Une employée ramasse des champignons shiitake à Strasbourg, le 21 février 2018. (AFP / FREDERICK FLORIN)

Attention, rien ne prouve que le shiitaké aide à éliminer un papillomavirus

Près de 80 % de la population sera infectée par le virus HPV au cours de sa vie, selon la Haute Autorité de Santé. Il n'existe aucun traitement pour cette infection mais, dans 90 % des cas, le système immunitaire l'élimine spontanément. De nombreuses personnes sur les réseaux sociaux affirment qu'un champignon japonais - le shiitaké - permet d'aider à éliminer ce virus. Mais c'est faux, répondent les experts interrogés par l'AFP, car rien ne prouve que cet aliment aurait des bénéfices. Les quelques études le mentionnant ne permettent pas de tirer de conclusions.

"Tu veux éliminer ton papillomavirus ?" Sur les réseaux sociaux, en particulier sur TikTok, de nombreuses vidéos font la promotion de compléments alimentaires formulés à base de AHCC - un dérivé du champignon shiitaké - affirmant ou sous-entendant que ce produit aiderait à combattre et à éliminer un papillomavirus (1, 2)

"J’ai eu un HPV16 qui m’a pourri la vie jusqu’à ce que je m’éduque et m’entoure d’experts scientifiques pour booster naturellement mon système immunitaire et éliminer mon papillomavirus", témoigne ainsi cette utilisatrice de TikTok. "Tu peux faire de même! Aujourd’hui notre laboratoire en France vient de finaliser notre 1er produit qui est disponible pour vous toutes", continue-t-elle en renvoyant vers sa marque.

Sur son site, on retrouve ce fameux "Booster d'immunité" à base d'AHCC qui permettrait d'améliorer "significativement votre capacité à combattre le papillomavirus". Dans ses conseils d'utilisation, la marque propose une "cure de prévention" de 2 gélules par jour pendant trois mois et une "cure d'attaque" de 6 gélules par jour pendant trois à six mois, au prix de 69 euros pour 60 gélules.

En anglais, de nombreuses vidéos font également la promotion de cet aliment : "Saviez-vous qu'il y a un champignon qui permet d'éliminer le HPV ?", peut-on par exemple lire sur cette publication.

Cependant, il n'existe en réalité aucun traitement pour lutter contre une infection à papillomavirus et rien ne prouve que le shiitaké aiderait à éliminer plus rapidement le virus, expliquent les experts interrogés par l'AFP.

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Capture d'écran d'une publication sur TikTok, réalisée le 13/02/2025.

Qu'est-ce qu'une infection HPV ?

HPV est l'abréviation de Human papillomavirus, pour papillomavirus humains. Il s'agit d'une famille de virus communs "qui se transmettent très facilement, quasiment exclusivement par contact sexuel avec ou sans pénétration", explique sur son site la Haute Autorité de Santé (lien archivé ici). 

Près de 80 % de la population sera infectée par un papillomavirus au cours de sa vie. Il s’agit de l’infection sexuellement transmissible (IST) la plus fréquente.

"L'infection s'acquiert rapidement lors des premiers contacts sexuels", explique Jean-Luc Prétet, directeur du Centre national de référence sur les papillomavirus (lien archivé ici).

"Mais dans plus de 90 % des cas, l'infection s'élimine spontanément dans les 2-3 ans", rassure-t-il.

Dans les cas où l'infection persiste, elle peut entraîner - plusieurs années plus tard - des lésions au niveau du col de l'utérus, qui peuvent dans certains cas évoluer vers un cancer.

"Il y a plus de 200 espèces de papillomavirus différentes, mais seuls certains qu'on appelle 'HPV à haut risque' sont responsables de la quasi-totalité des cancers. A eux seuls, HPV16 et HPV18 en causent plus des trois quarts", détaille Nicolas Tessandier, chercheur à l'Institut Exposum de l'Université de Montpellier (lien archivé ici).

Chaque année, plus de 1.100 personnes décèdent d'un cancer du col de l'utérus et plus de 3.100 nouveaux cas sont détectés.

Peut-on traiter l'infection à HPV ?

"Il n’y a pas de traitement pour l’infection à HPV. Dans 90 % des cas environ, notre système immunitaire l’élimine spontanément", indique sur son site la HAS. 

Mais quant aux facteurs qui participent à la clairance - l'élimination de l'infection - "c'est une grande question qui n'est pas résolue aujourd'hui, même si on a quelques pistes", explique Jean-Luc Prétet.

La première piste, c'est "le hasard", décrit Nicolas Tessandier. "Les HPV infectent des cellules qui vont ensuite se diviser. Si toutes les particules de HPV sont localisées dans une cellule qui plus tard va mourir, l'infection peut disparaître comme ça, simplement grâce au hasard", détaille-t-il.

"L'autre composant, c'est la réponse immunitaire", ajoute le chercheur qui a justement mené une étude pour comprendre la dynamique virale et immunitaire dans les infections non persistantes au HPV (lien archivé ici).

"La clairance des HPV semble étroitement liée à l'activation de la réponse immunitaire locale. Les cellules T gamma-delta et les concentrations de la cytokine CXCL10 sont associées à une meilleure élimination du virus. En revanche, les infections persistant pendant plus de 4 mois étaient caractérisées par une diminution des cellules T CD4+ et de faibles niveaux d'IL-17A, suggérant une réponse immunitaire moins efficace dans ces cas", écrivent les auteurs.

"On sait que la réponse immunitaire joue un rôle, mais il n'y a encore aucune solution thérapeutique adaptée par rapport à ces découvertes-là", décrypte Nicolas Tessandier.

Shiitaké et HPV

Face au manque de connaissances et à la peur que peut susciter l'annonce de l'infection, beaucoup sont ainsi tentés de se tourner vers les réseaux sociaux pour trouver des réponses et des pistes de solutions.

"Dans les infections par HPV, il faut laisser du temps au temps. Mais les gens vont rapidement faire des recherches sur internet et tomber sur des blogs qui proposent un tas de prétendus remèdes. Des patientes nous appellent très régulièrement au centre national de référence pour nous demander ce que l'on pense du shiitaké", raconte Jean-Luc Prétet.

Pourtant, il n'y a "aucun élément de preuve de l'efficacité du shiitaké sur l'infection par HPV", soutient-il.

"Il est totalement illusoire de laisser penser que l'on va régler le problème du papillomavirus avec quelques gélules de compléments alimentaires, c'est vraiment dangereux", alerte Françoise Salvadori, maîtresse de conférences en immunologie à l’université de Bourgogne (lien archivé ici).

"Il ne faudrait surtout pas laisser penser que l'immunité naturelle - sans prendre de shiitaké ou d’autres choses - ne soit pas suffisante pour éliminer l’infection", ajoute-t-elle.

En faisant une recherche sur PubMed - une bibliothèque en ligne d’études scientifiques médicales - pour "AHCC & HPV", on tombe sur deux études, l'une de 2019 et l'autre de 2022.

Plus tôt, en 2014, plusieurs sites s'étaient fait l'écho d'une autre étude sur le même sujet. "Papillomavirus : le traitement à partir d'un champignon japonais porte ses fruits", titrait ainsi Top Santé.

Cependant, les expériences menées dans ces études ne sont pas convaincantes, pointent les experts interrogés par l'AFP.

Tout d'abord, les études en question ont été menées par le même groupe de chercheurs de l'école de médecine de Houston, au Texas. L'auteure principale, Judith A Smith, a déclaré "avoir bénéficié de diverses subventions de recherche sans restriction pour soutenir les études précliniques sur l'AHCC avant 2014 de la part d'Amino Up", une entreprise japonaise de biotechnologie qui vend de l'AHCC.

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Capture d'écran d'une étude sur le AHCC et le HPV, réalisée le 13/02/2025.

Dans le fond, les études semblent "assez faibles et légères" souligne Françoise Salvadori. "La période d'étude est très courte, le nombre de personnes [50 femmes, NDLR] est très limité et ils n'ont même pas recherché les souches particulières de HPV portées par ces femmes alors qu'il n'y en a que quatre principalement qui sont impliquées dans les cancers."

De son côté, Jean-Luc Prétet met en avant plusieurs autres éléments qui "nuisent à la méthodologie".

"Même si les études trouvées montrent qu'il y a plus de femmes qui éliminent le virus quand elles sont traitées par la molécule que celles qui prennent le placebo, la méthodologie peut être questionnée. En particulier, les cohortes de patientes sont mal décrites, on ne connais pas les HPV présents, on ne sait pas si il y a une répartition égale de femmes avec et sans lésions dans les groupes traités et placebo, autant de facteurs qui peuvent influencer l’élimination spontanée de l’HPV. Il est donc difficile de tirer des conclusions", détaille-t-il.

Un autre élément interpelle Nicolas Tessandier : les deux seules études scientifiques internationales ont été publiées dans la même revue Frontiers in Oncology, une revue qui n'apparaît pas dans la liste des revues recommandées par la Conférence des Doyens de médecine, publiée par la Faculté de Santé de Sorbonne Université, afin de lutter contre les revues prédatrices (lien archivé ici).

"Tout journal biomédical qui ne figure pas dans cette liste est potentiellement considéré comme peu fiable, donc là, c'est un signal d'alerte", explique ainsi le chercheur.

"Une revue prédatrice est une revue qui ne suit pas les recommandations internationales des éditeurs de revues scientifiques et qui a comme priorité le profit réalisé aux dépens de toute considération de qualité de ce qui est publié. L’évaluation préalable critique et indépendante par les pairs est absente ou falsifiée, la vérification de la conformité éthique et réglementaire de la recherche ignorée ou négligée, et le processus d’évaluation de la qualité scientifique absent ou déficient", explique l'Université.

Ainsi, il n'y a donc "aucun élément formel dans la littérature scientifique prouvant que prendre un dérivé du shiitaké permettrait d'éliminer l'infection à HPV", résume Jean-Luc Prétet.

Le seul moyen d'éradiquer ce virus "reste la vaccination", rappelle Françoise Salvadori.

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Une infirmière injecte une dose de vaccin contre le papillomavirus humain (HPV) dans le bras d'une collégienne au collège Théodore Monod à Vern-sur-Seiche, dans la banlieue de Rennes, dans l'ouest de la France, le 9 octobre 2023. (AFP / DAMIEN MEYER)

Efficacité de la vaccination

Selon Santé publique France, le cancer du col de l'utérus "reste un problème de santé publique majeur", qui serait "évitable grâce à la vaccination anti-HPV et au dépistage".

La vaccination contre les papillomavirus humains, qui cible les types du virus responsables de la plupart des cancers du col de l'utérus, prévient jusqu'à 90% des infections HPV à l'origine de cancers, comme expliqué dans cet article de l'AFP (lien archivé ici).

En France, cette mesure de prévention est recommandée pour les adolescentes - depuis 2017 - et les adolescents - depuis 2021 - de 11 à 14 ans révolus, avec un rattrapage possible entre 15 et 19 ans.

Et depuis l'année scolaire 2023-2024, les élèves de 5ème peuvent être vaccinés, sous réserve d'une autorisation de leurs deux parents, dans tous les collèges publics et les établissements privés volontaires.

La vaccination n'éliminant pas totalement le risque de développer un cancer du col de l'utérus, parfois lié à d'autres facteurs (tabagisme, maladies sexuellement transmissibles...), un dépistage national est organisé depuis 2019 pour repérer le plus tôt possible d'éventuelles lésions précancéreuses, les surveiller ou les traiter avant leur mue en cancer. 

Il comprend un frottis du col de l'utérus tous les trois ans pour les femmes de 25 à 29 ans (après deux tests normaux à un an d'intervalle) à la recherche d'anomalies, puis un test tous les cinq ans entre 30 et 65 ans pour rechercher le virus HPV.

Dans le monde, plusieurs pays riches, où la couverture vaccinale anti-HPV avoisine 80%, semblent partis pour éradiquer dans quelques années les infections liées au papillomavirus humain, à commencer par l’Australie, qui vise une quasi disparition du cancer du col de l'utérus d'ici 2035.  

Les pays d’Europe du Nord, le Royaume-Uni, le Canada, les États-Unis suivent ce chemin. 

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