Une étude japonaise montrant que les vaccins contre la grippe ne "servent à rien" ? Non

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 31 août 2023 à 12:28
  • Lecture : 6 min
  • Par : Emilie BERAUD, AFP France
Alors que l'ouverture de la campagne de vaccination contre la grippe saisonnière approche, des messages diffusés sur les réseaux sociaux affirment qu'une étude japonaise démontre que "les vaccins contre la grippe ne servent à rien", document à l'appui. C'est faux : ces travaux scientifiques confirment bien l'efficacité du vaccin contre la grippe, qui permet de limiter les formes graves et les hospitalisations, ont expliqué des spécialistes en vaccination et virologie à l'AFP. L'étude rappelle aussi ce qui est déjà connu de longue date, à savoir que l'efficacité vaccinale du vaccin contre la grippe est limitée dans le temps, en particulier chez les patients âgés de 65 ans et plus, dont le système immunitaire est moins performant au fil des ans.

Depuis le 25 août 2023, un post (lien archivé ici) relayé près de 1.500 fois en 24 heures sur X (ex-Twitter) prétend qu'"une étude japonaise menée sur 83000 personnes démontre que non seulement les vaccins contre la grippe ne servent à RIEN, mais qu'ils induisent des effets secondaires !", document à l'appui (lien archivé ici).

"Quand on aura compris l'arnaque globale des vaccins, on aura fait un grand pas !", ajoute l'auteur de ce message, également diffusé par d'autres comptes sur X (lien archivé ici) et sur Facebook (liens archivés ici et ici).

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Capture d'écran prise sur Twitter le 30 août 2023 / Croix rouge ajoutée par la rédaction de l'AFP

La même assertion circulait déjà au mois de mai dernier (lien archivé ici), après la date de parution de l'étude en question, publiée le 5 mai 2023 dans la revue scientifique Vaccine.

Toutefois, ces travaux ne démontrent pas que "les vaccins contre la grippe ne servent à rien". Menée par une équipe scientifique japonaise, cette étude vise à pointer la baisse de l'efficacité du vaccin contre la grippe, notamment à partir de quatre à cinq mois après injection chez les personnes âgées de plus de 65 ans. Les spécialistes interrogés par l'AFP expliquent que ce phénomène d'amoindrissement de l'efficacité vaccinale dans le temps est connu depuis de nombreuses années : l'une des raisons pour lesquelles la vaccination contre la grippe, qui permet de limiter les formes graves du virus et le nombre d'hospitalisations, est renouvelée chaque année en France.

L'étude mentionnée confirme bien l'efficacité du vaccin contre le virus de la grippe. Ses auteurs soulignent un effet protecteur de plusieurs mois même chez les patients de plus de 65 ans.

Les vaccins contre la grippe ne servent à rien ? Ce n'est pas ce que dit l'étude

L'étude réalisée par cinq scientifiques japonais a été publiée le 5 mai 2023 dans la revue Vaccine (lien archivé ici).

Publiées dans une revue scientifiquement reconnue (lien archivé ici), les conclusions de l'étude utilisée comme preuve de l'inefficacité du vaccin contre la grippe sur les réseaux sociaux, ont été détournées. En effet, "l'étude ne dit pas du tout que le vaccin contre la grippe ne sert à rien", commente le professeur de pharmacologie à l'université de Bordeaux Bernard Bégaud (lien archivé ici) auprès de l'AFP, le 28 août.

"Les auteurs eux même disent qu’il divise par deux le nombre de contaminations et réduit le nombre d’hospitalisations. Leurs travaux établissent que le hasard-ratio, rapport entre ce qu’on observe chez les vaccinés par rapport aux non-vaccinés, est de 0,47 : c’est-à-dire que sur l’échantillon observé il y a près de deux fois moins de grippe symptomatique chez les vaccinés que chez les non-vaccinés", note le spécialiste.

Contactée par l'AFP le 30 août, la virologue spécialiste de la grippe et membre du département de Virologie de l'Institut Pasteur Sylvie van Der Werf (lien archivé ici), abonde : "ce papier ne dit pas que le vaccin contre la grippe ne sert à rien. Le message principal que les auteurs cherchent à faire passer, c’est d’alerter sur le fait qu’avoir été vacciné n’exclut pas d’être infecté par un virus grippal, en particulier chez les patients âgés."

Bernard Bégaud comme Sylvie van Der Werf ont confirmé que Vaccine était une revue de référence dans le domaine.

Chez les patients de plus de 65 ans : une réponse immunitaire plus faible

Ses auteurs visent à expliquer, à partir des données d'une cohorte de 83.000 personnes, que "la protection du vaccin est limitée dans le temps et qu’elle est plus courte chez la personne âgée que chez la personne adulte", observe Bernard Bégaud.

"On se vaccine tous les ans car il est peu probable qu’on ait la même souche de grippe que l’année précédente. On se revaccine car le variant change mais aussi car la protection n’est pas durable dans le temps. Elle ne tient pas plus d’une année chez l’adulte jeune et est encore plus courte chez les personnes âgées", ajoute le spécialiste, soulignant que "l’étude elle-même n’est pas spectaculairement nouvelle : on sait depuis plusieurs années que les personnes âgées réagissent moins bien aux stimuli immunitaires, à la vaccination en particulier, qui couvre moins longtemps que les plus jeunes."

Ainsi, les travaux concluent à une baisse de l'efficacité vaccinale à partir de 4 à 5 mois après vaccination, chez les personnes âgées de plus de 65 ans.

"Ce qui est montré dans cette étude est en ligne avec ce qui est déjà connu dans la littérature scientifique : l’efficacité vaccinale diminue si les personnes sont âgées et diminue avec le temps", pointe également la virologue Sylvie van Der Werf.

Pourquoi l'efficacité vaccinale baisse-t-elle particulièrement chez les personnes âgées ? "Car notre système immunitaire, quand on avance en âge, est moins performant et répond moins bien aux différentes stimulations", explique la scientifique de l'Institut Pasteur. "On a plus de mal à se défendre. Ce phénomène est exacerbé en présence de comorbidités qu’on trouve plus chez les personnes âgées."

"Ces travaux concluent donc à une efficacité modérée de la prévention de la grippe symptomatique et de ses complications chez les sujets âgés", note Sylvie van Der Werf. "Ils préconisent que les médecins doivent suspecter une grippe chez un sujet âgé, même s’il est vacciné, surtout s’il a été vacciné il y a plus de quatre à cinq mois."

L'efficacité vaccinale directe du vaccin contre la grippe est "difficile à évaluer", indique par ailleurs la chercheuse. "Selon les années, les virus qui circulent, les adéquations entre les caractères antigéniques du virus qui circule dans la population et de ce qui rentre dans la composition vaccinale, on peut avoir des efficacités vaccinales qui varient", détaille-t-elle.

Néanmoins, la vaccination contre la grippe saisonnière "est recommandée chaque année pour les personnes âgées de 65 ans et plus, et les personnes à risque de grippe sévère ou compliquée, y compris les femmes enceintes (quel que soit le trimestre de la grossesse) et les personnes obèses", peut-on lire dans les recommandations (lien archivé ici) actualisées en juillet 2023 de la Haute Autorité de Santé.

Notamment parce que "les personnes âgées en fragilité peuvent se retrouver hospitalisées ou même mourir de la grippe", point le professeur Bernard Bégaud.

"On sait qu'une infection grippale peut conduire à des décompensations cardiaques", complète Sylvie van Der Werf. "Plusieurs études montrent que chez les personnes âgées plutôt en bonne santé, une infection grippale peut les faire basculer dans la dépendance."

Des effets secondaires connus, un vaccin bien toléré

Les message relayés sur les réseaux sociaux avancent également que le vaccin contre la grippe induit "des effets secondaires". Comme pour tout médicament commercialisé en France, les effets secondaires du vaccins contre la grippe sont répertoriés par la pharmacovigilance (lien archivé ici), qui a pour objet la surveillance des médicaments et la prévention du risque d'effet indésirable résultant de leur utilisation.

Pour ce qui est du vaccin contre la grippe, les données de pharmacovigilance rapportent qu'il est "globalement extrêmement bien toléré. Comme pour tout vaccin il peut y avoir des effets secondaires bénins : douleur au point d’injection, rougeur. Il peut y avoir chez une proportion de personnes une fièvre, des courbatures, une fatigue. De façon extrêmement rare il peut y avoir des effets secondaires plus graves tels que des réactions allergiques", signale Sylvie van Der Werf.

La prévention de la grippe repose donc sur la vaccination, "mais également sur le respect les mesures barrières, en population générale comme en milieu de soin : hygiène des mains, port d’un masque, isolement des personnes malades", rappelle la Haute Autorité de Santé (lien archivé ici).

L'AFP a vérifié à de très nombreuses reprises des allégations fallacieuses sur la vaccination, comme ici ou encore ici.

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