Cette vidéo ne montre pas l'armée israélienne détruire un camp à Gaza, elle a été filmée en Egypte en 2013
- Publié le 19 décembre 2023 à 16:37
- Lecture : 5 min
- Par : Chloé RABS, AFP France
Copyright AFP 2017-2024. Toute réutilisation commerciale du contenu est sujet à un abonnement. Cliquez ici pour en savoir plus.
Le 7 octobre, environ 1.140 personnes ont été tuées sur le territoire israélien par les hommes du Hamas, en majorité des civils fauchés par balles, brûlés vifs ou morts de mutilations, selon un décompte de l'AFP à partir des derniers chiffres officiels israéliens.
Au cours de cette attaque, d’une ampleur et d’une violence jamais vues depuis la création d'Israël en 1948, quelque 250 personnes ont été prises en otage, dont 129 sont toujours retenues à Gaza, selon les autorités israéliennes.
En représailles, Israël a promis de détruire le Hamas, au pouvoir à Gaza depuis 2007, et a lancé des opérations au sol le 27 octobre, venues s'ajouter aux bombardements sur le territoire palestinien.
Dans la bande de Gaza, près de 20.000 personnes, en majorité des femmes, des enfants et des adolescents, ont été tuées par les bombardements israéliens, selon le ministère de la Santé du Hamas.
Le 16 décembre, l'armée israélienne a annoncé avoir découvert des armes et arrêté environ 80 membres du Hamas dans le secteur de l'hôpital Kamal Adwan, dans la ville de Gaza, une opération lors de laquelle elle a perpétré un "massacre" selon le Hamas (lien archivé ici).
Le porte-parole du ministère de la Santé du Hamas avait affirmé quelques jours plus tôt que l'armée avait tiré sur des chambres de patients de cet hôpital, et dénoncé un "siège" de plusieurs jours, faisant état d'arrestations de membres du personnel.
Dans ce contexte, des publications sur X (ex-Twitter) et sur Facebook diffusent une vidéo affirmant qu’elle montre soit "un bulldozer de l’armée israélienne [pénétrer] dans un camp de déplacé de civils palestiniens à Gaza et [écraser] littéralement des civils palestiniens" ou "les forces d’occupation israéliennes [enterrer] vivants des dizaines de patients et de personnes déplacées après avoir détruit leurs tentes au bulldozer, dans la cour de l’hôpital Kamal Adwan".
On y voit un camion rouge rouler au milieu d’une place bondée et des personnes blessées être évacuées.
Cette vidéo est également massivement partagée en anglais ou en thaï.
Une vidéo filmée en 2013 en Egypte
Toutefois, grâce à une recherche d’image inversée, on retrouve la vidéo d’origine (attention images violentes - lien archivé ici) publiée sur la chaîne YouTube de la chaîne qatarie Al-Jazeera en arabe le 26 août 2013.
La vidéo est intitulée : "Un bulldozer emporte des dizaines de corps de victimes du massacre de Rabaa".
Plus précisément, cette vidéo montre, selon sa légende : "De nouvelles images du massacre de la dispersion du sit-in de Rabaa al-Adawiya, le 14 août, [montrant] un bulldozer emportant des dizaines de corps de victimes du massacre, indifférents aux avertissements des manifestants."
Ce massacre de la place Rabaa Al-Adawiya, situé au Caire, en Egypte, a eu lieu le 14 août 2013 (lien archivé ici).
Quelques semaines plus tôt, Mohamed Morsi, premier président égyptien élu démocratiquement, avait été destitué et arrêté par l'armée le 3 juillet, après des manifestations monstre réclamant son départ.
Les protestataires lui reprochaient d'avoir accaparé les pouvoirs au profit des seuls Frères musulmans et achevé de ruiner une économie déjà exsangue.
En soutien au président déchu, des milliers de partisans campent pendant plusieurs semaines avec femmes et enfants sur la place Nahda et sur la place de Rabaa Al-Adawiya, pour réclamer le retour de Mohamed Morsi.
Après 45 jours de "sit-in", le 14 août 2013, les forces de l'ordre égyptiennes lancent leur assaut sur les deux places, à l'aide de bulldozers, pour disperser les manifestants.
Le bilan officiel fait état de 578 morts et plus de 3.500 blessés dans le pays. Les Frères musulmans évoquent 2.200 morts et plus de 10.000 blessés.
Cet assaut provoque des violences à travers toute l'Egypte, les Frères musulmans, dont est issu Mohamed Morsi, ayant appelé à manifester pour "mettre fin au massacre".
Plus de 750 personnes, des pro-Morsi pour l'essentiel, vont ainsi périr en cinq jours dans des heurts avec les forces de l'ordre qui dispersaient systématiquement leurs manifestations (lien archivé ici).
Ainsi, la vidéo partagée dans les publications que nous examinons n’a rien à voir avec l’opération terrestre de l’armée israélienne dans la bande de Gaza.
Une vidéo de ce même massacre avait déjà été faussement décrite comme montrant l'intervention de soldats israéliens dans l'hôpital al-Chifa à Gaza, mi-novembre, et avait fait l'objet d'un article de vérification, à lire ici.
Israël fait face à l'indignation croissante de la communauté internationale suscitée par le lourd bilan des victimes civiles et la destruction d'hôpitaux de Gaza, tout en accentuant sa guerre contre le Hamas dans le territoire "assiégé" (lien archivé ici).
Moins d'un tiers des hôpitaux de Gaza fonctionnent partiellement, selon l'ONU, tandis que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a dénoncé le 17 décembre l'impact des opérations israéliennes sur deux hôpitaux du nord du territoire.
Le chef de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a déclaré que l'agence était "consternée par la destruction effective" de l'hôpital Kamal Adwan, où les forces israéliennes ont mené une opération de plusieurs jours contre le Hamas (lien archivé ici).
Le Hamas a lui dénoncé un "massacre horrible" dans l'hôpital, l'armée ayant "détruit avec des bulldozers les tentes des déplacés" qui s'y étaient réfugiés, provoquant "un certain nombre de décès".
L'OMS a également déclaré que les bombardements israéliens avaient réduit le service des urgences de l'hôpital al-Chifa à "un bain de sang".
Les hôpitaux, protégés par le droit international humanitaire, ont été touchés à plusieurs reprises dans la bande de Gaza par des frappes israéliennes depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas.
Israël estime que les hôpitaux de Gaza abritent des infrastructures stratégiques du Hamas, notamment dans des tunnels sous le complexe. Le Hamas dément ces allégations.
De nombreuses autres fausses informations en lien avec le conflit Hamas/Israël ont été vérifiées par l'AFP, à retrouver sur le site AFP Factuel.