Attention à cette ancienne vidéo de Kamala Harris qui s'exprime au sujet de régulations sur le réseau social X

Accusé de relayer beaucoup de désinformation, le réseau social X a été suspendu au Brésil fin août 2024. Peu après, une vidéo montrant la vice-présidente et candidate à la présidentielle américaine Kamala Harris, dans laquelle elle indiquerait -selon les internautes- être en faveur de cette suspension voire de son élargissement aux Etats-Unis si elle était élue, a été largement relayée sur les réseaux sociaux, y compris va le propriétaire de X, Elon Musk. Mais les images sont anciennes et ont été sorties de leur contexte : dans la séquence initiale, de 2019, Kamala Harris se prononçait pour la suppression du compte de Donald Trump. En outre, elle évoquait plus globalement une meilleure régulation - et non d'une stricte interdiction - des réseaux sociaux.

Fin août 2024, le réseau social X, propriété du milliardaire Elon Musk, a commencé à être bloqué au Brésil (lien archivé ici), après qu'un juge de la Cour suprême a ordonné sa suspension pour avoir ignoré une série de décisions judiciaires liées à la lutte contre la désinformation.

Dans ce contexte, des internautes ont exhumé une ancienne vidéo de la vice-présidente des Etats-Unis et candidate démocrate à la présidentielle américaine Kamala Harris pour assurer qu'elle aurait commenté cette mesure et voudrait la mettre en place si elle était élue. 

"Kamala Harris est d'accord avec la décision du Brésil de supprimer la plate-forme X. Elle ferait probablement la même chose si elle gagnait en novembre", indique la légende accompagnant la séquence partagée plus de 600 fois sur X.

On peut y voir Kamala Harris s'exprimer au sujet des réseaux sociaux dont X, et indiquer : "ils s'adressent à des millions de personnes sans aucune garantie de surveillance ou de réglementation, cela doit cesser". Une date visible en bas de l'extrait laisse croire qu'il daterait du 30 août 2024.

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Capture d'écran prise sur X le 6/9/2024

La même vidéo avec des allégations semblables a été diffusée par des internautes hispanophones et anglophones, dont le propriétaire de X, Elon Musk, et l'ancien candidat à la présidentielle Robert F. Kennedy Jr, qui a annoncé (lien archivé ici) fin août apporter son soutien à l'ancien président républicain et candidat de son parti Donald Trump.

Mais elle est bien antérieure à la suspension de X au Brésil en août 2024.

Une vidéo de 2019

Dans la séquence, Kamala Harris s'exprime aux côtés d'un journaliste de la chaîne de télévision américaine CNN, Jake Tapper, et estime notamment que les réseaux sociaux devraient être plus "responsables", du fait du pouvoir qu'ils possèdent.

Elle mentionne, au tout début de l'extrait, "des privilèges, qui devraient être suspendus", mais la coupe de la séquence de 31 secondes ne permet pas de saisir précisément à quoi la vice-présidente américaine fait référence. 

En effectuant une recherche d'image inversée à parti d'images-clés de la vidéo, on peut déjà se rendre compte qu'elle existait en ligne bien avant août 2024 : elle avait par exemple été publiée sur le compte X du média américain The Hill, le 17 octobre 2019 (lien archivé ici). 

Une recherche Google des contenus antérieurs à cette date et incluant des mots-clés liés aux paroles de Kamala Harris, "CNN" et "Jake Tapper" nous a permis de retrouver une retranscription officielle de l'événement, publiée par CNN (lien archivé ici). Il s'agissait d'une émission faisant suite à un débat des primaires démocrates (qui devaient désigner le candidat du parti à la présidentielle de 2020), qui s'était tenu le 15 octobre 2019 (lien archivé ici).

En en consultant le texte complet, on peut retrouver tous les propos tenus par Kamala Harris dans l'extrait que nous examinons, et se rendre compte qu'elle faisait référence à la suspension du compte du président de l'époque, Donald Trump, sur Twitter (rebaptisé X en août 2023) - et non à une suspension générale des réseaux sociaux, puisqu'au contraire, elle appelait à une plus grande prise de responsabilité de ces derniers.

Au cours de l'intervention, elle accuse aussi Donald Trump d'intimider des témoins, alors que la Chambre des représentants américaine venait d'annoncer lancer une enquête (lien archivé ici) le visant, au sujet de soupçons concernant le fait qu'il ait demandé à son homologue ukrainien d'enquêter sur son rival démocrate en amont de l'élection présidentielle américaine de 2020. 

"Donald Trump a 65 millions d'abonnés sur Twitter. Il a prouvé qu'il était prêt à faire obstruction à la justice", commence-t-elle. Elle ajoute que "ce que Donald Trump dit sur Twitter affecte la perception qu'ont les gens de ce qu'ils devraient ou ne devraient pas faire", prenant pour exemple un manifeste (lien archivé ici) visant la communauté hispanique diffusé en ligne et attribué au tireur qui avait fait plus de 20 morts dans un supermarché d'El Paso, au Texas, en août 2019.

"Et nous parlons d'une société privée, Twitter, qui a des conditions d'utilisation, et en ce qui me concerne et je pense que la plupart des gens diraient, y compris les membres du Congrès qu'il [Donald Trump, NDLR] a menacé (...) qu'il a perdu ses privilèges et qu'il devrait être suspendu", poursuit-elle, faisant donc référence à la suspension du compte de Donald Trump sur le réseau social, à laquelle elle avait déjà appelé au préalable.

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Capture d'écran d'un extrait de la retranscription de l'intervention de Kamala Harris sur CNN le 15 octobre 2024, prise le 6/9/2024
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Capture d'écran d'un extrait de la retranscription de l'intervention de Kamala Harris sur CNN le 15 octobre 2024, prise le 6/9/2024

Dans une publication sur X du 30 septembre 2019, elle avait par exemple écrit (lien archivé ici) que le compte de Donald Trump "devrait être suspendu", et l'avait aussi rappelé lors du débat du 15 octobre entre les candidats à la primaire démocrate.

En janvier 2021, Twitter avait fini par bloquer le compte de Donald Trump (lien archivé ici), mentionnant notamment "un risque de nouvelle incitation à la violence", après les émeutes qui avaient eu lieu le 6 janvier 2021 au Capitole de la capitale américaine, faisant suite à une remise en question de l'intégrité des résultats de l'élection de 2020, remportée par Joe Biden au dépens de Donald Trump. Après avoir acquis le réseau social, Elon Musk avait rétabli le compte en novembre 2022 (lien archivé ici).

En réaction à la rediffusion hors contexte de la séquence en 2024, le journaliste Jake Tapper a publié (lien archivé ici) le 4 septembre sur son compte X un message rappelant que l'intervention datait de 2019 et qu'elle ne faisait pas référence à la situation actuelle. Il a aussi relayé la transcription ainsi qu'une vidéo archivée en ligne de l'interview, dans laquelle la séquence est visible à partir de la minute 0:35, qui correspond à 20h56 lors de l'émission de CNN.

En effectuant des recherches par mots-clés sur Google, l'AFP n'a pas été en mesure de trouver, au 6 septembre 2024, de mention de récente intervention de Kamala Harris dans laquelle elle commenterait la suspension de X au Brésil en appelant à faire la même chose aux Etats-Unis.

D'autres médias américains ont aussi dédié des articles de vérifications à cette séquence partagée en août 2024 hors de son contexte initial, dont Associated Press, Lead Stories ou USA Today (liens archivés ici, ici et ).

L'accès à X bloqué au Brésil

L'accès à l'ancien Twitter a été bloqué au Brésil, à l'issue d'un long bras de fer entre son propriétaire Elon Musk, et Alexandre de Moraes, un juge de la Cour suprême brésilienne.

Ce dernier a ordonné cette sanction après que X, qui comptait 22 millions d'usagers dans le plus grand pays d'Amérique latine (plus de 10% de la population), eut ignoré une série de décisions judiciaires liées à la lutte contre la désinformation.

Cette suspension a depuis provoqué une migration en masse d'internautes (lien archivé ici) vers des plateformes similaires comme Bluesky, réseau créé par Jack Dorsey, cofondateur de Twitter, où le portugais est devenue la langue la plus utilisée.

La plateforme a engrangé plus de 2 millions de nouveaux adeptes en quelques jours, alors qu'il en comptait moins de 6 millions avant la suspension de X, selon les chiffres fournis par l'entreprise.

En Europe, de premières sanctions visant X pourraient aussi tomber cet automne (lien archivé ici).

Les émeutes au Royaume-Uni, provoquées début août par de fausses rumeurs, ont rappelé le danger d'une expression non régulée sur internet. Le suspect du meurtre de trois fillettes avait été présenté à tort comme un demandeur d'asile musulman. L'infox, relayée et amplifiée sur les réseaux sociaux, dont X, avait déclenché des violences islamophobes.

Dans ce contexte, le commissaire européen au Numérique, Thierry Breton, a adressé mi-août une mise en garde  Elon Musk, juste avant une interview du candidat républicain à l'élection présidentielle américaine, Donald Trump, diffusée sur la plateforme.

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