Des passants devant le siège de la Commission européenne à Bruxelles, le 18 décembre 2024. (AFP / NICOLAS TUCAT)

Non, l'Union Européenne ne prévoit pas d'imposer l'autodétermination de genre dès l'enfance dans ses pays membres

La question des droits des personnes transgenres suscite très régulièrement des controverses enflammées et un flot d'exagérations et d'infox, souvent sur fond de propos haineux à l'égard des personnes LGBT+ dans l'UE. Depuis la mi-octobre 2025, la Commission européenne est accusée sur les réseaux sociaux de vouloir "imposer l'autodétermination de genre, dès l'enfance", aux citoyens de l'UE sous peine de sanctions. Mais c'est trompeur : la "stratégie 2026-2030 pour l'égalité des personnes LGBTIQ+" de la Commission préconise en réalité l'échange de bonnes pratiques sur le sujet entre les États membres. Elle ne peut en tout état de cause imposer quoique ce soit sur le sujet, la compétence en matière de reconnaissance légale du genre relevant des législations nationales. 

"Bruxelles passe à la vitesse supérieure : dans sa stratégie "Égalité LGBTIQ+ 2026-2030", la Commission veut imposer l’autodétermination de genre dès l’enfance, sans limite d’âge ni cadre médical", peut-on lire dans une publication X du 15 octobre 2025 qui poursuit : "Les pays qui refusent ? Menacés de sanctions financières et de gel des fonds européens. Autrement dit : si un État protège sa souveraineté sociale ou familiale, Bruxelles le punira".

Cette publication est partagée par ce compte qui relaye massivement des infox pro-russes. Le président russe Vladimir Poutine tient régulièrement des discours hostiles aux personnes LGBT+, nourrissant le narratif devenu récurrent d'un pouvoir russe faisant rempart à une Europe décadente où, notamment, selon cette grille de lecture ultra-conservatrice, les transitions de genre seraient,  ardemment prônée par les gouvernements.

Le message est accompagné d'une vidéo de 55 secondes où l'on peut voir la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen, exprimant en anglais son "soutien" et sa "solidarité" à "la Pride de Budapest et à la communauté LGBTQ+", avant d'appeler les autorités hongroises à autoriser la marche des fiertés en question à "se dérouler sans crainte de sanctions pénales ou administratives à l'encontre des organisateurs ou des participants" (lien archivé ici).

Le gouvernement de l'ultra-conservateur Viktor Orban a adopté en mars 2025 une loi visant à interdire de tels rassemblements, une nouvelle étape dans sa politique de réduction des droits fondamentaux des minorités sexuelles et de genre, au nom de la "protection de l'enfance".

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Capture d'écran prise sur X et barrée par l'AFP le 28 octobre 2025

"En Europe, manifester pour vos droits est une liberté fondamentale. Vous avez le droit d'aimer qui vous voulez. Et d'être exactement qui vous êtes. Notre union est fondée sur l'égalité et la non-discrimination. Ce sont là nos valeurs fondamentales, inscrites dans nos traités. Elles doivent être respectées à tout moment, dans tous les États membres", dit également Mme Von Der Leyen.

Elle n'évoque pas la question de la transition de genre évoquée par l'internaute.

Plusieurs autres publications sur X (1, 2, 3, 4) mais aussi sur Facebook reprennent des allégations similaires à propos d'une "autodétermination de genre dès l'enfance" prétendument imposée dans l'Union européenne.

Or ces différentes affirmations ne correspondent pas au contenu de la stratégie 2026-2030 pour l'égalité des personnes LGBT+ présentée le 8 octobre 2025 par la Commission européenne, qui n'introduit pas de nouvelles règles contraignantes pour les États membres (liens archivés ici et ici). De plus, la reconnaissance légale du genre relève exclusivement de la compétence des législations nationales.

Échange de bonne pratiques

La stratégie 2026-2030 s'inscrit dans le cadre de la politique "Égalité et inclusion" de la Commission européenne et fait suite à la stratégie 2020-2025 visant à mieux garantir l'intégration de l'égalité LGBT+ (indiqué "LGBTIQ+" dans la stratégie de la Commission) dans toutes les politiques de l'UE (liens archivés ici et ici).

Elle présente de nouvelles priorités pour lutter contre la discrimination à l'égard des personnes LGBT+ dans des domaines tels que l'éducation, l'emploi, la santé, l'inclusion sociale ou encore la reconnaissance légale du genre.

Le document "définit le cadre des travaux de la Commission en matière d'égalité des personnes LGBTIQ+ pour la période 2026-2030" (p.4) et "vise à mobiliser un engagement collectif à tous les niveaux de gouvernance afin de protéger les droits fondamentaux et les valeurs d'égalité et de non-discrimination" (lien archivé ici).

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Capture d'écran prise le 28 octobre 2025 de la Stratégie 2026-2030 publiée par la Commission européenne

Dans la présentation des objectifs, la Commission note que les conditions requises pour la reconnaissance légale du genre varient considérablement selon les pays de l'UE : "Alors qu'un certain nombre d'États membres ont adopté des modèles fondés sur l'autodétermination, d'autres imposent des procédures médicales, ce qui, selon la Cour européenne des droits de l'homme, peut porter atteinte aux droits de l'homme" (p.15).

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Capture d'écran prise le 28 octobre 2025 de la Stratégie 2026-2030 publiée par la Commission européenne

Dans ce contexte, la Commission affirme qu'elle "facilitera les échanges de bonnes pratiques entre les États membres afin de soutenir la mise en place de procédures de reconnaissance juridique du genre fondées sur l'autodétermination et sans restrictions d'âge" (p.15).

Cela impliquerait de favoriser le dialogue entre les pays et non d'imposer des règles contraignantes qui s'appliqueraient à l'ensemble de l'Union européenne.

La nomination de "coordinateurs nationaux pour l'égalité des personnes LGBTIQ+" est par exemple encouragée dans le texte (p.16), qui ne mentionne néanmoins aucunes "sanctions financières" ou "gel des fonds européens" comme affirmé dans les publications trompeuses sur les réseaux sociaux.

La Commission appelle plutôt les États membres à adopter leur propre plan d'action national : "La Commission invite désormais tous les États membres à adopter des plans d'action nationaux en faveur de l'égalité des personnes LGBTIQ+ d'ici 2027, conformément aux lignes directrices relatives aux stratégies et plans d'action visant à renforcer l' égalité des personnes LGBTIQ et la liste de contrôle de suivi qui l'accompagne" (p.16).

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Capture d'écran prise le 28 octobre 2025 de la Stratégie 2026-2030 publiée par la Commission européenne

En France, un Plan national pour l’égalité, contre la haine et les discriminations anti‑LGBT+ a été lancé le 10 juillet 2023, comportant des mesures censées "mieux identifier, mieux prévenir et mieux traiter la haine anti-LGBT+" (lien archivé ici).

L'année précédente, la loi du 31 janvier 2022 a inscrit dans le code pénal français une nouvelle infraction qui punit les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne, à l'instar des "thérapies de conversion" (pratiques qui prétendent modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre des personnes LGBT+ pour les rendre hétérosexuelles et cisgenres, assimilant notamment l'homosexualité à une maladie ou un trouble mental.)qui ne sont pas interdites dans la majorité des pays de l'Union européenne (lien archivé ici).

Souveraineté des États membres

Lors d'une conférence de presse à Bruxelles le 10 octobre 2025, la porte-parole de la Commission européenne, Eva Hrnčířová, a déclaré que l'objectif de la stratégie 2026-2030 est de "garantir que toutes les personnes soient traitées de manière égale, sans aucune discrimination, en Europe" (lien archivé ici).

"Les États membres décident de leurs propres lois et nous les aidons à échanger sur ce qui fonctionne le mieux", avait-elle ajouté à propos de la stratégie qui "promeut l'égalité par la coopération".

Eva Hrnčířová a également souligné que "nous respectons pleinement les compétences des États membres, qui comprennent une compétence exclusive en matière d'âge légal du consentement à la reconnaissance juridique du genre".

"Toute suggestion selon laquelle la Commission imposerait ou contraindrait les États membres à adopter de telles mesures est tout simplement fausse", avait-elle résumé.

Reconnaissance légale du genre

L’Union européenne n’a pas de compétence législative en matière de droit de la famille ou de reconnaissance légale du genre, ces domaines relevant exclusivement de la compétence des législations nationales.

Sur sa page officielle, la Commission européenne précise que "le droit de la famille relève de la compétence des États membres" et que "l'UE ne peut légiférer en la matière que s'il existe des implications transfrontalières" (lien archivé ici). Dans ce cas, une procédure législative spéciale est requise : "tous les États membres doivent donner leur accord à l'unanimité et le Parlement européen doit être consulté."

En France, la reconnaissance légale du genre repose sur la modification de la mention du sexe à l’état civil, prévue par les articles 61-5 à 61-8 du Code civil (lien archivé ici). Depuis la loi du 18 novembre 2016, il n’est plus nécessaire de subir une opération chirurgicale, une stérilisation ou un traitement hormonal pour faire reconnaître juridiquement son genre.

L'article 61-5 du code civil (ci-dessous) précise que la demande de modification de la mention du sexe à l’état civil est autorisée à "toute personne majeure ou mineure émancipée".

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Capture d'écran prise sur le site Légifrance le 29 octobre 2025

Si le changement de sexe à l’état civil n’est autorisé que pour les personnes majeures, la loi française autorise cependant le changement de prénom des personnes majeures et mineures (lien archivé ici). Selon l'article 60 du Code Civil : "Toute personne peut demander à l’officier de l’état civil à changer de prénom […]. S’il s’agit d’un mineur ou d’un majeur en tutelle, la demande est remise par son représentant légal."

Pour les personnes majeures

L'AFP Factuel a déjà vérifié de fausses allégations circulant sur la stratégie 2026-2030 dans d'autres langues, notamment en roumain. Des journalistes de l'AFP en Roumanie ont contacté la représentation de la Commission européenne à Bucarest, laquelle a précisé le 10 octobre 2025 que la stratégie ne visait pas les enfants.

"Les restrictions d’âge dans ce domaine du droit relèvent exclusivement de la compétence des États membres", ont indiqué les représentants de la Commission à l’AFP. "Afin d’éviter tout malentendu : la Commission n’avait pas les mineurs à l’esprit lorsqu’elle a évoqué les restrictions d’âge".

"En réalité, les affaires de la Cour européenne des droits de l'homme et mentionnées dans la stratégie concernaient toutes des adultes, dont certains avaient plus de 60 ans", ont-ils ajouté.

Ces affaires font référence aux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) relatifs à la reconnaissance légale du genre de personnes adultes (lien archivé ici), tels que A.P., Garçon et Nicot c. France (2017), Y.T. c. Bulgarie (2020) ou X et Y c. Roumanie (2021) (liens archivés ici, ici, et ici). Dans ces affaires, la Cour a jugé que contraindre une personne à subir une intervention chirurgicale ou une stérilisation pour modifier son genre légal porte atteinte au droit au respect de la vie privée.

L'UE avait déjà cité ces affaires, dont aucune ne concerne des enfants ou des mineurs, dans la stratégie 2020-2025, où figure également - comme dans la stratégie 2026-2030 - la mention "sans restrictions d'âge" (p.16). Si cette formulation ne donne pas de précisions sur les tranches d'âges concernées, aucun cas concret d'autodétermination de genre dès l'enfance n'a été observé à titre d'exemple dans la stratégie de la Commission européenne.

La transition de genre, particulièrement chez les mineurs, est un sujet qui fait souvent l'objet de désinformation, sur lequel l'AFP Factuel a déjà écrit ici.

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