Attention à cette affirmation selon laquelle des villes se sont engagées à ce que leurs habitants ne mangent plus de viande et de produits laitiers

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 28 août 2023 à 17:36
  • Lecture : 7 min
  • Par : Marine DELRUE, AFP France
Un message très partagé sur les réseaux sociaux depuis le 23 août affirme que plus d'un millier de villes dans le monde auraient accepté d'imposer à leurs habitants une série de "règles obligatoires", comme l'interdiction de manger de la viande et des produits laitiers ou la limitation des achats de vêtements neufs à trois par an. Mais c'est faux : le message fait une confusion entre une campagne mondiale, appelée "Cities Race to Zero", soutenue par les Nations Unies pour encourager les villes à lutter contre le réchauffement climatique, et un rapport du "Cities Climate Leadership Group" (C40 Cities), qui analyse les émissions de carbone dans le secteur de la consommation et avancent des idées pour les réduire. Ni la campagne "Cities Race to Zero" ni le rapport du C40 ne prônent de mesures obligatoires que ces villes devraient imposer à leurs habitants, comme l'ont expliqué leurs représentants.

"Je vous recommande de vérifier si votre ville fait 'déjà' partie des villes psychopathes (et oui hélas ce n'est pas non plus une théorie du complot). Ces villes (1143 pour l'instant) se sont engagées à ce que leurs habitants respectent la liste de règles obligatoires suivantes : '0 kg de consommation de viande', 'Produits laitiers 0 kg'. '3 vêtements neufs par personne et par an'. '0 véhicules privés' possédés; '1 vol court-courrier (moins de 1500 km) tous les 3 ans par personne'", écrit Silvano Trotta, dont les allégations ont déjà été vérifiées à plusieurs reprises par l'AFP (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7).

Son message publié sur X (ex-Twitter) et sur Telegram le 23 août 2023 a été relayé depuis plus d’un millier de fois sur les réseaux sociaux.

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Capture d'écran effectuée le 24 août 2023 sur X (ex-Twitter)
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Capture d'écran effectuée le 24 août 2023 sur Telegram

 

 

Dans sa publication, Silvano Trotta renvoie vers la carte et la liste des 1.143 villes engagées dans la campagne "Cities Race to Zero", ("La Course des villes vers Zéro émission" de carbone) (archivé ici).

Parmi les villes françaises inscrites, on retrouve Paris, Lyon, Lille, Marseille, Grenoble ou encore Bordeaux (archivé ici : 1, 2, 3, 4). Au total, 50 villes et métropoles de l'Hexagone sont énumérées.

Londres, New York, Rio de Janeiro, Bogota, Johannesburg, Lagos, Sydney, Jakarta ou encore Hong-Kong figurent également dans la liste.

Qu'est-ce que la "Course à Zéro émission" ?

La "Cities Race to Zero" est une campagne internationale visant à encourager les villes à prendre des mesures pour renforcer leurs contributions à l'Accord de Paris sur le climat (lien archivé ici).

En décembre 2015, à l'occasion de la COP 21, la France a signé, aux côtés de 195 autres parties; l'Accord de Paris,traité international sur les changements climatiques. L'objectif : "limiter le réchauffement climatique à un niveau bien inférieur à 2 degrés, de préférence à 1,5 degré Celsius, par rapport au niveau préindustriel", peut-on lire sur le site de l'ONU.

L'initiative Race to Zero (lien archivé ici) rassemble des acteurs non-étatiques dont des entreprises, des villes et des régions et est principalement soutenue par les Nations unies (lien archivé ici).

Joint par l'AFP le 24 août 2023, l'équipe en charge de la campagne a fermement démenti les allégations que nous vérifions.

"Toutes ces affirmations sont fausses et ne sont pas mentionnées dans les règles d'adhésion auxquelles se soumettent volontairement les villes", a-t-on précisé.

Les villes doivent "reconnaître le réchauffement climatique" et entreprendre une "action climatique"

Les villes inscrites dans la "Cities Race to Zero" ont un certain nombre de critères d'engagement à respecter, selon le formulaire d'inscription (archivé ici).

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Capture d'écran du formulaire d'inscription des villes à la Cities Race to Zero, effectuée le 25 août 2023.

Il est spécifié que les villes doivent reconnaître "l'urgence climatique mondiale" et être déterminées "à maintenir le réchauffement de la planète en dessous de l'objectif de 1,5° Celsius fixé par l'accord de Paris". Elles s'engagent également à réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre mondiales d’ici 2030 et atteindre la neutralité carbone en 2050.

Aucune des interdictions alléguées par Silvano Trotta n'y est mentionnée.

La seule exigence est de s'engager dans au moins une "action climatique inclusive et équitable". Parmi les options, les villes peuvent opter pour :

"- Créer une société plus inclusive,
- Créer des rues vertes et saines,
- Réduire la pollution de l'air et garantir un air pur,
- Développer des bâtiments à zéro carbone,
- Evoluer vers des systèmes énergétiques résilients et durables,
- Avancer vers le zéro déchet,
- Créer des systèmes alimentaires durables,
- Cheminer vers des systèmes de construction résilients et durables"

"Les villes signataires sont censées rendre compte de leurs progrès via des plateformes de 'reporting' pour 2023", précise l'équipe de "Race to Zero". "Les partenaires de Cities Race to Zero examineront les informations transmises et prendront les mesures nécessaires pour apporter, si possible, un soutien technique aux villes lorsqu'elles en ont besoin ou, dans certains cas, pour envisager de suspendre les villes de la Course".

Les chiffres énoncés proviennent d'un rapport de C40 Cities

D'où viennent les affirmations de Silvano Trotta ?

Les exemples ("0 kg de consommation de viande; Produits laitiers 0 kg ; 3 vêtements neufs par personne et par an; 0 véhicules privés, 1 vol court-courrier (moins de 1500 km) tous les 3 ans par personne") proviennent d'un rapport de C40 Cities, une organisation qui réunit les maires de plusieurs villes pour lutter contre le dérèglement climatique (lien archivé ici), produit avec le bureau d'études britannique Arup et l'Université de Leeds, intitulé : "L'avenir de la consommation urbaine dans un monde à 1,5°C" (lien archivé ici).

Ce rapport publié en 2019 analyse les émissions de la consommation urbaine de biens et services dans les villes du réseau C40 (lien archivé ici).

Dans la partie 6 du rapport nommée : "Que peuvent faire les villes ? Mesures en matière de consommation par catégorie", les chercheurs proposent plusieurs possibilités pour permettre une diminution des émissions d'ici 2050, avec des scénarios ambitieux et progressifs.

Les auteurs expliquent notamment que ne plus consommer de viande et de produits laitiers pourrait diviser par deux les émissions de la catégorie "alimentation" entre 2017 et 2050. Ce scénario est l'option la plus ambitieuse envisagée dans le rapport concernant la nourriture.

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Capture d'écran du rapport "L'avenir de la consommation urbaine dans un monde à 1,5°C", faite le 25 août 2023

Toujours dans le cadre du scénario le plus ambitieux, le rapport indique que limiter l'achat de vêtement à 3 par personne, le nombre de vol court-courrier à un tous les trois ans et à ne plus avoir de voiture permettrait aussi de réduire sensiblement les émissions.

Contactée par l'AFP le 25 août 2023, C40 Cities a précisé que "le rapport est une analyse générique des émissions basées sur la consommation qui ne porte pas sur une ville spécifique du C40. Il ne s'agit pas d'un plan à adopter par les villes. C'est à chacun de faire ses propres choix de mode de vie, notamment en ce qui concerne le type de nourriture et le type de vêtements qu'il préfère".

"Le rapport ne préconise pas de restrictions de la consommation, y compris de la viande et des produits laitiers. le rapport ne préconise pas non plus la fin de la mode ou que tout le monde porte le même type de vêtements", ajoute l'équipe de C40 Cities.

En pratique, ces idées ne sont pas destinées à tous les individus ou à toutes les villes, souligne C40 Cities. L'organisation estime plutôt que pour réussir la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, les villes doivent trouver un équilibre entre leurs ambitions et ce qui est financièrement, technologiquement et culturellement réalisable.

Les émissions de gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique

La communauté scientifique s'accorde à dire, notamment autour d'analyses et de données scientifiques rassemblées dans les derniers rapports du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), que le réchauffement de la planète observé ces 150 dernières années est dû aux émissions de gaz à effet de serre émises par l'homme, et dont le Co2 fait partie.

Le site fédéral belge climat.be, qui reprend les conclusions du dernier rapport de synthèse du GIEC publié le 20 mars 2023, explique que "le niveau de réduction des émissions de gaz à effet de serre au cours de cette décennie déterminera en grande partie si le réchauffement peut être limité à 1,5 °C ou à 2 °C", comme le montre également le graphique ci-dessous.

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Cinq scénarios d'évolution de la température à la surface de la Terre à l'échelle des générations qui se succèdent, selon le Giec (AFP / Sabrina BLANCHARD, Nalini LEPETIT-CHELLA)

L'AFP a déjà vérifié des publications minimisant ou remettant en cause le lien entre émissions de Co2 et réchauffement climatique ici ou ici.

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