Attention à ces publications trompeuses sur une attestation d'allocations de la Caf de l'Essonne
- Publié le 12 juillet 2024 à 16:37
- Mis à jour le 13 juillet 2024 à 12:33
- Lecture : 7 min
- Par : Juliette MANSOUR, AFP France
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Les élections législatives convoquées par Emmanuel Macron après l'échec de ses troupes aux européennes ont relancé de nombreux débats sur les aides sociales sur les réseaux sociaux.
Le RN avait fait de la "priorité nationale" un axe fort de son programme, promettant de prendre "un certain nombre de mesures pour restreindre et contrôler l’immigration illégale mais aussi légale". Dans ce cadre, le parti à la flamme avait assuré vouloir "conditionner l’accès aux prestations sociales non-contributives comme le RSA" (revenu de solidarité active) à cinq années de travail en France et priver d'allocations familiales les parents de mineurs "criminels" ou "délinquants récidivistes", pour autant qu'ils soient "coupables de défaillance" (archive ici).
L'alliance de gauche réclamait, de son côté, une hausse de 10% des aides au logement (APL) ; l'alignement de l'allocation adultes handicapés (AAH), actuellement plafonnée à 1.016 euros, sur le Smic; et celui du minimum vieillesse (1.012 euros mensuels) sur le seuil de pauvreté (1.158 euros selon l'Insee).
Dans ce contexte, la photo d'une attestation de la Caf de l'Essonne montrant une série d'aides financières versées en mai 2024 pour un total de 6.087,55 euros dont le nom et l'adresse de l'allocataire ont été anonymisés, a commencé à circuler pendant la campagne.
"Oups!.. Voilà le montant de prestations sociales perçues par une famille immigrée d'origine érythréenne en juin 2024...Votre appréciation ?", prétend une publication sur X.
Une autre assure : "6.087, 56€ d’allocations pour le mois de mai 2024. Non, vous ne rêvez pas. Avec #LFI, les Français travaillant et gagnant plus de 4.000€ paieront plus d’impôts mais pas ceux ne foutant rien et gagnant 6.000 € par mois, #legislatives 2024".
De nombreux commentaires appellent à "supprimer les aides sociales aux étrangers".
Mais si "cette attestation est authentique, elle est utilisée dans un contexte totalement mensonger", a regretté la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) auprès de l'AFP le 11 juillet.
"Le montant de cette attestation est exceptionnellement élevé car cette allocataire a bénéficié en mai d'une régularisation d'aides non versées pendant plusieurs mois, en l'absence d’un justificatif attendu de la part d’un organisme partenaire", a encore expliqué la CNAF.
Antoine Math, chercheur à l'Institut de recherches économiques et sociales (archive ici), joint par l'AFP le 11 juillet, a également indiqué que les aides versées ne correspondaient pas aux montants habituels de ces prestations et que présenter ce document "pour faire une généralité sur les aides moyennes versées était particulièrement trompeur".
En outre, souligne-t-il, "absolument rien ne permet d'indiquer sur ce document qu'il s'agit 'd'une famille immigrée d'origine erythréenne'", en pointant que cette expression même "n'a pas de sens".
En effet, le terme "d'immigré" s'applique à une personne née étrangère à l'étranger et venue s'installer en France pour un an au moins. Or, celle-ci peut très bien acquérir la nationalité française par la suite. Ainsi, "41 % des immigrés étant français, c'est un contresens de les opposer aux Français", note le site du gouvernement Vie publique (archive ici).
Les publications entretiennent régulièrement une confusion entre étrangers en situation régulière ou irrégulière, migrants économiques, réfugiés pour faire croire qu'ils pourraient prétendre aux mêmes aides... Mais les personnes sans-papiers ne peuvent pas, par exemple, bénéficier des minima sociaux en France.
Un cas particulier
Les prestations françaises s'élevaient en 2022 en moyenne à 12.550 euros annuels par habitant, dont 5.550 euros liés au "risque vieillesse survie" (retraites, minimum vieillesse, prévoyance…) et 4.700 euros liés à la santé, selon une étude de La Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) publiée en décembre 2023 (archive ici).
La France avait consacré 848,9 milliards d’euros à ces prestations en 2022, soit 32,2 % de son produit intérieur brut (PIB). Pour la septième année consécutive, le pays occupait le premier rang européen devant l'Italie (29,6 % du PIB) et l'Allemagne (29,2 %).
Les autres prestations sont moins coûteuses, qu’elles soient liées à la famille (850 euros), l’emploi (700 euros), la pauvreté et l’exclusion (500 euros) ou le logement (250 euros) et ne représentent que 18 % des dépenses en France, précise encore la DREES.
"Toucher autour de 6.000 euros d'aides serait théoriquement possible, en imaginant qu'il s'agisse par exemple d'une mère isolée sans autres ressources, qui ne perçoit pas de pension alimentaire, et qui élèverait au moins 15 enfants d'au moins trois ans et de moins de 20 ans, dont cinq d'au moins 14 ans", souligne Antoine Math.
"On imagine le nombre de critères à remplir. Et il faudrait alors rapporter ce montant par enfant, ce qui est alors beaucoup plus modeste", pointe-t-il.
Surtout, cette situation est loin d'être la norme. Selon les dernières données de l'Ined, en 2021, le nombre moyen d'enfants par femme en France était de 1,84 (archive ici) et il ne cesse de chuter.
La première aide apparaissant sur le document est l'APL, une aide financière qui dépend du montant du loyer (jusqu'à un certain plafond), des ressources et de la taille de la famille (archive ici). "L'APL n'est en général pas versée à la personne mais, sous forme de tiers payant, directement au bailleur", rappelle Antoine Math.
L'attestation montre ensuite l'allocation de soutien familial (ASF), une prestation à destination des parents séparés (archive ici). Cette aide est versée par la caisse d'allocations familiales (Caf) ou la Mutualité sociale agricole (MSA) à une personne qui élève seule un enfant privé de l'aide de l'un de ses parents, sous conditions. L'ASF peut être versée en plus des allocations familiales et du complément familial.
Les allocations familiales sont versées aux personnes ayant au moins 2 enfants de moins de 20 ans à charge (archive ici). Son montant dépend des ressources, du nombre d'enfants à charge et de leur âge. A compter de 2025, la durée de présence en France nécessaire pour pouvoir prétendre à cette aide sera durcie, passant de 6 mois à 9 mois. En 2022, elle s'élevait par exemple pour une famille avec deux enfants entre 33 et 135 euros par mois (archive ici).
Le complément familial est une prestation versée sous conditions de revenus aux personnes ayant au moins 3 enfants tous âgés d'au moins 3 ans à charge, uniquement en fonction du niveau des revenus (archive ici). Le montant de base est de 193,31 euros mensuel, celui majoré de 289,98 euros.
Le revenu de solidarité active (RSA) enfin, qui apparaît sur l'attestation, assure aux personnes sans ressources un niveau minimum de revenu qui varie selon la composition du foyer (archive ici). Il est égal à la différence entre le montant forfaitaire du RSA et l'ensemble des ressources perçues au cours des 3 derniers mois. En 2022, il représentait 575 euros pour une personne seule en moyenne, pour un montant non majoré, selon l'Insee (archive ici).
Une redistribution qui réduit le nombre de personnes pauvres
La redistribution - aides sociales et fiscalité directe - réduit d'un tiers le nombre de personnes pauvres et réduit de moitié les inégalités entre les 20% les plus riches et les 20% les plus pauvres, selon une étude publiée le 9 juillet par la Drees (archive ici).
Elle réduit "fortement" les "inégalités entre les plus riches et les plus pauvres", relève la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques. Ainsi, le rapport entre le niveau de vie total des 20% des individus les plus aisés et celui des 20% les plus modestes est réduit de moitié par la redistribution, passant de 8,2 à 4,5.
Les prestations sociales non-contributives - non liées à une cotisation antérieure, mais à une situation - représentent 38% du revenu disponible des ménages pauvres, indique le service statistique des ministères sociaux dans une enquête portant sur des chiffres de 2021.
En 2021, 9,1 millions de personnes étaient "pauvres", ayant un niveau de vie inférieur à 60% du niveau de vie médian (soit 1.158 euros par mois pour une personne seule, 2.432 euros pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans).
Les minima sociaux (revenu du solidarité active (RSA), allocation aux adultes handicapés (AAH), minimum vieillesse) représentent 14% de leur revenu disponible, les aides au logement 11%, les prestations familiales 10% et la prime d'activité 3%.
Les prestations sociales non-contributives et la fiscalité directe diminuent le taux de pauvreté d'un tiers: 14,5 % de la population métropolitaine est pauvre, contre 21,4% si ces prestations et les impôts directs n'existaient pas.
L'effet sur le taux de pauvreté est particulièrement marqué pour les familles monoparentales (-20 points), pour les familles nombreuses (-12 points pour les couples avec 3 enfants), pour les moins de 20 ans (-11 points), pour les personnes handicapées (-10 points), pour les chômeurs (-12 points).
Précise réponse de la CNAF13 juillet 2024 Précise réponse de la CNAF