Attention à ces affirmations sur des prétendus votes frauduleux massifs dans l'Arizona à l'élection américaine de 2020

A moins de trois mois de la présidentielle américaine, de nombreuses allégations trompeuses circulent sur les réseaux sociaux pour tenter d'influencer le scrutin. Parmi elles, des messages infondés ont assuré que plus de "10.000 clandestins en situation irrégulière" auraient illégalement voté en 2020 en utilisant le "même numéro de sécurité sociale" dans l'Etat d'Arizona, participant à l'élection de l'actuel président démocrate Joe Biden. Mais ces assertions, anciennes et à nouveau relayées en août 2024, sont infondées. Les recomptages et enquêtes sur l'intégrité de l'élection n'ont à ce jour trouvé aucune preuve de fraude électorale de cette échelle concernant l'élection de 2020, ni dans l'Arizona, ni dans le reste du pays, malgré les accusations trompeuses répétées en ce sens, relayées notamment par le candidat républicain Donald Trump.

"URGENT : Environ 10.000 clandestins en situation irrégulière ont utilisé le même numéro de sécurité sociale pour voter en Arizona", soutient le texte d'une vidéo partagée plus de 3.000 fois sur X depuis le 18 août par un compte qui se présente comme un relais de l'actualité liée au candidat républicain à la présidentielle américaine Donald Trump.

Des allégations semblables ont été partagées en français accompagnant la même séquence vidéo sur Facebook et sur VKontakte, et ont largement été diffusées en anglais.

Image
Capture d'écran prise sur X le 27 août 2024

Lors de l'élection présidentielle américaine de 2020, Joe Biden était arrivé en tête dans l'Etat d'Arizona, devançant le président sortant Donald Trump d'un peu plus de 10.000 voix (sur plus de 3,4 millions de votes dans l'Etat), selon le décompte officiel, qui a été authentifié (lien archivé ici).

De multiples vérifications à l'échelle des comtés de l'Etat, ainsi qu'une enquête menée par le procureur général de l'Arizona n'ont apporté aucune preuve de trucage massif de l'élection depuis, et de nombreuses contestations juridiques des résultats ont été rejetées (liens archivés ici, ici et ).

L'affirmation infondée à propos des prétendus votes frauduleux de "10.000 clandestins" dans l'Arizona s'inscrit dans une série d'assertions trompeuses, dont certaines ont été vérifiées par l'AFP, diffusées en amont de l'élection présidentielle américaine de novembre 2024, qui oppose la candidate démocrate Kamala Harris, actuelle vice-présidente des Etats-Unis, à Donald Trump.

Des accusations de fraude infondées

Des recherches d'images inversées à partir de la vidéo diffusée nous a permis de la retrouver publiée en juin 2022 par le média conservateur américain Right Side Broadcasting Media.

L'homme qui y figure est Jovan Hutton Pulitzer, un "entrepreneur" qui a déjà relayé plusieurs théories infondées sur des prétendues fraudes électorales après l'élection présidentielle de 2020, comme l'ont rapporté des médias américains (lien archivé ici).

Ces déclarations ont été tenues lors d'un événement de juin 2022 à Scottsdale (Arizona), visant à discuter de prétendues fraudes lors de l'élection de 2020. Il avait été mentionné dans des médias locaux (lien archivé ici). Parmi les participants figuraient aussi Kari Lake et Mark Finchem, alors candidats respectivement au poste de gouverneur et de secrétaire de l'Etat de l'Arizona.

Dans l'extrait, il prétend, sans avancer aucune preuve, qu'environ "10.000 migrants" auraient obtenu "le même numéro de sécurité sociale" pour travailler dans l'Arizona, qu'ils auraient ensuite utilisé pour recevoir "un permis de conduire" et "s'inscrire sur les listes électorales".

Dans son intervention, il fait aussi allusion à une autre théorie conspirationniste, déjà vérifiée par des médias américains (lien archivé ici), selon laquelle des bulletins de vote auraient été "détruits" dans l'incendie d'un élevage de volailles.

En 2021, une entreprise basée en Floride nommée "Cyber Ninjas" (lien archivé ici), qui a depuis cessé ses activités, avait engagé Jovan Hutton Pulitzer pour faire des recherches dans le cadre d'une enquête du Sénat de l'Etat de l'Arizona sur l'authentification des résultats des élections dans le comté de Maricopa (lien archivé ici). 

Il avait alors affirmé avoir inventé un processus appelé "détection d'artefacts cinématiques" qui, selon lui, permettrait de déterminer si des bulletins de vote ont été manipulés en scannant les plis et les marques sur le papier (lien archivé ici).

Mais un autre enquêteur engagé par le Sénat de l'Arizona avait qualifié son travail de "foutaises", estimant qu'il était "pénible à lire" en soulignant des biais et des failles dans la méthode proposée, selon des médias locaux (lien archivé ici).

En septembre 2021, les Républicains de l'Etat d'Arizona, qui ont commandé et financé les travaux de "Cyber Ninjas", ont publié leurs conclusions : le décompte de "99 votes supplémentaires" pour Joe Biden et "261 de moins" pour son rival et ancien président Donald Trump dans le comté de Maricopa, sur près de "2,1 millions" de votes recomptés.

L'AFP a contacté Jovan Hutton Pulitzer, mais n'avait reçu aucune réponse au moment de publication de cet article.

Image
Le dépouillement des les bulletins de vote dans le département électoral du comté de Maricopa à Phoenix, Arizona, le 5 novembre 2020. (AFP / OLIVIER TOURON)

La nationalité américaine requise pour voter

Des enquêtes indépendantes n'ont trouvé que quelques cas isolés de fraudes liées à des votes illégaux d'étrangers dans les élections passées. Pourtant, les messages trompeurs sur le fait que des étrangers n'ayant pas la nationalité américaine auraient voté ou seraient autorisés à voter lors de l'élection à venir circulent de façon récurrente sur les réseaux sociaux, et plusieurs ont déjà récemment été vérifiées par l'équipe anglophone de l'AFP (ici, ici, ou ). 

Les étrangers qui travaillent légalement aux Etats-Unis peuvent demander un numéro (et une carte) de sécurité sociale, ce qui leur permet de déclarer leurs salaires pour payer les éventuels impôts et déterminer leur éligibilité potentielle à des aides publiques (lien archivé ici). 

Toutefois, ces cartes ne constituent en aucun cas un équivalent à la citoyenneté américaine (lien archivé ici), et n'ouvrent ainsi pas aux mêmes droits que ceux des citoyens américains, ce qui est d'ailleurs précisé lors des demandes de numéros de sécurité sociale (lien archivé ici).

Dans l'Arizona, les travailleurs étrangers peuvent par ailleurs obtenir un permis de conduire, mais ils doivent pour cela pouvoir présenter un document prouvant qu'ils se trouvent légalement dans le pays, selon le site de l'Etat dédié (lien archivé ici).

Mais avoir un permis de conduire ou un numéro de sécurité sociale américain ne suffit pas à obtenir le droit d'être inscrit sur les listes électorales américaine : seuls les citoyens américains le peuvent.

Une loi électorale datant de 1993, la "National Voter Registration Act of 1993", impose à tous les Etats américains d'utiliser un formulaire commun d'inscription sur les listes électorales pour les élections fédérales (lien archivé ici), via lequel les électeurs doivent attester qu'ils sont citoyens américains afin qu'ils puissent avoir le droit de vote. Toute déclaration mensongère relève de la "parjure" et expose à des sanctions importantes.

Une autre loi, l'"Illegal Immigration Reform and Immigrant Responsibility Act of 1996" (lien archivé ici), "interdit aussi explicitement aux non-citoyens américains de voter lors des élections fédérales", avait aussi déjà rappelé auprès de l'AFP Rachel Orey, du département dédié aux élections du Bipartisan Policy Center, une organisation indépendante de recherches sur les procédés électoraux.

"Le fait de revendiquer faussement la citoyenneté américaine peut mener à des amendes, des peines d'emprisonnement, l'expulsion, l'impossibilité d'immigrer à l'avenir et/ou la révocation du statut juridique", développait Rachel Orey auprès de l'AFP, ajoutant que toutes ces sanctions dissuasives constituent "un facteur important visant à décourager les tentatives des non-citoyens de s'inscrire sur les listes et de voter".

Comme le souligne aussi un média d'investigation basé dans l'Arizona dans un article sur ces assertions infondées de fraude (lien archivé ici), "des recherches ont montré que les cas d'inscriptions sur les listes électorales de non-citoyens sont extrêmement rares" (lien archivé ici). 

Image
Un agent électoral traite les informations relatives aux électeurs dans le du Maricopa County Tabulation and Election Center (MCTEC) avant les élections primaires et générales de 2024 en Arizona, à Phoenix, Arizona, le 3 juin 2024. (AFP / Patrick T. Fallon)

La loi en vigueur dans l'Arizona indique que les électeurs doivent fournir une "preuve satisfaisante" de leur citoyenneté américaine avant de pouvoir voter (lien archivé ici). Si une personne qui s'inscrit sur les listes électorales n'a pas fourni de preuve de sa citoyenneté mais atteste de celle-ci en signant le formulaire, elle est considérée comme un "électeur fédéral uniquement", ce qui signifie qu'elle ne peut voter que pour les élections présidentielles et législatives (lien archivé ici).

En général, les personnes qui veulent s'inscrire sur les listes électorales doivent donc fournir une preuve de leur citoyenneté américains avec des documents d'identité officiels. Mais si une personne veut s'inscrire en présentant uniquement son permis de conduire délivré par l'Etat de l'Arizona, les fonctionnaires qui procèdent à son inscription peuvent recouper ces données avec d'autres fichiers officiels (dont ceux de la Division des véhicules motorisés de l'Etat ou de l'Administration de la sécurité sociale des Etats-Unis), a précisé Sierra Ciaramella, porte-parole du bureau de l'état civil du comté de Maricopa à l'AFP.

Elle a ajouté n'avoir "pas connaissance" d'informations corroborant les assertions diffusées sur les réseaux sociaux : selon elle, 4.484 bulletins de vote d'électeurs "fédéraux uniquement" ont été déposés dans le comté de Maricopa lors des élections de 2020 (lien archivé ici).

L'AFP a également contacté l'administration de la sécurité sociale pour obtenir un commentaire, mais n'avait pas reçu de réponse au moment de publication de cet article.

Des employés électoraux américains, particulièrement dans l'Arizona, sont régulièrement ciblés par des menaces qui s'appuient sur des accusations infondées de fraudes électorales depuis l'élection de 2020 remportée par Joe Biden au dépens de Donald Trump, qui avait lui même diffusé des accusations infondées de fraude électorale, comme l'ont rapporté plusieurs médias américains ces dernières années, comme ici ou (liens archivés ici et ).

Vous souhaitez que l'AFP vérifie une information?

Nous contacter