Un navire méthanier au terminal de Montoir-de-Bretagne le 10 mars 2022 (AFP / LOIC VENANCE)

La France importe "très très très peu" de gaz russe ? Pas si simple

  • Publié le 20 février 2025 à 17:27
  • Mis à jour le 20 février 2025 à 18:18
  • Lecture : 18 min
  • Par : Gaëlle GEOFFROY, AFP France
Malgré la guerre en Ukraine, les importations de gaz russe dans l'Union européenne ont toujours cours, cette source d'énergie n'étant pas frappée d'embargo, contrairement au pétrole et au charbon. Les volumes livrés ont néanmoins été divisés par trois depuis l'invasion russe de février 2022. Dans ce contexte, le président de L'Union de la droite républicaine, Éric Ciotti, a affirmé récemment que la France "n'achète plus" de gaz à la Russie, ou alors "très très très peu". Or, si la France a nettement réduit ses importations totales de gaz russe, la part de celles sous forme liquide (GNL) progresse : en 2024, la Russie était le deuxième fournisseur de GNL de la France, elle-même première importatrice de GNL russe de l'UE.

Deux jours après le retour au pouvoir de Donald Trump le 20 janvier 2025, Eric Ciotti, président de L'Union de la droite, alliée du Rassemblement national, louait sur Sud Radio son "volontarisme politique", tout en estimant qu'en matière de commerce il "méprise ce que l'on représente parce qu'on est faibles et impuissants".

Prenant l'exemple du commerce international et des approvisionnements en gaz, il a rappelé que Trump, "lui ce qu’il veut c'est notamment nous vendre son gaz". "Moi je préférerais qu'on achète du gaz aux Américains plutôt qu'aux Algériens", qui "nous insultent, nous méprisent", a-t-il souligné, en référence aux tensions diplomatiques entre Paris et Alger (archive).

Ou acheter "aux Russes ?", avance alors le journaliste Jean-Jacques Bourdin. "Aux Russes on n'en achète plus", répond M. Ciotti. "Très très très peu, ou de façon détournée", ajoute-t-il, alors que Jean-Jacques Bourdin évoque les achats "avec l'Europe". Alors qu'"on achète du gaz, du GNL, aux Algériens, [...] on doit discuter de ces questions", plaide encore M. Ciotti.

L'échange est isolé dans cette vidéo du tweet ci-dessous et ici à partir de 18 minutes 50 secondes :

Sollicité par l'AFP, l'entourage d'Eric Ciotti n'avait pas apporté de précisions sur ces déclarations au moment de la publication de notre article.

Mais comme nous allons le voir, si les importations totales de gaz russe tant dans l'Union européenne qu'en France ont nettement reculé avec le tarissement des flux par gazoducs après l'invasion russe de février 2022, la Russie reste sur le podium de leurs principaux fournisseurs grâce au développement des importations de gaz naturel liquéfié (GNL) par navires.

La consommation française de gaz ayant reculé ces dernières années, le gaz importé dans les ports méthaniers français est réexporté vers des pays tiers, notamment européens : la France est aujourd'hui une des principales portes d'entrée du GNL en Europe, expliquent des experts.

Un commerce tout à fait légal, puisqu'aucune sanction ne s'applique pour l'heure à l'encontre du gaz russe. Les questions de dépendance qu'il soulève suscitent néanmoins des appels réguliers d'ONG à la France et l'UE à cesser ces importations qui alimentent des flux financiers vers des sociétés russes (archive).

Montée en puissance du GNL

Le gaz naturel peut être transporté sous deux formes : gazeuse - il est alors transporté par gazoducs terrestres ou sous-marins - ou liquide, le GNL (gaz naturel liquéfié), transporté par navires méthaniers (archive). Un transport coûteux, et qui nécessite notamment de refroidir le gaz à -160 degrés pour le liquéfier. Il faut ensuite le regazéifier une fois déchargé dans les ports. Mais en diminuant son volume de 600 fois, sa liquéfaction permet de le transporter et le stocker plus facilement.

Avec la guerre en Ukraine, la place de la Russie dans les importations de gaz de l'Union européenne a reculé.

Les volumes totaux de gaz russe (gazeux + liquéfié) livrés à l'UE ont été divisés par quasiment trois entre 2021 et 2024, passant de 157 milliards de mètres cubes (bcm) à 54,45 bcm, selon des données compilées fin janvier 2025 par l'Institut Bruegel auprès du Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport de gaz (Entsog), de l'association des opérateurs de structures de transport de gaz Gas infrastructure Europe (GIE) et de Bloomberg (archive). Avec ces volumes, la Russie est passée de 2021 à 2024 de premier à deuxième fournisseur de gaz de l'UE, derrière la Norvège (99,03 bcm), mais devant les Etats-Unis (51,31 bcm).   

La part du gaz russe (gazeux et GNL) dans les importations totales de l'UE est ainsi passée de 43% en 2021 à 18% en 2024, selon les calculs de l'AFP à partir de ces données.

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Capture d'écran, réalisée le 6 février 2025, d'un graphique de l'institut Bruegel retraçant les importations européennes de gaz par pays source de 2021 à 2024

Entre 2021 et 2024, la part des livraisons russes dans le gaz acheminé par gazoducs a chuté de 52% à 18%, a calculé Lionel Ragot, professeur d'économie à l'Université Paris Nanterre et conseiller scientifique au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), à partir de ces données de l'Institut Brugel, comme il l'a expliqué à l'AFP le 18 février 2025 (archive).

Des robinets se sont progressivement fermés, tarissant certaines routes du gaz russe - notamment dernièrement avec la fin du transit du gaz russe par l'Ukraine au 1er janvier 2025 après le non-renouvellement par l'Ukraine d'un accord russo-ukrainien (archive).

Avec son plan REPowerEU, l'UE a en outre engagé une politique de diversification de ses approvisionnements et des efforts de sobriété énergétique. Objectif : cesser toute importation d'énergies fossiles russes, dont le gaz, à l'horizon 2027 (archive). Le 26 mars 2025, la Commission européenne présentera sa feuille de route pour y parvenir.

Mais si l'UE a pris plusieurs paquets de sanctions à l'encontre de la Russie, en particulier un embargo sur le pétrole et le charbon, le gaz russe importé sur le territoire européen n'était jusque-là pas touché (archive). Le 24 juin 2024, un quatorzième train de sanctions a été adopté, prévoyant d'interdire, progressivement à compter de mars 2025, les seuls transbordements de GNL russe sur des navires le réexportant ensuite vers des pays hors de l'UE. Le GNL russe restant sur le sol européen ne sera donc pas concerné.

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Un terminal flottant de regazéification au port de Lubmin, sur la côte nord-est de l'Allemagne, le 14 janvier 2023 (AFP / JOHN MACDOUGALL)

Dans ce contexte, le GNL russe (acheminé par navires), dont la part dans les importations européennes de gaz liquéfié était passée de 19% en 2021 à 15% en 2022 et 13% en 2023, est remontée à 19% en 2024, relève Lionel Ragot, de l'Université Paris Nanterre.

En 2024, les importations européennes de GNL russe "ont augmenté de 17% sur un an, confortant la position de la Russie comme deuxième plus gros fournisseur de GNL de l'Europe", alors que les importations totales de GNL de l'UE reculaient dans le même temps de 18%, a d'ailleurs relevé l'Agence internationale de l'énergie (AIE) dans son rapport pour le 1er trimestre 2025 publié le 21 janvier (archive).

"L'UE a eu peur que son économie et son industrie ne soient très fortement affectées [si elle se passait du gaz russe, NDLR]. Et encore aujourd'hui, la Russie reste un gros fournisseur de gaz, on ne peut pas faire complètement sans pour l'instant", résume Lionel Ragot.

Ceci sans compter qu'il est impossible de dénouer des contrats de long terme scellés avec des sociétés russes sans risquer des pénalités financières prévues dans les clauses de ces contrats.

Dans son rapport, l'AIE relève que les livraisons de GNL russe "restent hautement concentrées" vers trois pays - la Belgique, la France et l'Espagne - qui représentent 85% de ces importations.

Interrogé par l'AFP, le ministère de l'Economie a souligné le 18 février que "les autorités françaises soutiennent fortement l'objectif européen de se défaire dès que possible de la dépendance aux importations de gaz, de pétrole et de charbon en provenance de Russie". Et de rappeler que "conformément à la réglementation du marché intérieur du gaz naturel, la responsabilité des importations repose en premier lieu sur les fournisseurs" de ce gaz.

Régulièrement montré du doigt pour ses importations de GNL en provenance de Yamal LNG, immense champ d'extraction de gaz en Sibérie dont il détient 20%, le géant français TotalEnergies souligne agir en conformité avec les "décisions de l'Union européenne de maintenir à ce stade l'approvisionnement en gaz russe". Le groupe continue ainsi à "assurer l'approvisionnement de l'Europe en gaz naturel liquéfié à partir de l'usine de Yamal LNG, dans le cadre de contrats longs termes qu'elle se doit d'honorer" - contrats prévoyant un "volume fixe annuel" d'importation de 5 millions de tonnes, a-t-il précisé à l'AFP le 17 février. 

Les livraisons de GNL russe en France ne compensent pas le tarissement de celles par gazoducs

Comme au niveau européen, la part des importations en France de gaz russe gazeux et liquide a nettement reculé depuis 2021. C'est ce que montrent ces données du ministère de la Transition écologique compilées par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) dans ce graphique issu de son rapport 2020-2023 sur les interconnexions électriques et gazières françaises  (archive) :

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Capture d'écran, réalisée le 17 février 2024, d'un graphique représentant l'évolution des importations de gaz naturel de la France par origine entre 1990 et 2023, issu du rapport 2020-2023 de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) sur les interconnexions électriques et gazières françaises

De 22% en 2021, la part des livraisons russes dans les importations totales de gaz de la France est passée à 14% en 2022 puis 12% en 2023, à égalité avec l'Algérie (derrière la Norvège à 32% et les Etats-Unis à 24%), selon la CRE.

Alors que la France était déjà moins dépendante au gaz russe que certains autres pays européens, Gazprom a cessé de lui fournir du gaz via gazoducs à partir de l'été 2022, rappelle Francis Perrin, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et chercheur associé au Policy Center for the New South, à Rabat (archive).

Aujourd'hui "la France importe encore du gaz russe sous forme de gaz naturel liquéfié et a même augmenté récemment ses importations de GNL, mais cela ne compense pas la chute des exportations de gaz par gazoduc", a-t-il souligné dans un email à l'AFP le 13 février 2025.

"On achète donc encore du gaz russe mais nettement moins qu'avant. Est-ce 'très peu' [comme le dit Eric Ciotti, NDLR] ? Plutôt 'peu' que 'très peu'", juge-t-il.

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Un navire méthanier près du terminal de Cavaou, à Fos-sur-Mer, dans le sud-est de la France, le 22 juin 2023 (AFP / CLEMENT MAHOUDEAU)

Quelle était la part des livraisons russes dans les importations totales de gaz de la France en 2024 ? Nous n'avons pas été en mesure de l'établir précisément auprès des autorités, les données étant incomplètes au moment de la parution de notre article. Le gestionnaire du réseau de transport de gaz NaTran (ex-GRTgaz) a, lui, renvoyé à sa conférence annuelle du 4 mars 2025 (archive).

Seules des données du service statistiques du ministère de la Transition écologique pour 2023 sont disponibles. Elles montrent que la Russie était alors le troisième fournisseur de gaz de la France (en terawattheures), derrière la Norvège et les Etats-Unis (archive).

Le bilan du commerce extérieur 2024 de la France publié sur le site des Douanes confirme, lui, que "la France a nettement réduit sa dépendance aux hydrocarbures originaires de Russie", et qu'elle "n'importe plus de pétrole et de gaz gazeux de Russie mais a accru ses importations de GNL originaires de ce pays" - sans toutefois chiffrer les montants importés (archive).

Pour Francis Perrin, "on serait sans doute sur une part de la Russie de 10-12%" dans les importations françaises totales de gaz en 2024.

Hausse de 81% des importations de GNL russe en 2024

Concernant le seul GNL, la place des livraisons russes dans les approvisionnements de la France a diminué ces dernières années. "Le principal fournisseur en France était l'Algérie jusqu'en 2018, puis la Russie de 2019 à 2021, puis les États-Unis depuis 2022", rappelle  Ana Maria Jaller-Makarewicz, analyste énergie pour la zone Europe à l'Institute for energy economics and financial analysis (IEEFA), dans un rapport sur les infrastructures dédiées au GNL en France publié en octobre 2023 (archives 12).

Mais des données compilées par des instituts de recherche auprès des gestionnaires de réseau de transport de gaz et de sociétés d'analyse des échanges internationaux montrent que la Russie était en 2024 le deuxième fournisseur de GNL de la France, elle-même premier pays importateur de GNL russe de l'UE. 

Alors que ses importations de GNL toutes sources confondues reculaient de 13%, à 25,3 bcm, "la France a dépassé l'Espagne pour devenir le premier importateur de GNL russe en 2024", avec une hausse de 81% de ces importations sur l'année, a indiqué l'IEEFA dans une étude publiée le 18 février 2025 (archive). "Environ un tiers (34%) des importations de GNL de la France en 2024 provenaient de Russie", qui était son deuxième fournisseur de GNL, derrière les Etats-Unis (38%) et devant l'Algérie (17%).

"Entre janvier et novembre 2024, la France a dépensé environ 2,68 milliards d'euros dans du GNL russe, plus qu'aucun autre pays de l'Union européenne", a précisé l'IEEFA, qui travaille sur des données notamment de la société de data intelligence Kpler, de Gas Infrastructure Europe, des capacités européennes de stockage de GNL et du service de statistiques de la Commission européenne Eurostat.

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Volumes de gaz naturel liquéfié (GNL) exportés en 2024 vers les pays européens (Sabrina BLANCHARD / AFP)

C'est ce qui fait dire à Phuc-Vinh Nguyen, chef du Centre énergie de l'Institut Jacques Delors, que les affirmations d'Eric Ciotti sur une supposée faiblesse des importations de gaz russe sont "factuellement fausses", comme il l'a estimé auprès de l'AFP le 3 février 2025 (archive).

Elles "ne sont malheureusement pas corroborées par nos données", a confirmé Vaibhav Raghunandan, analyste UE et Russie au Centre for research on energy and clean air (CREA), un centre de recherche finlandais indépendant qui traque notamment les exportations d'énergies fossiles de Moscou (archives 1, 2), le 28 janvier 2025.

Les données de Kpler analysées par CREA fin janvier 2025 rejoignent celles diffusées par l'IEEFA : elles montrent un rebond de 74% en 2024 par rapport à 2023, à 8,14 bcm. "Ceci malgré une baisse de 11% sur un an du total des importations de GNL" de la France, souligne Vaibhav Raghunandan. 

"La Russie et l'Algérie (+3%) sont les seuls fournisseurs [de la France, NDLR] dont les exportations de GNL ont augmenté l'an passé", précise-t-il.

En ce début 2025, les importations de GNL russe dans les ports français restent dynamiques. Sur le seul mois de janvier, alors que les importations françaises de GNL toutes sources confondues restaient quasi-stable (+0,5%), les importations de Russie progressaient de 25% par rapport à décembre, représentant plus d'un tiers des importations totales et un montant de 377 millions d'euros, a précisé Vaibavh Raghunandan le 6 février.

"Plaque tournante"

Alors que la consommation de gaz de la France a baissé de 20% entre 2021 et 2023 (dont -11,4% en 2023) sous l'effet d'un climat plus doux et des efforts de sobriété énergétique, tout le GNL russe qui arrive en France n'est cependant pas consommé sur place (archive).

Difficile toutefois de savoir ce qu'il devient précisément. Une fois injecté dans le réseau français de transport de gaz, il est en effet mélangé à d'autres. "A partir du moment où le gaz arrive dans un terminal français, il devient du gaz français et vous ne pouvez plus distinguer son origine", a expliqué Ana Maria Jaller-Makarewicz, de l'IEEFA, à l'AFP le 30 janvier 2025.

"Le fournisseur de gaz naturel peut livrer le gaz naturel figurant dans son bilan gazier à des consommateurs français de gaz naturel, le revendre à un autre fournisseur de gaz naturel ou l'exporter. Lors de ces opérations, le vendeur de gaz naturel n'a pas d’obligation de déclarer à l'acheteur l'origine du gaz naturel", précise Bercy.

C'est pourquoi un collectif d'ONG belges, allemandes et ukrainiennes dénonce un "manque de transparence qui permet à la Belgique, la France et l'Allemagne de fuir leur responsabilité" vis-à-vis de ce commerce avec des sociétés russes. Dans un rapport publié le 29 janvier, elles réclament "l'application d'une interdiction totale du GNL russe dans l'UE" (archive).

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Un réservoir de gaz naturel liquéfié au terminal de Dunkerque, dans le nord de la France, le 6 juin 2015 (AFP / DENIS CHARLET)

De fait, la France est devenue "une plaque tournante, sinon la plaque tournante", du réexport de gaz en Europe, en raison de "son appartenance à l'UE, de sa position assez centrale en Europe en termes de routes gazières et de ses terminaux de GNL", explique Francis Perrin, de l'Iris.

Avec sa longue façade maritime et ses cinq ports méthaniers, elle a développé ces dernières années ses infrastructures dédiées à la réception, au stockage et à l'acheminement du GNL venu de tous horizons (archive). Depuis début 2022, ses capacités d'importation de GNL ont augmenté de 20%, à 39,5 bcm, selon l'IEEFA.

Concernant les livraisons de GNL russe, le terminal méthanier de Dunkerque est devenu ces derniers mois une infrastructure clé, estiment des analystes et le rapport du collectif d'ONG.

Plaque tournante du commerce du gaz en Europe, la France en réexporte donc beaucoup vers d'autres pays européens, notamment la Belgique et l'Allemagne, et non européens. Ce sont les cargaisons de GNL russe à destination des pays hors UE, notamment l'Asie, que l'UE interdira à partir du printemps 2025.

"Très clairement cela va compliquer l'équation pour la Russie, alors que 20% du gaz russe qui arrive dans l'UE est réexporté hors UE", estime Phuc-Vinh Nguyen, à l'Institut Jacques Delors (archive). "Mais un des risques, c'est que ce gaz reste en Europe. Dans ce cas, l'UE augmenterait sa dépendance", met-il en garde, en soulignant la nécessité pour elle de fixer des cibles de réduction de la consommation de gaz par Etat membre. 

GNL russe moins cher que ses concurrents

Pour certains analystes, la forte hausse des importations françaises de GNL russe en 2024 peut s'expliquer par une progression des réexportations, au moment où le gaz russe était moins cher que ses concurrents.

"Par exemple les exportations vers la Belgique ont augmenté de 10% sur les six premiers mois de 2024. La raison est simple : un prix plus avantageux, qui s'est traduit aussi dans l'augmentation des transactions sur le spot market [marché au comptant avec livraison immédiate, NDLR]", explique Phuc-Vinh Nguyen, de l'Institut Jacques Delors.

Bercy souligne de son côté que "plusieurs sociétés européennes, qui avaient réservé des capacités dans les terminaux méthaniers français, utilisent désormais ces capacités pour importer des quantités croissantes de GNL russe". Dans ce contexte, la hausse de 80% enregistrée en 2024 "est en particulier liée à une société, n’ayant pas une activité importante sur le marché français de la fourniture de gaz naturel", a indiqué le ministère, sans toutefois la nommer.

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Un terminal gazier à Zeebrugge, sur la côte belge, le 14 février 2023 (AFP / JOHN THYS)

Diversification

Pour affirmer sa "force", la France pourrait-elle réduire ses approvisionnements en GNL algérien et augmenter ceux en GNL américain, comme le suggère Eric Ciotti ?

C'est une vision "court-termiste", juge Phuc-Vinh Nguyen, de l'Institut Jacques Delors.

La France a très largement développé ses importations de GNL américain ces dernières années. Inexistantes jusqu'en 2017 selon des séries longues de données du service statistique du ministère de la Transition écologique, elles ont progressivement augmenté, à la faveur du boom du GNL aux Etats-Unis - devenus en 2023 premier exportateur mondial - jusqu'à représenter cette année-là la deuxième source d'importations de gaz de la France (117 terawattheures), derrière la Norvège (152 TWh) et devant la Russie (59 TWh) (archive). L'Algérie se classait alors quatrième fournisseur (56 TWh), devant le Qatar (25 TWh), les Pays-Bas (19 TWh) et le Nigeria (5 Twh) (archive).

Des données transmises par l'AIE à l'AFP et exprimées, elles, en milliards de mètres cubes, montrent aussi cette montée en puissance des importations de GNL américain (11,83 bcm en 2023 contre 2,65 bcm en 2021), tandis que les importations de GNL algérien restaient relativement stables (4,07 bcm en 2023 contre 3,80 bcm en 2021) et que les importations totales de gaz russe reculaient (6,01 bcm en 2023 contre 10,76 bcm en 2021).

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Le président américain Donald Trump lors d'une visite du chantier du terminal d'exportation de GNL de Cameron, à Hackberry, en Louisiane, sur la côte sud-est des Etats-Unis, le 14 mai 2019 (AFP / BRENDAN SMIALOWSKI)

Ensuite, comparer approvisionnements en gaz algérien et américain, "c'est un peu comme comparer des choux et des carottes", souligne Phuc-Vinh Nguyen : le GNL américain s'échange sur un marché mondial, entre sociétés privées, où "c'est le plus offrant qui l'emporte", alors que pour le gaz algérien qui approvisionne l'Union européenne, transporté essentiellement par gazoducs, les points d'entrée dans la région sont fixes : "on ne peut pas être sûr qu'un pays qui est aujourd'hui un point d'entrée du gaz algérien par gazoduc [et qui souhaiterait réduire les quantités importées, NDLR] serait en mesure d'emporter les cargaisons américaines sur le marché du GNL".

"Dans la logique de diversification des approvisionnements, l'Algérie peut jouer un rôle", ajoute-t-il, en rappelant que "le GNL américain est structurellement très cher comparé au gaz arrivant par gazoduc".

En théorie, il serait possible pour les groupes français Engie ou TotalEnergies de ne pas renouveler les contrats signés avec la Sonatrach algérienne à leur expiration, complète Francis Perrin, de l'Iris. "Mais [...] cela pourrait diminuer la forte diversification des approvisionnements de la France, qui est un atout - comme la guerre en Ukraine l'a bien montré -, et il y aurait un coût économique".

Tout ceci sans compter l'impact écologique du GNL américain, issu de l'exploitation de champs de schistes - interdite en France -, comme le soulignent certains économistes (archives 12).

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