
Non, ces images ne montrent pas un bâtiment ayant inspiré la célèbre série Squid Game
- Publié le 14 janvier 2025 à 18:15
- Lecture : 5 min
- Par : AFP Thaïlande
- Traduction et adaptation : Dounia MAHIEDDINE , AFP France
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Dystopie centrée sur une société violente, gangrenée par les divisions et les inégalités, la série "Squid Game" a fait son retour, dans un contexte de tensions bien réelles en Corée du Sud, à la fin du mois de décembre.
Produit par Netflix, le programme le plus regardé de son catalogue est considéré comme l'une des créations sud-coréennes ayant le plus contribué à faire du pays un géant culturel, au côté du film oscarisé Parasite et du boys band de K-pop BTS.
Pour le réalisateur Hwang Dong-hyuk, ce triomphe tient aux "liens" de la série avec "la société dans laquelle nous vivons".
La première saison de "Squid Game" était inspirée - plutôt librement - de la répression en 2009 d'une grève d'employés du constructeur automobile Ssangyong Motor (rebaptisé KGM). Près de 30 personnes sont mortes après l'écrasement du mouvement, certaines s'étant suicidées, d'autres ayant succombé à des maladies.
C'est dans ce contexte que circulent sur les réseaux sociaux des images d'un "bunker" abandonné. Des internautes prétendent à tort que ce lieu aurait inspiré la série Netflix et que des abus graves y ont été commis .
Sur TikTok, une vidéo compilant toutes ces photos a été vue plus de 5 millions de fois, et partagée près de 50.000 fois. "On rigole, on rigole mais...", écrit l'internaute.
"Ce bâtiment a servi pour des jeux durant plus de 15 ans. Personne n'a jamais survécu et personne ne sait qui était derrière tout ça. Des indices avec des jeux pour enfants nous porte à croire qu'il s'agissait des mêmes jeux. Netflix était au courant ?!", peut-on lire dans un autre post.
"Cela s'est passé dans un bunker dans un no man's land en Corée du Sud où des gens ont été retenus en otages et ont dû terminer plusieurs matchs pour survivre", assure une autre internaute sur X.

Les photos montrent des couloirs faiblement éclairés, peints en rose et vert, ainsi que des hommes en survêtements bleus alignés dans un dortoir.
Ces affirmations circulent dans de nombreux pays et dans différentes langues : birman, chinois, anglais, indonésien, malais, espagnol, turc et thaï.
Mais les images du bâtiment ne sont pas réelles : comme nous allons le voir, elles ont été créées grâce à l'outil d'intelligence artificielle Midjourney.
Remonter à la source de l'image
Une recherche inversée d'images sur Google a permis de remonter à la source des photos des couloirs rose et vert . Celles-ci ont été postées sur le compte Instagram "cityhermitai" le 19 octobre 2024 (lien archivé).
Ce compte, géré par l'écrivain turc Efe Levent, publie régulièrement des images générées par IA (lien archivé).
M. Levent a déclaré à l'AFP, le 7 janvier, qu'il avait créé ces images à l'aide de l'outil d'IA Midjourney.
De plus, plusieurs éléments montrent que les images sont fausses : les lignes de certains carreaux disparaissent ou se déforment, une porte est distordue et la rampe d'escalier se confond avec le mur.

Cet article de l'AFP Factuel donne des astuces pour tenter de repérer des incohérences visuelles qui peuvent permettre de déceler une création d'IA.
Quant à la photo des hommes en survêtements, elle a été extraite d’un documentaire sur Brothers Home, un centre de détention tristement célèbre situé à Busan, en Corée du Sud, où de graves violations des droits humains ont eu lieu entre 1960 et 1992 (archive).
Une recherche par mots-clés sur Google a permis de retrouver cette image dans un documentaire publié sur YouTube par le journal sud-coréen Busan Ilbo (archive).
La photo apparaît à la 18e minute et 55e seconde de la vidéo.
Ci-dessous, une comparaison des captures d’écran entre l’image virale partagée sur les réseaux sociaux (à gauche) et celle tirée du documentaire YouTube (à droite) :

Une histoire inspirée de faits réels
Même s'il s'agit d'une fiction, le réalisateur et scénariste de "Squid Game", Hwang Dong-hyuk, affirme s'être inspiré d'un chapitre réel de l'histoire parfois sanglante des conflits sociaux en Corée du Sud: l'occupation de l'usine Ssangyong de Pyeongtaek, près de Séoul, en 2009.
"Je voulais montrer que dans le monde d'aujourd'hui, n'importe quel membre de la classe moyenne peut dégringoler au bas de l'échelle économique du jour au lendemain", explique M. Hwang à l'AFP.
En mai 2009, Ssangyong Motor, entreprise en difficulté reprise par un consortium de banques et d'investisseurs privés, avait annoncé licencier plus de 2.600 personnes, soit près de 40% du personnel.
C'est le début d'une occupation de l'usine et d'une grève de 77 jours. Le mouvement s'achève par une bataille d'une violence inouïe entre grévistes armés de frondes et de tuyaux en acier et policiers employant balles en caoutchouc, tasers et hélicoptères, qui pulvérisent des gaz lacrymogènes sur les ouvriers. De nombreux syndicalistes sont passés à tabac.
Le conflit ne se termine pas là. Cinq ans plus tard, un dirigeant syndical, Lee Chang-kun, reste pendant 100 jours perché au sommet d'une des cheminées de l'usine, pour dénoncer un jugement donnant raison à Ssangyong contre les grévistes. Il est alors ravitaillé à l'aide d'un panier accroché à une corde et est en proie aux hallucinations (une corde de sa tente se transforme selon lui en serpent).
Beaucoup des travailleurs ayant participé au mouvement de 2009 ont du mal à parler de "Squid Game", explique Lee Chang-kun à l'AFP. Après les événements, plus de 200 ouvriers font l'objet de poursuites et près d'une centaine - dont M. Lee - sont emprisonnés.
Selon M. Lee, depuis 2009, une trentaine de protagonistes du mouvement de Ssangyong se sont suicidés ou ont succombé à des maladies directement liées au stress. "Beaucoup ont perdu la vie. Les gens ont été obligés de souffrir trop longtemps", dit-il.