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Ces images ne montrent pas la reddition de 500 "terroristes" au Niger
- Publié le 13 février 2025 à 16:22
- Lecture : 7 min
- Par : SUY Kahofi, AFP Côte d'Ivoire
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"Niger : Plus de 500 terroristes, pourtant bien motivés au départ, ont finalement compris que jouer aux durs face aux forces spéciales de l’AES n’était pas une brillante idée. Résultat ? Ils ont sagement déposé les armes et se sont rendus, visiblement plus convaincus par la survie que par leur cause", affirme la description qui accompagne un ensemble de six images publiées plusieurs fois depuis début février sur Facebook.
Ces images relayées par plusieurs comptes et pages (1, 2, 3, 4) montrent des armes et des munitions diverses. Sur certains clichés, on peut voir des hommes en uniformes et en boubous passer en revue ces armes disposées sur des tables ou à même le sol.
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Le Niger comme le Burkina Faso et le Mali font face à des attaques répétées de groupes armés. Ces trois pays, qui connaissent une crise humanitaire et sécuritaire liée à la dégradation de la situation sécuritaire, ont exigé et obtenu le retrait des forces françaises venues lutter contre le djihadisme. En dépit de leur rapprochement de Moscou et d’un processus de modernisation de leurs armées, la menace des groupes armés et les attaques y restent monnaie courante.
Ces publications interviennent environ deux semaines après l’annonce le 21 janvier de la mise en place d’une force conjointe de 5.000 hommes pour accentuer la lutte contre les groupes armés.
Les posts sur les réseaux sociaux suggèrent que les groupes "terroristes" auraient pris peur après cette annonce - même si la mise en place de ces forces conjointes n’est pas encore effective - et décidé de rendre les armes.
Cependant, les photos que les internautes brandissent comme preuves sont antérieures à l’annonce de la création des forces conjointes de l’AES et décontextualisées, car elles ne montrent pas la reddition de groupes considérés comme "terroristes".
Des images datant d’au moins novembre
Une recherche par image inversée réalisée grâce à Google Lens nous permet de constater que les images présentées comme celles de la reddition de "500 terroristes" sont présentes sur internet depuis au moins novembre 2024. Les trois premières images (encadrées) relayées sur Facebook proviennent de ce tweet du média nigérien Aïr Info Agadez.
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Elles montrent “plusieurs ex-combattants du FPL et du MJRN” qui “remettent les armes” dans la ville d’Agadez, selon ce tweet datant du 27 novembre 2024.
Des combattants du Front Patriotique de Libération (FPL) et du Mouvement pour la Justice et la Réhabilitation du Niger (MJRN) ont bien officiellement remis leurs armes en novembre 2024 en différentes vagues, confirment diverses articles de la presse nigérienne (1, 2, 3) et de médias internationaux (1, 2, 3).
Les deux images suivantes (encadrées) ne sont pas non plus récentes.
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Nous avons retrouvé la première dans cet article de La Voix de l’Amérique (VOA), toujours en lien avec la reddition en novembre des membres du FPL et du MJRN.
L’image 2 a elle été utilisée par le site lamontagne.fr pour illustrer cet article de 2017 intitulé "Les troupes clermontoises engagées au Mali". Ce cliché, utilisé comme image d’illustration, date de plus longtemps encore, puisqu’il montre des “armements pris à l’ennemi en mars 2013 à Adrar”, précise la légende.
Mis à part cette image, et la toute dernière photo montrant deux pick-up transportant des armes dont AFP Factuel n’a pas pu trouver l’origine, les clichés brandis comme preuve que des "terroristes" auraient remis récemment leurs armes au Niger montrent en réalité la reddition en 2024 du FPL et MJRN, deux groupes rebelles qui ne sont pas considérés comme "terroristes".
Des groupes armés non-jihadistes
Le gouvernement nigérian ne considère pas en effet ces deux organisations comme “terroristes”. Ces deux groupes sont plutôt qualifiés par Niamey de “groupes armés non-jihadistes”. Les attaques qui leurs sont attribuées ou qu’ils revendiquent visent plutôt de grandes installations que des civils.
Le Front patriotique de libération (FPL) de Mahmoud Sallah est un mouvement armé issu de rébellions hostiles aux anciens présidents Mahamadou Issoufou et Mohamed Bazoum. Cependant, après le coup d’Etat de juillet 2023, ce groupe armé a affiché son soutien au président nigérien Mohamed Bazoum en demandant sa libération. Le FPL est notamment responsable d'attaques comme celle de juin 2024, qui ciblait un oléoduc acheminant du brut vers le Bénin.
Quant au Mouvement pour la Justice et la Réhabilitation du Niger (MJRN) d’Adoum Tcheké, il s’agit d’un groupe armé formé en 2016 près de la Libye pour réclamer principalement le développement du Kawar et du Manga, deux zones situées dans les régions d’Agadez (Nord) et de Diffa (Sud-Est). Le MJRN s'en est lui pris à la China National Petroleum Corporation (CNPC), qu'il accuse de faire “des millions de dollars de bénéfice sur les sites pétroliers” tout en faisant “payer le prix fort [...] sur le plan environnemental” aux “riverains”.
“La terminologie officielle généralement utilisée pour le FPL et le MJRN est 'bandits armés', 'assaillants' ou 'hommes armés'”, a indiqué à l'AFP une source locale. “C’est valable pour tous les autres fronts pro-Bazoum nés après le coup d’Etat”, a précisé cette même source.
Le Front Patriotique de Libération et le Mouvement pour la Justice et la Réhabilitation du Niger font d’ailleurs partie des trois groupes rebelles nigériens non-jihadistes, avec le mouvement politico-militaire Union des Forces patriotiques pour la refondation de la République (UFPR), à avoir conclu un accord de paix global avec les militaires au pouvoir. Des ex-combattants de ces trois mouvements vont être enrôlés dans les forces de défense et de sécurité nigériennes.
Selon les recherches effectuées par la rédaction, le FPL et le MJRN ne figurent pas non plus sur la liste des groupes terroristes de l’Union Européenne et de l’ONU.
Les groupes officiellement qualifiés de “terroristes” au Niger sont surtout Boko Haram, l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP), l’État islamique (EI) et Al Qaïda et ses affiliés.
Une situation sécuritaire toujours inquiétante
En dépit de l’arrivée des militaires au pouvoir au Mali, au Burkina Faso et au Niger, la situation sécuritaire est toujours inquiétante dans ces trois pays. Les attaques jihadistes ne faiblissent pas, al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) représente une menace pérenne au nord et Boko Haram au sud (État islamique-EI).
Selon l’organisation Acled qui répertorie les victimes des conflits dans le monde, au moins 1.600 civils et militaires sont morts au Niger dans des attaques de groupes armés durant l’année 2024. Dans les autres pays de l’AES, la situation sécuritaire est tout aussi inquiétante : un peu plus de 6.500 victimes ont été enregistrées au Burkina Faso et 2.700 au Mali la même année, a précisé l'organisation à l'AFP.
Après avoir tourné le dos à la France et aux Etats-Unis, les régimes militaires des pays regroupés dans l'AES se sont aussi retirés le 29 janvier de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), qu'ils accusaient notamment de ne pas les avoir suffisamment aidés à lutter contre les violences jihadistes.
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Le Mali, le Burkina Faso et le Niger entendent à la place créer leur propre espace communautaire et s’épauler contre d’éventuelles menaces de rébellion armée, d'attaques jihadistes ou d’agressions extérieures. C’est pour donner corps à cette volonté d’entraide que les trois pays ont annoncé la mise en place d’une force dédiée conjointe de 5.000 hommes.
"Nous sommes dans le même espace, nous faisons face aux mêmes menaces", a ainsi affirmé le 21 janvier le ministre nigérien de la Défense Salifou Modi, évoquant la nécessité de mutualisation des efforts face à des groupes qui opèrent dans la zone des trois frontières.
Au-delà de cette annonce, les modalités de la mise sur pied de cette force et de son financement restent encore flous. Les pays de l’AES devraient pouvoir compter sur l’aide de pays amis comme la Chine, la Russie et la Turquie, préférés désormais à la France et aux Etats Unis.