Le logo du réseau social Facebook sur un écran de smartphone, le 3 avril 2024. ( AFP / KIRILL KUDRYAVTSEV)

Interviews inventées, montages : attention à ces "deepfake" vantant des remèdes contre le diabète

Sur Facebook et Instagram, des internautes sont ciblés par des publications promouvant de prétendus remèdes miracles contre le diabète. Ces contenus s'appuient sur la notoriété de personnalités du milieu médical comme Michel Cymes et Didier Raoult et leur prêtent, dans des vidéos manipulées, des propos inventés incitant à utiliser ces produits. Mais comme l'AFP a pu l'établir, il s'agit d'une usurpation de leur identité. Une manipulation potentiellement dangereuse car elle leur fait tenir des propos inexacts sur le traitement du diabète et incite le public à utiliser des produits à l'efficacité non prouvée. Cette méthode de manipulation rappelle en outre celle de différentes campagnes de désinformation ou d'arnaque menées récemment sur Facebook et X. 

"Bonjour, je m'appelle Didier Raoul [sic]", "bonjour, je m'appelle Michel Sims [sic]" : sur Facebook et Instagram, réseaux sociaux du groupe Meta, Didier Raoult et Michel Cymes semblent promettre directement aux utilisateurs, dans des messages vidéos, un remède particulièrement efficace contre le diabète.

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Captures d'écran prises sur Facebook le 16 mai 2024.

Dans chacune de ces séquences (ici et ), le médecin paraît s'adresser directement à la caméra pour affirmer, d'une voix légèrement saccadée, qu'il vaut mieux "ne pas traiter le diabète avec la metformine", un anti-diabétique à l'usage répandu, car celui-ci "ne s'attaque[rait] pas à la cause sous-jacente" de la maladie, qui n'aurait "rien à voir avec la génétique, la santé, les habitudes alimentaires et le manque d'exercice.

Leur prétendue démonstration se poursuit par la promotion d'une solution "sans injection douloureuse ou médicament coûteux", une méthode qui aurait déjà été utilisée par "plus de 41.000 personnes" pour "rétablir leur taux de sucre dans le sang". 

Ces publications renvoient vers une URL - qui, au 21 mai, n'est plus active- censée mener sur la page d'achat de ce produit. Certaines de ces fausses vidéos sont des contenus publicitaires (comme le montre le mot "sponsorisé", visible en général sous le nom du compte) : un annonceur paye le réseau social pour que son contenu soit diffusé à un certain type d'utilisateurs.

Base du modèle économiques des réseaux sociaux, la publicité ciblée constitue l'écrasante majorité du chiffre d'affaires d'un réseau social comme Facebook.

Mais ces vidéos sont trompeuses à double titre car elles détournent des extraits d'interview de ces deux personnalités pour leur prêter des propos inventés promouvant des produits à l'efficacité non reconnue dans le traitement du diabète - une "maladie chronique caractérisée par la présence d’un excès de sucre dans le sang", ainsi que le résume le ministère de la Santé sur son site (lien archivé). 

Comme l'AFP a notamment pu le constater sur les vidéos citées en exemple, elles manipulent respectivement les images d'une vidéo initialement publiée par Didier Raoult sur sa chaîne YouTube en décembre 2023, qui portait sur les antibiotiques, et une interview de Michel Cymes mise en ligne sur la chaîne YouTube "Raconte!", en octobre 2022 (lien archivé), dans laquelle il revenait sur son parcours personnel et professionnel. 

En outre, ces vidéos s'achèvent sur des propos qui n'ont aucun sens, comme on peut l'entendre quand la voix des deux personnalités se met à tenir des propos incohérents (tels que : "Par exemple ou exemple prix des sourdaires pour Heavenly et Spatio pendant 1 quai" sur la séquence manipulée de Didier Raoult) et ainsi qu'on peut également le voir dans les sous-titres associés. 

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Captures d'écran prises sur Facebook le 16 mai 2024.

Joint par l'AFP le 17 mai 2024, Didier Raoult a indiqué par SMS ne "jamais" avoir "donné d'autorisation" pour ce type de contenu. De plus,  l'analyse réalisée sur sa vidéo manipulée via Loccus.ai, un outil d'identification de voix générées par intelligence artificielle, détecte un "fragment audio [...] très probablement généré par l'IA". 

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Résultat de l'analyse de Loccus.ai

De son côté, Michel Cymes a déploré le même jour auprès de l'AFP que "des arnaques de ce genre", recourant à sa voix et à son image, circulent depuis "des années" et indiqué que ses avocats "ont déjà assigné" Facebook et Instagram.  

Des allégations fausses

Contacté par l'AFP le 16 mai 2024, Jean-François Thébaut, médecin et vice-président de la Fédération française des diabétiques, dénonçait pour sa part la nature trompeuse des propos avancés dans ces vidéos sur le traitement du diabète : "C'est plus que faux [...], c'est une contre-vérité puisque dans toutes les recommandations internationales, y compris en France [...], la metformine est indiquée en première ligne comme médicament dans tous les cas de diabète de type 2.

La metformine est en effet un "antidiabétique oral" qui "permet de diminuer l'excès de sucre dans le sang sans pour autant favoriser la sécrétion d'insuline" (une hormone sécrétée par le pancréas qui fait baisser le taux de sucre dans le sang), comme le résume la fiche de ce médicament compilée dans la base de données de référence des produits de santé VIDAL (lien archivé).  

Et le spécialiste de fustiger également les propos "complètement faux" avancés dans la vidéo à propos des facteurs d'origine du diabète : "Le diabète de type 2 est plutôt [dû aux habitudes alimentaires] mais il peut y avoir des facteurs génétiques. [...] De reconnaissance universelle, ce qui fait le lit du diabète c'est le manque d'activité physique, la sédentarité, la mauvaise alimentation."

Joint par l'AFP le 17 mai 2024, le Dr Olivier Dupuy, chef de service en diabétologie, endocrinologie et nutrition, au groupe hospitalier Paris Saint-Joseph et secrétaire général de la Société francophone du diabète, a quant à lui indiqué : "Le diabète de type 2 est une maladie avec des déterminants génétiques."

De nombreuses vidéos similaires dans la bibliothèque publicitaire de Meta 

Une recherche avec le mot-clé "diabète" dans la bibliothèque publicitaire de Meta, censée contenir des informations sur les différents contenus sponsorisés diffusés sur le réseau social,  permet de trouver de nombreuses autres vidéos détournant des interviews de Didier Raoult et de Michel Cymes pour leur faire tenir les mêmes propos promotionnels sur un prétendu médicament miracle contre le diabète.

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Captures d'écran prises sur Facebook le 16 mai 2024.
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Captures d'écran prises sur Facebook le 16 mai 2024.

Certaines de ces publications récemment diffusées sur Meta se présentent aussi sous la forme de simples visuels recourant à l'image de l'une de ces deux célébrités. 

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Capture d'écran prise sur Facebook le 16 mai 2024.

Dans une autre séquence vidéo emblématique (lien archivé), partagée avec une légende déconcertante ("Chaque année, la population guatémaltèque meurt du DIABÈTE en France"), et illustrée du logo de "TF1 Info", ce sont pas moins de trois personnalités qui voient leur image détournée : le comédien Jean Reno, Didier Raoult et le journaliste Gilles Bouleau.  

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Captures d'écran prises sur Facebook le 16 mai 2024.

Le célèbre acteur français, un micro à la main, semble y affirmer, en préambule, avoir "failli mourir de diabète", expliquant que "sans ces gélules" on ne l'aurait "jamais revu". 

La séquence se poursuit sur des images de Didier Raoult : "le diabète est la première cause de mortalité en France" et qu'il est possible de "développer un cancer à un stade critique" en l'absence de soins. 

Le présentateur et rédacteur en chef du Journal de 20 heures de TF1, Gilles Bouleau, apparaît alors à son tour dans ce montage, pour évoquer une prétendue "formule pour traiter le diabète" à laquelle aurait été allouée la somme d'"un milliard d'euros". La vidéo se poursuit ensuite avec une nouvelle apparition de chacune de ces célébrités et un appel à recourir à ces gélules pour être "en bonne santé". 

Mais ces images sont, là encore, toutes détournées et manipulées pour y faire tenir des propos inventés à ces trois célébrités, et inciter les internautes à cliquer sur le lien associé à la publication, qui renvoie vers une page de vente d'un produit nommé "Insulevel" et présenté comme un complément alimentaire qui permettrait, entre autres propriétés, de prévenir l'hypoglycémie, de stabiliser le taux de sucre ou encore d'augmenter la production d'insuline. 

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Capture d'écran prise le 16 mai 2024.

Cette page mentionne en outre, photo à l'appui, un prétendu avis "d'expert", appelé "Antonin Thibodeau", "spécialiste en endocrinologie". AFP n'a pas trouvé trace de cet "expert" malgré ses recherches en ligne.

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Capture d'écran réalisée le 21 mai 2024.

Une recherche inversée de sa photo à l'aide du logiciel Pimeyes de détection de visage permet en revanche de constater que l'image de cet homme est utilisée sur de nombreux visuels de promotion de différents médicaments, notamment sur des sites russes.

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Capture d'écran réalisée le 21 mai 2024.

Quand on tape le nom du produit Insulevel sur Google, on tombe sur de nombreux liens de sites marchands. On trouve aussi une page de présentation qui propose comme "contact" une entreprise située aux Seychelles. 

Contacté par l'AFP le 21 mai 2024 pour en savoir plus sur les éventuelles études scientifiques réalisées autour de son produit, Insulevel n'avait pas répondu à nos sollicitations au moment de la publication de l'article. 

"[Inciter à] remplacer des médicaments qui marchent par des pilules dont on ignore le contenu, qui, accessoirement ne sont pas remboursées par la sécurité sociale et dont on ne sait rien de la dangerosité potentielle, c'est une escroquerie, c'est pire qu'un mensonge, c'est un abus de confiance", dénonce Jean-François Thébaut. 

Olivier Dupuy dénonce pour sa part Insulevel comme "de la poudre de perlimpinpin" : "C'est un complément alimentaire. Il y a de la vitamine [...], du zinc, de la gélatine, il y a un peu de tout mais il n'y a rien d'efficace pour améliorer la gycémie. Où sont les études d'efficacité ? [...] Il n'y a rien dans ces molécules d'anti diabétique."

"[Le diabète] est une maladie hétérogène, c'est pour ça qu'on fait du traitement sur mesure, personnalisé", poursuit l'expert.

Joint par l'AFP le 17 mai 2024, TF1 a en outre confirmé "ne pas être à l'origine de cette vidéo" qui usurpe son logo. 

Dans le détail, comme l'AFP a pu le vérifier, les passages avec Jean Reno sont en réalité tirées d'une interview donnée par l'acteur au Tribeca Film Festival, à New York, en 2016 (lien archivé).

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Captures d'écran prises sur Facebook (à gauche) et sur YouTube (à droite) le 16 mai 2024.

"L'intervention" de Didier Raoult est quant à elle tirée d'une interview mise en ligne en janvier 2024 sur la chaîne YouTube LEGEND (lien archivé).  

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Captures d'écran prises sur Facebook (à gauche) et sur YouTube (à droite) le 16 mai 2024.

Enfin, les séquences avec Gilles Bouleau sont issues d'un entretien du journaliste datant d'avril 2024, dans lequel il racontait sa couverture, en tant que grand reporter, du génocide du Rwanda : une intervention intégralement disponible sur la chaîne YouTube de TF1 (lien archivé).  

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Captures d'écran prises sur Facebook (à gauche) et sur YouTube (à droite) le 16 mai 2024.

L'activité physique et une alimentation équilibrée comme "premier traitement" du diabète

Comme le détaille Jean-François Thébaut, il existe deux "différences fondamentales" entre le diabète de type 1 et le diabète de type 2. 

"Le type 2, c'est ce qu'on appelle une insulinorésistance, c'est-à-dire que l'organisme fabrique de l'insuline mais les cellules qui utilisent le glucose comme carburant [deviennent] progressivement un peu résistantes à l'insuline, et celle-ci ne fait donc pas bien son travail. Les médicaments qu'on donne pour réguler ça peuvent soit agir à un niveau de la régulation directe du glucose par la digestion, l'alimentation, l'appétence, etc. Soit agir par ce qu'on appelle une insulinosecrétion, c'est-à-dire qu'ils vont pousser le pancréas à fabriquer un peu plus d'insuline", explique le spécialiste.

Le diabète de type 1, lui, est "un phénomène immunologique" : "L'organisme fabrique lui-même des anticorps qui vont aller détruire les cellules fabriquant l'insuline. Dans ce cas-là, il n'y a pas assez d'insuline, car les cellules qui fabriquent l'insuline sont détruites par les anticorps. Le seul traitement, c'est l'insulothérapie, le fait de mettre une insuline de substitution. On remplace l'insuline normalement fabriquée par le pancréas par une insuline exogène, qu'on injecte en sous-cutané par exemple."

D'après le ministère de la Santé, le diabète de type 2 est "le plus fréquent (plus de 90%) et en forte progression dans le monde entier" (notamment en raison de l'évolution des modes de vie, liée à l'alimentation et à l'activité physique). En France, en 2019, l'Assurance maladie dénombrait 4 millions de diabétiques.

Pour Jean-François Thébaut, le "premier traitement" du diabète de type 2 ne réside pas dans un médicament mais dans "l'activité physique et l'alimentation équilibrée et adaptée" : "C'est le premier traitement, c'est celui qu'il faut mettre en oeuvre chez tout le monde en premier lieu. Après, secondairement, si ça ne suffit pas, on va aller vers les médicaments.

Un rappel également formulé par Olivier Dupuy : "La base du traitement [du diabète] repose premièrement sur des règles hygiéno-diététiques. Le fait d'avoir une alimentation moins calorique, plus répartie dans la journée, avec une bonne proportionnalité des aliments - glucides, lipides, protides, 50/35/15% respectivement - est très important puisqu'on va alléger la charge de fonctionnement de notre système métabolique. Donc, lorsque notre alimentation plus 'diététique', on va améliorer la régulation glycémique."

"La deuxième chose fondamentale, c'est l'activité physique, qui va avoir un effet majeur pour nous rendre plus sensibles à l'insuline. Cela réduit l'insulinorésistance et donc forcément, ces deux mécanismes couplés que sont les règles hygiéno-diététiques plus adaptées et l'activité physique, peuvent à eux-mêmes suffire pour équilibrer bon nombre de diabètes", poursuit le spécialiste, qui conclut :  "Les règles hygiéno-diététiques sont la priorité, et ensuite, lorsque ce n'est pas suffisant, l'étape d'après, c'est la metformine. [...] Elle reste très centrale dans la prise en charge."

Une méthode rappelant une précédente campagne d'arnaques sur Meta 

Ces publications usurpant l'identité de célébrités pour promouvoir des sites douteux rappellent la méthode utilisée dans une récente campagne d'arnaques sur Meta vérifiée par l'AFP, qui manipulait également des images et la voix de stars comme le chanteur Gims pour faire la promotion de sites de cryptomonnaie.

Un ciblage similaire a également été observé récemment sur la plateforme X, en usurpant cette fois l'identité d'autres personnalités, telles que Jamel Debbouze, Vincent Cassel ou encore Elise Lucet. 

Ainsi que le notait auprès de l'AFP fin janvier 2024 Alexandre Alaphilippe, directeur exécutif de l'ONG européenne EU DisinfoLab spécialisée dans la lutte contre la désinformation, ce type de vidéo manipulée est "vraiment de très basse qualité en termes de montage et de création de contenu" sans que cela ne nuise pour autant à leurs chances de succès : "Comme ce genre d'arnaque est bas de gamme et qu'on y est confronté de manière régulière, on a toujours l'impression que ça ne marche pas, mais des enquêtes montrent [...] que ce genre de contenu bas de gamme peut rapporter énormément d'argent. [...] Ca peut être très profitable. Ils font de la masse, pas du ciblage de qualité. Ils lancent les gros filets, la plupart des petits poissons s'en sortent, les gros poissons continuent à donner et ça finance l'opération."

L'AFP a en outre vérifié, ces dernières années, de nombreuses affirmations autour de faux remèdes miracles contre le diabète, tels que le corossol ou encore le jus de courge

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