AFP Terri Burke de l'association locale The Immunization Partnership, qui promeut la vaccination.

Au Texas comme dans de nombreux Etats américains, les parents peuvent invoquer par exemple une raison religieuse pour obtenir une dérogation.

Robert Kennedy Jr a faussement assuré à plusieurs reprises qu'il existait un lien entre le vaccin ROR (rougeole, oreillons et rubéole) et l'autisme. Mais l'étude à l'origine de cette théorie, publiée 1998, s'est avérée être manipulée (elle a été rétractée depuis) et des travaux postérieurs ont démontré l'absence de lien, comme expliqué dans cet article de vérification de l'AFP qui revient sur les multiples infox relayées par le nouveau ministre de la Santé américain.

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