Non, une éolienne ne dissémine pas des "centaines de kg" de microfibres de carbone
- Publié le 19 juin 2024 à 15:06
- Lecture : 5 min
- Par : Manon JACOB, AFP Etats-Unis, AFP France
- Traduction et adaptation : Gaëlle GEOFFROY
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"Chaque éolienne perd des centaines de kg de microfibres de carbone au fil des ans en raison de l'abrasion sur les bords de l'aile", et ces quantités "se déposent dans l'environnement, se retrouvent dans le sol et pénètrent ainsi dans l'eau potable et le cycle alimentaire", affirment des publications sur Facebook et sur X au printemps 2024, en relayant une photo montrant une pale d'éolienne très dégradée :
Cette photo état a déjà circulé largement sur les réseaux sociaux ces derniers mois via des publications affirmant, à tort comme l'AFP l'avait montré, que les éoliennes disséminent dans l'environnement de "grandes quantités" de bisphénol A, substance soupçonnée d'être cancérigène.
Des publications affirmant cette fois que ces installations dissémineraient à grande échelle des fibres de carbone circulent par ailleurs en anglais, sur Facebook, X ou LinkedIn.
Quantité "largement exagérée"
D'où vient la photo de la pale abîmée ?
En faisant une recherche d'image inversée, on s'aperçoit qu'elle est visible sur le site d'une entreprise allemande, Blade Care, basée à Schönfeld, dans l'est de l'Allemagne, et qui fournit des services de réparation des éoliennes et de formation dans ce domaine (archive).
Contacté par l'AFP, son directeur, Hans Peter Zimmer, qui a pris cette photo lui-même, a indiqué le 7 juin 2024 que la quantité de matériau mentionnée sur les réseaux sociaux - des "centaines de kg" - était "largement exagérée".
Les éoliennes perdent selon lui trois kilos de peinture et matériaux tous les cinq ans : "C'est la quantité dont nous avons besoin pour restaurer les dommages, mais c'est un maximum", a précisé M. Zimmer.
Risque de déséquilibre de l'éolienne
D'autres experts confirment l'importante exagération des publications et soulignent que d'un point de vue purement pratique, il serait tout simplement impossible qu'une éolienne continue de fonctionner si elle était autant abîmée.
"La libération de quelques centaines de kg de matériaux pour une pale créerait un énorme déséquilibre dans la rotation de la turbine. Une différence de quelques kilogrammes entre les pales suffirait à provoquer des vibrations et à arrêter l'éolienne", a expliqué à l'AFP le 17 juin 2024 Régis Olivès, directeur de l'école d'ingénieurs Sup'EnR, dédiée au génie énergétique et aux énergies renouvelables, à Perpignan (archives 1, 2).
C'est pourquoi, pour des raisons de rentabilité économique aussi, les entreprises productrices d'énergie éolienne réagissent rapidement dès qu'elles repèrent une pale abîmée. "Quand une pale est légèrement corrodée, elle est très rapidement réparée car elle commence à produire moins d'énergie", a expliqué Leon Mishnaevsky Jr, chercheur dans le département Eolien et systèmes de production d'énergie à l'Université technique du Danemark, à l'AFP le 7 juin (archive).
Carbone emprisonné dans des revêtements
Les pales d'une éolienne sont fabriquées dans des matériaux composites en fibres de verre ou de carbone piégées dans des résines époxy ou polyester, rappelle le site Mediachimie. Ces composites sont ensuite recouverts d'un revêtement (archive).
Pour limiter l'érosion du bord d'attaque d'une pale, les industriels appliquent des revêtements de surface résistants, notamment à base de polyuréthane (archive), qui "servent à protéger les composites sous-jacents contre les intempéries et les impacts de corps étrangers. Ces revêtements contribuent à réduire davantage les pertes de matériaux", précise Régis Olivès.
Leon Mishnaevsky Jr confirme que le texte qui légende la photo sur les réseaux sociaux est ainsi "faux et trompeur" (archive). "Les revêtements ne sont pas en carbone, mais en polyuréthane et autres plastiques", comme du plastique souple utilisé par exemple dans les revêtements pour le sol ou les sièges des voitures.
Le scientifique confirme que les déchets issus de la corrosion ne peuvent "en aucun cas" représenter des centaines de kilogrammes comme l'affirment à tort certains internautes.
Dans ces conditions, difficile d'affirmer, comme le font les publications, que d'immenses quantités de fibres de carbone issues des éoliennes se retrouveraient ensuite dans la nature.
Contacté par l'AFP, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), qui mène des travaux de recherche sur les risques potentiels induits par les activités économiques sur la santé et l'environnement notamment, a indiqué le 14 juin ne disposer d'aucune donnée sur un tel hypothétique phénomène.
Les scientifiques du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) estiment que l'énergie éolienne présente un "potentiel significatif" pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique (archive).
L'AFP a déjà vérifié plusieurs affirmations fausses ou trompeuses à propos des éoliennes, comme ici, ici ou ici.