Non, les musulmans ne sont pas interdits de citoyenneté au Japon

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 28 avril 2023 à 15:37
  • Mis à jour le 28 avril 2023 à 15:45
  • Lecture : 5 min
  • Par : Alexis ORSINI, AFP France
Un texte partagé sur les réseaux sociaux depuis fin avril 2023 soutient que le Japon "impose des restrictions strictes à l'islam et aux musulmans". Ce visuel aux relents islamophobes détaille, à travers une quinzaine d'affirmations, la prétendue sévérité du pays à l'égard des pratiquants de cette religion, en affirmant notamment qu'ils n'y ont "pas droit à la citoyenneté" ni à la "résidence permanente", que "l'arabe et l'islam" ne sont pas enseignés dans les universités ou encore qu'on ne trouve pas de nourriture halal sur l'archipel. Toutes ces affirmations sont fausses : si les résidents étrangers sont globalement minoritaires dans le pays en raison d'une politique d'immigration stricte, la religion n'est pas prise en compte dans les démarches d'obtention de visa ou de naturalisation, et on trouve dans le pays aussi bien de la nourriture halal que des cours d'arabe et sur l'islam.

"Allez vivre au Japon ! Le pays où les gens sont intelligents! [...] Si toute l'Europe pouvait ouvrir les yeux... Le Japon, modèle économique dans le monde, impose des restrictions strictes à l'islam et aux musulmans" : un texte relayé plus d'un millier de fois sur Facebook (1, 2, 3, 4, 5) et des centaines de fois sur Twitter depuis fin avril 2023, prétend détailler le sort particulier qui serait réservé aux adeptes de cette religion dans l'archipel.

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Captures d'écran réalisées sur Facebook et Twitter le 28 avril 2023.

Intitulé "L'islam au Japon...", ce visuel aux relents islamophobe liste une quinzaine de pratiques qui y sont prétendument en vigueur. Il y est notamment soutenu que "le Japon est le seul au pays au monde qui ne donne pas la citoyenneté aux musulmans", que ces derniers n'y ont pas droit "à la résidence permanente", que "l'arabe et l'islam" n'y "sont pas enseignés" dans les universités, ou encore qu'on trouve "ni nourriture halal, ni éducation islamique, ni médias en arabe, ni littérature islamique" sur le sol japonais.

Ce texte multiplie aussi de prétendues généralités, en soutenant que "les Japonais considèrent que l'islam est une religion étrange, de pays sous-développés" ou encore que "si quelqu'un apprend que son voisin est musulman, tout le quartier est alerté".

Mais ce visuel , dont l'essentiel du contenu avait déjà été relayé sur le blog d'extrême droite Dreuz en mai 2013 - et dans une version anglaise sur Twitter en novembre 2015 -, multiplie les fausses affirmations.

Des critères de résidence permanente et de naturalisation sans lien avec la religion

Comme le détaille la page explicative (lien archivé) du site du ministère de la Justice japonais relative à l'acquisition de la nationalité japonaise, celle-ci peut être obtenue de trois manières différentes : soit à la naissance, soit par notification - réservée aux personnes de moins de 18 ans nées hors mariage et qui sont reconnues par l'un de leurs parents japonais - et enfin par naturalisation.

Pour obtenir une naturalisation, tout ressortissant étranger doit remplir certaines conditions : être domicilié légalement au Japon depuis au moins 5 années consécutives ; avoir 20 ans ou plus ; respecter la loi... Mais aucune n'est liée à sa religion, la loi japonaise sur la nationalité (lien archivé) n'y fait pas référence.

"Comme on peut le voir dans le cinquième article de cette loi, le fait d'être musulman ou de toute autre croyance religieuse n'est pas un désavantage pour les personnes souhaitant obtenir la nationalité japonaise", précisait le 27 avril 2023 à l'AFP un représentant du ministère japonais de la Justice.

Toute personne obtenant la nationalité japonaise accepte par ailleurs, ce faisant, de renoncer à sa précédente nationalité.

"Il est difficile d’obtenir la nationalité japonaise, mais ce n’est pas spécifique aux musulmans", abonde Bassam Tayara, docteur en langue, littérature et société japonaises, membre du Centre des études japonaises de l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) et auteur du livre L'islam et le Japon, un pragmatisme partagé (Librairie Avicenne), interrogé par l'AFP le 27 avril 2023.

Les résidents étrangers sont largement minoritaires au Japon : ils ont dépassé pour la première fois la barre des 3 millions fin 2022, selon les chiffres relayés par les services d'immigration du Japon à la presse (lien archivé), sur les 125 millions d'habitants du pays. En 2019, les immigrés représentaient seulement 2,7% de la population active.

La religion ne figure pas non plus parmi les critères obligatoires - détaillés sur le site (lien archivé) de l'Agence des services de l'immigration japonais - en vue d'obtenir le visa de résident permanent. Celui-ci nécessite notamment, pour les demandeurs non mariés à un(e) Japonais(e), d'avoir résidé au moins 10 au Japon, de faire preuve d'une "bonne conduite" et de ne pas avoir été condamné à une amende ou à une peine de prison, d'être en capacité de subvenir à ses besoins.

Comme le souligne Bassam Tayara, les assertions relayées dans le visuel viral sont d'autant moins vraisemblables que "le respect du cercle privé est très prononcé au Japon, les questions de religion ou de pratiques ne s’abordent absolument pas."

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Des musulmans à la mosquée de Tokyo, le 30 janvier 20215. ( AFP / YOSHIKAZU TSUNO)

Un guide touristique à destination des musulmans en visite au Japon

Selon les estimations du professeur émérite de sociologie Hirofumi Tanada, de l'université de Waseda, régulièrement citées dans la presse japonaise (archive) comme britannique (archive) on dénombrerait environ 230.000 musulmans dans l'archipel fin 2020, contre environ 110.000 en 2010.

Le Japon compte aussi sur son territoire des mosquées, des lieux de prière et autres dispositifs à destination des musulmans pratiquants. Ces espaces sont notamment recensés dans le guide (lien archivé) de l'Office national du tourisme japonais à destination des touristes musulmans souhaitant visiter le pays, dans lequel on trouve aussi une liste de restaurants sans porc et/ou sans alcool.

La Japan Halal Association (lien archivé) propose quant à elle cette certification nationale sur les produits alimentaires, et le pays compte différentes associations communautaires musulmanes, telles que l'Islamic Center Japan (lien archivé) et la Japan Muslim Association (lien archivé).

Enfin, contrairement à ce qu'affirme le texte viral, certaines universités japonaises enseignent bien la langue arabe ou proposent des études relatives à l'islam. On peut notamment citer les cours de langue des universités Keio Gaigo (lien archivé), Takushoku (lien archivé) et de l'université des études étrangères de Tokyo (lien archivé), ou encore l'université de Kyoto, dotée d'un Centre d'études sur l'islam (lien archivé).

"Les départements de langue arabe sont très connus au niveau académique. [...] L’islam est enseigné en tant que religion universelle dans les départements d’arabes et/ou dans les département de sociologie ou de civilisation. Et il y a au Japon des grands centres de recherches sur le Monde arabe et l’islam", conclut Bassam Tayara.

28 avril 2023 mise en forme d'un lien mal intégré à l'avant-dernier paragraphe

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