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L'audition de RFK Jr au Sénat fait ressurgir les théories complotistes autour de la maladie de Lyme
- Publié le 07 février 2025 à 18:04
- Lecture : 9 min
- Par : Daniel Patrick GALGANO, AFP Etats-Unis
- Traduction et adaptation : Chloé RABS , AFP France
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"RFK Jr. a raison lorsqu'il dit que la maladie de Lyme a été créée comme arme biologique dans un laboratoire de Plum Island, juste au large de la côte du Connecticut", affirme une publication publiée en anglais sur X, puis repartagée massivement en français sur les réseaux sociaux (1, 2, 3).
"De mystérieuses maladies transmises par les tiques ont commencé à se propager dans la région à la fin des années 60, coïncidant avec l'emplacement d'une installation d'armes biologiques du gouvernement américain", poursuit le post.
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Cependant, aucune preuve ne soutient cette idée, comme l'ont expliqué des experts interrogés par l'AFP.
Cette théorie présentant la maladie de Lyme comme une "arme biologique" a été popularisée par un livre publié en 2004 et intitulé "Lab 257 : l'histoire déroutante du laboratoire secret du gouvernement sur Plum Island".
L'auteur, un juriste américain, y racontait l'histoire d'un centre de recherche sur l'île de Plum, au large du Connecticut, où l'armée menait des recherches sur des maladies affectant des cheptels d'animaux. Il y supposait que des scientifiques avaient mené des expériences sur des tiques infectées par la maladie de Lyme, qui se seraient ensuite échappées de l'installation vers 1975 avant de se répandre dans l'est des États-Unis (lien archivé ici).
Alors que cette thèse a été maintes fois contestée par les autorités américaines, un représentant du New Jersey, Chris Smith, a déposé en 2019 un amendement à un projet de loi sur les dépenses de défense (lien archivé ici) ordonnant à l'inspecteur général du département de la Défense d'enquêter pour déterminer si le Pentagone avait ou non mené des expériences sur des tiques et d'autres insectes afin de les utiliser comme une arme biologique entre 1950 et 1975.
Bien que le texte ait été adopté par la Chambre, il n'apparaît pas dans la version finale du projet de loi votée par le Sénat (lien archivé ici).
De son côté, le ministère de la Sécurité intérieure - qui est en train de démanteler l'installation de Plum Island et de déplacer ses opérations vers le Kansas (lien archivés ici et ici) - affirme que les scientifiques du laboratoire "ne font pas de recherches et n'ont pas fait de recherches sur la maladie de Lyme" (lien archivé ici).
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Pourtant, Robert F. Kennedy Jr. a consacré en janvier 2024 un épisode entier de son podcast à la maladie de Lyme. Il y évoquait cette théorie du complot et déclarait que la maladie était "très probablement une arme militaire".
"Nous savons également qu'ils expérimentaient des maladies de ce type, comme la maladie de Lyme, dans ce laboratoire, et qu'ils les injectaient dans des tiques pour ensuite infecter des personnes, les tester avec des vecteurs aviaires", affirmait-il.
Au cours d'une audition au Sénat - en préalable à un vote sur sa nomination à la tête du ministère de la Santé des Etats-Unis - RFK Jr. a déclaré avoir "probablement dit" que la maladie de Lyme était une arme biologique (lien archivé ici).
Il est toutefois revenu sur ses propos le lendemain lors d'une audience devant la commission de la santé, de l'éducation, du travail et des retraites affirmant qu'il "n'a jamais cru" à cette théorie et qu'il n'avait pas fini de lire les livres qui tenaient ces allégations.
Une maladie millénaire
La maladie de Lyme ou borréliose de Lyme est une maladie infectieuse due à une bactérie transmise à l'être humain par piqûres de tiques infectées (lien archivé ici).
Rarement mortelle, elle peut provoquer des symptômes pseudo-grippaux, notamment des douleurs musculaires et articulaires, des maux de tête, des nausées et des vomissements. Mais elle peut se propager au cœur et au système nerveux si elle n'est pas traitée.
En 1977, une épidémie d’arthrite survenue chez des enfants habitant à Lyme (Connecticut, États-Unis) fait suspecter l’existence d’une maladie infectieuse inconnue (lien archivé ici).
En 1982, le chercheur américano-suisse Wilhelm Burgdorfer identifie pour la première fois la bactérie en question (lien archivé ici).
Cependant, les scientifiques ont trouvé des preuves de l'existence de la maladie de Lyme en Amérique du Nord il y a 60.000 ans (lien archivé ici).
En 1994, des chercheurs ont également découvert des preuves de la présence de la bactérie responsable de la maladie de Lyme chez des animaux empaillés collectés entre 1870 et 1919, soit des décennies avant la création du laboratoire Plum Island (lien archivé ici).
En 2014, Wilhelm Burgdorfer a accordé une interview dans laquelle il suggérait que la propagation de la maladie de Lyme aurait pu être le résultat d'une expérience d'arme biologique ratée. Cependant, c'était à la fin de sa vie et il souffrait de la maladie de Parkinson à un stade avancé à ce moment-là (archivé ici).
"Aucune preuve"
Interrogé par l'AFP, Durland Fish - professeur émérite d'épidémiologie à l'université Yale qui a travaillé à Plum Island dans les années 1990 et au côté de Wilhelm Burgdorfer lorsqu'il étudiait la maladie de Lyme (lien archivé ici) - a expliqué que les déclarations du scientifique suisse avaient été "mal interprétées" et qu'il n'y avait aucune preuve que la maladie de Lyme ait été fabriquée par des humains.
"Wilhelm n'était pas en bonne santé mentale à ce moment-là, et il n'y a absolument aucune vérité dans les accusations selon lesquelles il aurait été impliqué dans une quelconque activité de guerre biologique", affirme-t-il.
Il a d'ailleurs déclaré que le laboratoire de Plum Island ne pouvait pas effectuer de recherches sur des maladies comme celle de Lyme parce qu'il ne disposait pas d'installations de confinement adéquates ni d'équipements de protection pour protéger les employés des maladies transmissibles aux humains.
De son côté, Bryon Backenson, directeur du Bureau de contrôle des maladies transmissibles du département de la santé de l'État de New York (lien archivé ici), a affirmé qu'il n'y avait "aucune preuve" que la maladie de Lyme ait été créée par l'homme ou artificiellement introduite dans l'environnement.
Selon lui, le secret relatif autour des recherches menées à Plum Island a donné naissance à plusieurs théories "sensationnalistes" notamment celle selon laquelle il s'agirait du berceau de la maladie de Lyme en raison de sa proximité relative avec la ville de Old Lyme dans le Connecticut, qui est l'endroit où certains des premiers cas de la maladie ont été diagnostiqués.
Cependant, il a expliqué qu'il existait des traces de cas d'Amérindiens ayant contracté la maladie, que certains appelaient "genou de Montauk", il y a plusieurs centaines d'années.
Sam Telford, professeur de maladies infectieuses et de santé publique (lien archivé ici), est d'ailleurs revenu sur l'ensemble de cette théorie dans un article publié dans The Conversation en 2019 : "Non, la maladie de Lyme n’est pas une expérience militaire sur des armes biologiques qui a mal tourné" (lien archivé ici).
Les tiques, une mauvaise arme biologique
Selon les experts, la maladie de Lyme ne serait d'ailleurs pas du tout une arme biologique efficace, à la fois parce qu'elle est principalement propagée par les morsures de tiques et parce qu'elle peut être traitée avec des antibiotiques.
"Il est absurde de penser qu'une telle chose pourrait être utilisée pour la guerre biologique", affirme Durland Fish.
"La maladie de Lyme se transmet par la morsure de tiques infectées, ce qui nécessite donc une morsure de la tique pour pénétrer dans l'organisme humain. Il s'agirait d'un mauvais choix pour une arme biologique", ajoute Bryon Backenson.
De plus, les tiques et la borréliose de Lyme seraient de très mauvaises armes bactériologiques "car les tiques se multiplient très mal au laboratoire", détaille Nathalie Boulanger, professeur de parasitologie et mycologie médicales (lien archivé ici).
"La maladie de Lyme est un très mauvais candidat pour la guerre bactériologique en raison du taux de mortalité et de morbidité globalement très faible pour cette infection par rapport à d’autres maladies transmissibles, avec la possibilité de la traiter efficacement par des traitements antibiotiques", décrit de son côté Yves Hansmann, à la tête du service maladies infectieuses des hôpitaux universitaires de Strasbourg (lien archivé ici).
Et "s'il devait y avoir un risque de propagation de la maladie, cela se compterait en années, car le repas de la tique, qui correspond au moment où elle transmet la bactérie n’est qu’un évènement très rare qui arrive seulement 1 à 2 fois par année et par tique", explique-t-il.
Augmentation des cas
Selon une méta-analyse compilant des études sur le sujet, publiée en 2022, plus de 14% de la population mondiale a eu la maladie de Lyme.
Le nombre de nouveaux cas de maladie de Lyme a connu une augmentation significative en 2018, avec plus de 104 cas pour 100.000 habitants contre 69 pour 100.000 en 2017.
"En 2021, on estime que près de 47.000 cas ont été diagnostiqués en médecine générale, soit une incidence de 71 cas pour 100.000 habitants en France", selon Santé Publique France (lien archivé ici).
Selon Laurence Malandrin, chargée de recherche à l'Inrae (lien archivé ici), cette augmentation du nombre de cas peut-être due à une augmentation de déclarations de suspicions de cas et à une meilleure connaissance de l'agent infectieux qui "a permis d'améliorer le diagnostic toujours complexe".
La chercheuse évoque également le possible impact de la modification des équilibres naturels par l'homme "favorisant peut-être la multiplication d'hôtes (blé/rongeurs) favorables à la fois à la multiplication de la bactérie et à la nutrition des tiques, sans s'en rendre compte".
Pour mieux comprendre les conditions de vie de ces parasites amateurs de sang frais, leurs interactions avec leur environnement, dans quelles conditions ils se développent et où le risque de se faire piquer est le plus grand, les chercheurs comptent sur le programme de recherche participative CiTIQUE, coordonné par l'Inrae et son application "Signalement Tique".