Non, un article du Times of Israel ne prouve pas qu'un otage aurait été libéré "deux fois"
- Publié le 13 février 2024 à 17:11
- Mis à jour le 13 février 2024 à 17:15
- Lecture : 9 min
- Par : Juliette MANSOUR, AFP France
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Le 12 février 2024, Israël a annoncé avoir libéré deux otages détenus à Rafah, ultime cible affichée de son offensive dans la bande de Gaza, lors d'une vaste opération nocturne ayant fait une centaine de morts, selon le Hamas (lien archivé ici).
Fernando Simon Marman, 60 ans, et Louis Har, 70 ans, enlevés le 7 octobre 2023, ont été libérés par l'armée, le Shin Beth (Sécurité intérieure) et la police israélienne, ont indiqué ces services." Une fusillade a eu lieu et il y a eu des tirs depuis des bâtiments voisins. L'armée de l'air a mené des frappes. De nombreux terroristes ont été tués ainsi qu'un de nos soldats", a déclaré le porte-parole de l'armée, Daniel Hagari.
Le ministère de la Santé du Hamas a fait état de son côté "d'environ 100 morts" dans une "attaque", incluant des frappes contre de nombreux bâtiments, à Rafah, une ville à la pointe sud de Gaza, où s'entassent 1,4 million de Palestiniens, selon l'ONU, dont la grande majorité y ont trouvé refuge ces derniers mois pour tenter d'échapper aux combats et aux bombardements dans le reste du territoire.
Les deux otages, ayant la nationalité israélienne et argentine et enlevés au kibboutz Nir Yitzhak, ont ensuite été héliportés à l'hôpital Sheba, situé à Ramat Gan, près de Tel-Aviv, où ils "sont dans un état stable", a assuré Arnon Afek, le directeur de l'établissement.
La guerre a été déclenchée le 7 octobre par une attaque sans précédent de commandos du Hamas infiltrés de la bande de Gaza dans le sud d'Israël, qui a entraîné la mort de plus de 1.160 personnes, en majorité des civils tués ce jour-là, selon un décompte de l'AFP réalisé à partir de données officielles israéliennes.
Depuis, les accusations de mises en scène et les fausses affirmations destinées à décrédibiliser l'adversaire ne cessent d'inonder les réseaux sociaux.
Accusations de mise en scène
Quelques heures après leur libération, des publications virales sur internet en français et en anglais ont soutenu que ce sauvetage aurait été mis en scène, assurant que Louis Har avait, selon la presse israélienne, déjà été libéré en décembre 2023.
Ces internautes ont relayé, à l'appui de leurs propos, la capture d'écran d'un article du Times of Israel du 19 décembre 2023, titré "RESCUED : Argentine-born Louis Har, grandfather to ten", en français : "LIBERE : Louis Har, né en Argentine, grand-père de dix enfants", disponible ici et archivé ici.
Certaines publications comparent ce premier article à un second du Times of Israel, publié le 12 février 2024 et titré "on rescued hostages Fernando Marman and Louis Har" ("sur les otages secourus Fernando Marman et Louis Har"), disponible ici et archivé ici.
"Cet otage a été sauvé deux fois ? Quand est-ce que la désinformation israélienne s'arrêtera donc??", interroge un compte sur X, tandis qu'un autre ironise : "combien de fois est-ce qu'Israël peut libérer le même otage"?
Un article mis à jour
Grâce au système d'archivage du web WayBack Machine, il est possible de remonter dans le temps pour regarder à quoi ressemblait l'article du Times of Israel dont sont tirées les captures d'écran à différentes dates.
Au 13 février, 26 sauvegardes de l'article existaient sur la WayBack Machine.
La première version archivée apparaît le 19 décembre 2023, jour de la première publication de l'article.
En cliquant dessus, il est possible de voir le titre d'origine, qui est est "Taken captive: Argentine-born Louis Har and Fernando Marman" ("Pris en otage : Louis Har, né en Argentine, et Fernando Marman"), et non "RESCUED : Argentine-born Louis Har, grandfather to ten".
Il n'est pas mentionné ici que Louis Har a été libéré.
Pour voir plus en détails de quelle manière l'article a été modifié, il est possible d'utiliser l'outil "changes" de WayBack Machine qui permet de mettre en relief des modifications entre deux archives.
En comparant deux versions sauvegardées de l'article, ci-dessous à gauche le 12 février, et ci-dessous à droite le 8 janvier, apparaît en jaune le contenu supprimé, en bleu celui ajouté.
L'outil montre que le titre et le contenu de l'article ont été modifiés à partir du 12 février après l'opération nocturne menée par Israël pour mentionner la libération des deux otages.
Sous la photo et avant le texte a notamment été ajouté ce texte : "Norberto Louis Har a été libéré de sa captivité à Rafah lors d'une vaste opération militaire le 12 février 2024. Voici l'histoire de sa capture".
L'article du Times of Israel indique en outre bien avoir fait l'objet d'une mise à jour le 12 février 2024, à 20h56. La date initiale de l'article est néanmoins restée la même, semant la confusion chez certains internautes.
Times of Israel a ensuite publié le 12 février 2024 un nouvel article, également dans certaines publications, pour raconter la libération des deux otages disponible ici et archivé ici. " Voici quelques détails sur les deux otages sauvés, Fernando Marman et Louis Har, tirés de notre précédent reportage : Fernando Marman, 61 ans, a été pris en otage le 7 octobre entre le kibboutz Nir Yitzhak et Gaza par des terroristes du Hamas, ainsi que sa sœur Clara Marman, 62 ans, son compagnon Har, 70 ans, leur autre sœur Gabriela Leimberg, 59 ans, et la fille de Gabriela, Mia Leimberg, 17 ans", explique le média.
A la libération des deux otages israéliens, leur famille ont évoqué leur soulagement. "Nous les avons vus (...) il y avait beaucoup de larmes, des embrassades et peu de mots", a raconté Idan Bejerano, le gendre le gendre de Luis Har. "Vers 3H00 du matin nous avons reçu un appel des autorités israéliennes nous disant: Fernando et Louis sont entre nos mains, venez les voir à l'hôpital. Nous étions sous le choc. Nous nous ne nous attendions pas à ça. Mais nous avons sauté dans la voiture et sommes arrivés ici", a-t-il raconté (archive ici).
"Nous avons pu les voir. De ce que nous avons pu voir, ils sont sous surveillance médicale, alités. Ils semblent 'ok', si je puis dire. Ils passent une batterie de tests, entourés de médecins et d'infirmières. Plus important encore, leur famille les entoure", a-t-il ajouté en s'adressant à des journalistes devant l'hôpital.
"Quand nous les avons vus, le coeur battait à 200 battements par minute, peut-être davantage. Il y avait beaucoup de pleurs, des embrassades, mais peu de mots (...) Nous sommes heureux aujourd'hui mais nous n'avons pas gagné. Ce n'est qu'une étape de plus vers le retour à la maison" des otages encore détenus à Gaza, a-t-il souligné.
La pression internationale s'intensifie pour une trêve entre Israël et le Hamas
La pression internationale continuait de s'intensifier le 13 février pour un accord de trêve entre Israël et le mouvement islamiste Hamas incluant une nouvelle libération d'otages, après l'annonce israélienne d'une offensive prochaine sur Rafah, dernier refuge pour plus d'un million de Palestiniens de la bande de Gaza (archive ici).
Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a récemment ordonné à son armée de préparer une offensive sur Rafah, où sont massés 1,4 million de Palestiniens, selon l'ONU, soit plus de la moitié de la population totale du territoire.
Il a répété lundi sa détermination à poursuivre "la pression militaire jusqu'à la victoire complète" sur le Hamas, dont Rafah est le "dernier bastion", pour libérer "tous nos otages".
Selon Israël, 130 otages se trouvent encore à Gaza, dont 29 seraient morts, sur environ 250 personnes enlevées le 7 octobre. Une trêve d'une semaine en novembre avait permis la libération de 105 otages en échange de 240 Palestiniens détenus par Israël.
Face aux craintes internationales d'une offensive militaire majeure, Benjamin Netanyahu a affirmé qu'Israël ouvrirait à la population "un passage sécurisé" pour quitter Rafah, sans préciser vers quelle destination.
L'ONU ne s'associera pas à "un déplacement forcé de population" à Rafah, a pour sa part prévenu Stephane Dujarric, le porte-parole du secrétaire général de l'ONU.
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