Attention à cette vidéo décontextualisée de Xi Jinping face à son armée

Depuis plus de deux ans et le début de la tentative d’invasion de l’Ukraine par la Russie, la Chine n’a jamais condamné l'agression russe, assurant, au contraire, vouloir accroître la coopération économique et militaire avec Moscou. Dans ce contexte, des internautes partagent une vidéo du président chinois Xi Jinping face à des milliers de militaires. Selon certains, le dirigeant aurait "élevé son armée au plus haut niveau d'alerte". D'autres écrivent que la Chine aurait assuré être "prête à intervenir militairement" en cas d'attaque contre la Russie menée par les Etats-Unis ou l'Otan. Cependant, la vidéo virale date de 2018, filmée à l'occasion d'une réorganisation de l'armée chinoise, comme l'ont montré les recherches de l'AFP. De plus, la Chine n'a jamais menacé d'intervenir militairement aux côtés de la Russie et cette affirmation avait déjà été relayée en 2022.

"ALERTE Le Président de Chine, #XiJinping, élève son armée au plus haut niveau d’alerte ce jour. Ce membre des #BRICS soutient la #Russie et la précipitation des récents événements en #Ukraine ainsi que dans la bande de #Gaza en #Palestine pourrait forcer les pays membres de l’alliance à réagir militairement", assure le 16 mars sur X un internaute. En quelques jours, son message a récolté près d'un millier de partages.

"C est un moment rare Xi demande à son armée de se préparer à un niveau stratégique Il a dit et répète qu’il était avec la Russie Mais il a aussi dit qu’il voulait la Paix C est pourquoi il prépare la guerre", soutient le même jour un autre internaute sur X, cumulant lui aussi près de mille republications.

"ALERTE 3ème Guerre Mondiale – La Chine est prête à intervenir militairement  n'importe où si les États-Unis ou l'OTAN décident d'attaquer la Russie,  selon le représentant du ministère chinois de la Défense", écrit un troisième profil sur le même réseau social.

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Captures d'écran réalisées sur X le 20 mars 2023

On peut également retrouver ces affirmations sur Facebook (ici et ici) ainsi que dans d'autres langues, notamment en anglais (ici et ici), en espagnol et en turc (ici, ici et ici).

Publiés entre le 16 et le 18 mars, ces multiples messages relaient tous la même vidéo. On y voit Xi Jinping, le président chinois, s'adresser à des milliers de soldats placés en rang. Autour d'eux, de multiples blindés, avions de combat et navires.

"Ici, je donne mes ordres : les militaires à tous les niveaux doivent renforcer la formation militaire et la préparation à la guerre, placer sans relâche la formation militaire à une position stratégique et mettre en œuvre efficacement la formation militaire comme sa tâche centrale", déclare Xi Jinping, selon les sous-titres (en anglais) de la vidéo.

"Combat réel"

En observant attentivement les images, on peut voir un logo en haut à droite en forme de "g". Par ailleurs, sur certaines publications, on remarque la mention "theguardian" dans les dernières secondes de la vidéo.

En recherchant les mots clé "guardian", "Xi Jinping" et "army" sur des moteurs de recherche, on retrouve cette vidéo publiée le 4 janvier 2018 sur la chaîne Youtube du Guardian, un journal britannique (lien archivé ici).

Intitulée "L’armée chinoise fait preuve de puissance militaire pour Xi Jinping", elle dure 1 minute 40 et présente l'exact même montage d'images que sur les publications virales.

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Capture d'écran réalisée sur Youtube le 20 mars 2023

Comme expliqué à l'époque par l'AFP, Xi Jinping s'était rendu dans le nord de la province septentrionale de Hebei pour y inspecter le centre de commandement de l'armée populaire de libération, l'armée nationale chinoise (lien archivé ici). Les militaires ne doivent "craindre ni la difficulté ni la mort", avait-il expliqué.

"Xi Jinping met l'accent sur l'entraînement au combat réel", titrait alors, en français, l'agence de presse nationale Xinhua (lien archivé ici). Selon elle, le dirigeant chinois faisait face à "plus de 7.000 officiers et soldats, ainsi que près de 300 ensembles d'armement".

Selon Jean-François Di Meglio, président de l'institut de recherche Asia Centre, cette visite, inédite depuis les années 70, se déroule dans un contexte de "réforme profonde de l'armée" (lien archivé ici). "La grande réforme que Xi Jinping met en oeuvre, c'est avoir une armée beaucoup plus technologique et orientée vers les nouvelles priorités de la Chine qui ne sont pas les priorités continentales", en mettant notamment l'accent sur la marine, relève le spécialiste.

Outre le Guardian, Euronews avait également partagé les images de ce discours de 2018 avec un montage différent (lien archivé ici).

Si Xi Jinping a appelé l'armée à devenir une "force d'élite et puissante, toujours prête au combat", il n'a pas désigné directement d'adversaire selon les différents compte-rendu de cette allocution.

Anciennes affirmations

Selon certains internautes, l'armée chinoise serait "à son plus haut d'alerte ce jour" suite à une décision de Xi Jinping. Aucune annonce de ce genre n'a pu être retrouvée par l'AFP.

En revanche, la Chine a indiqué en septembre 2023 que ses soldats étaient "constamment en état d'alerte élevée" après le passage de deux navires américain et canadien par le détroit de Taïwan (lien archivé ici).

La Chine considère Taïwan comme l'une de ses provinces bien qu'elle n'exerce aucune souveraineté sur ce territoire insulaire de 23 millions d'habitants et ses îles adjacentes (lien archivé ici).

Le président chinois Xi Jinping répète inlassablement que la réunification de Taïwan avec la Chine continentale, au destin séparé depuis 75 ans et la fin de la guerre civile chinoise, est inévitable.

"L'intégration de Taïwan est la priorité du pouvoir chinois", relève Jean-François Di Meglio.

L'élection présidentielle taïwanaise remportée en janvier par Lai Ching-te, issu d'un parti militant traditionnellement pour l'indépendance, a encore tendu des relations déjà difficiles entre Pékin et Taipei.

Tout pas vers l'indépendance de Taïwan sera "sévèrement puni", a averti Wang Yi, le chef de la diplomatie chinoise après le scrutin (lien archivé ici). Pour lui, "quels que soient les résultats de l'élection, ils ne peuvent pas changer le fait fondamental qu'il n'y a qu'une seule Chine et que Taïwan en fait partie""Taïwan n'a jamais été un pays. Cela ne l'était pas dans le passé, et cela ne le sera certainement pas dans le futur", a-t-il encore déclaré.

Selon Alexander Huang, expert militaire de l'université de Tamkang à Taipei interrogé par l'AFP en janvier, une réaction militaire de la Chine au scrutin "ne sera sans doute pas immédiate", mais "Pékin va faire monter la pression sur Taïwan d'autres manières".

Même opinion pour Marc Julienne, responsable des activités Chine à l'Institut français des relations internationales (Ifri): "La période à surveiller et qui risque d'être un peu plus dangereuse avec plus de gesticulations militaires chinoises, ce sera probablement à l'approche du discours d'investiture du président Lai au mois de mai".

Taïwan observe déjà une présence quasi-quotidienne d'avions et de navires de guerre chinois dans le détroit, ce qui fait redouter un possible accident, surtout en l'absence de communications à haut niveau entre Pékin et Taipei.

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Le président élu de Taiwan Lai Ching-te (à gauche) et son colistier Hsiao Bi-khim assistent à un rassemblement devant le siège du Parti démocrate progressiste (DPP) à Taipei le 13 janvier 2024, après avoir remporté l'élection présidentielle. Le candidat du parti au pouvoir à Taiwan, Lai Ching-te, qualifié de menace à la paix par la Chine, a remporté le 13 janvier l'élection présidentielle de l'île, un vote étroitement surveillé de Pékin à Washington.ALASTAIR PIKE / AFP (AFP / ALASTAIR PIKE)

D'autres publications virales que nous examinons prétendent que "la Chine est prête à intervenir militairement n'importe où si les Etats-Unis ou l'OTAN décident d'attaquer la Russie, selon le représentant du ministère chinois de la Défense".

Des affirmations similaires, presque au mot près, avait été partagées en 2022 sur les réseaux sociaux juste après le début de la guerre en Ukraine. Comme expliqué alors par l'AFP, aucune trace de cette supposée déclaration n'avait pu être retrouvée alors que la Chine tentait de trouver une position lui permettant à la fois de conserver sa proximité politique avec la Russie et de poursuivre sa traditionnelle défense de "la souveraineté et l'intégralité territoriale" des Etats.

"Le porte-parole du ministère chinois de la Défense nationale n'a jamais prononcé cette déclaration. Nous exhortons les médias (sic) concernés à observer une éthique professionnelle et à cesser de fabriquer et de diffuser de fausses informations", avait également démenti auprès de l'AFP le ministère.

"La Chine lance systématiquement des messages de paix", explique Jean-François Di Meglio. "Intervenir militairement, ça n'est pas dans la langage chinois sauf peut-être pour Taïwan où vous avez une alternance entre des propos pour 'réunification pacifique' et une posture qui dit parfois vouloir 'conquérir Taïwan'. Mais la Chine fait très attention à être en cohérence avec sa posture soi-disant pacifique."

"Coopération stratégique globale"

N'ayant jamais condamné l'invasion russe en Ukraine, Pékin appelle régulièrement à un règlement politique du conflit. Son émissaire pour la question ukrainienne, le diplomate Li Hui, a pointé l'an passé le rôle néfaste selon lui de l'aide militaire occidentale à l'Ukraine (lien archivé ici). "Si nous voulons vraiment arrêter la guerre, sauver des vies et obtenir la paix, nous ne devrions pas envoyer des armes sur le champ de bataille", avait-il dénoncé.

Mercredi 31 janvier 2024, les ministres chinois et russe de la Défense se sont parlé via un entretien vidéo. Selon le compte rendu russe de cet échange, Dong Jun, le nouveau ministre chinois de la Défense, a assuré à son homologue son "soutien" sur "la question de l'Ukraine, même si les Etats-Unis et l'Europe continuent de faire pression sur la Chine" (lien archivé ici).

D'après le même document, "au cours de l'entretien, le ministre russe de la défense a déclaré que, dans le domaine militaire également, les relations entre les deux pays se développent régulièrement dans toutes les directions. [...] Il a également souligné que 'nos actions ne sont pas dirigées contre des pays tiers. Contrairement à certains pays occidentaux, nous ne créons pas de bloc militaire'."

Plus concis et moins affirmatif, le compte-rendu publié par l'agence de presse officielle chinoise Xinhua évoque "un partenariat stratégique global de coordination Chine-Russie pour une nouvelle ère" (lien archivé ici). Selon le document, Dong Jun a "exhorté les deux armées à élargir sans cesse leur coopération pratique [et] à porter leurs relations militaires à un niveau plus élevé".

Lundi 18 mars, le président chinois Xi Jinping a félicité Vladimir Poutine pour sa réélection, reflet selon lui du "plein soutien" des Russes à leur président, Pékin se disant convaincu que les relations entre les deux pays "continueront à progresser" à l'avenir (lien archivé ici). La Chine et la Russie sont "des partenaires de coopération stratégique globale", a-t-il souligné.

Les marines chinoise, russe et iranienne ont organisé la semaine du 11 mars 2024 des exercices militaires conjoints dans le golfe d'Oman, dans un contexte régional explosif avec la guerre à Gaza et des attaques en mer Rouge par les rebelles yéménites Houthis (lien archivé ici).

Ces trois pays, qui partagent une volonté commune de contrer ce qu'ils présentent comme l'hégémonie américaine, avaient déjà organisé en mars dernier des exercices conjoints dans la région.

Ces manoeuvres ont pour objectif de "maintenir conjointement la sécurité maritime régionale", selon le ministère chinois de la Défense.

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