Non, cette vidéo ne prouve pas la présence de graphène dans le vaccin Gardasil

Depuis l'annonce par Emmanuel Macron d'une campagne de vaccination dans les collèges contre les papillomavirus humains (HPV), responsables de plus de 6.000 cancers par an, une vidéo circulant sur les réseaux sociaux prétend que le vaccin Gardasil contient de l'oxyde de graphène et que cette substance serait à l'origine de graves effets indésirables (thromboses, infarctus...). Cette allégation est fausse. Le Gardasil, ni aucun autre vaccin commercialisé en Europe, ne contient à l'heure actuelle d'oxyde de graphène. De plus, le microscope utilisé dans les vidéos de Liliana Zelada ne permettrait pas à lui seul d'identifier ce nanomatériau.

Dans cette vidéo, vue près de 200.000 fois sur les réseaux sociaux en français et présentée par les internautes comme datant de décembre 2022, une femme disant être le "Dr Liliana Zelada, odontologue en Bolivie" examine au microscope une goutte qu'elle présente comme extraite d'un flacon de Gardasil pour, dit-elle en espagnol, "voir si elle est contaminée ou non à l'oxyde de graphène".

En montrant des images de filaments et de taches sombres vues au microscope, elle conclut "qu'elle est très contaminée, absolument toute la goutte (l'est)". Des bandeaux jaunes affirment "causa trombosis!!!" ("entraîne des thromboses!!!"), "infarto" ("infarctus"), "embolia cerebral" ("embolie cérébrale"). La vidéo a été partagée sur Facebook, Vontakte, ou encore Telegram.

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Capture d'écran prise sur Twitter le 2 mars 2023
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Capture d'écran prise sur Twitter le 2 mars 2023

 

 

La vidéo mentionne également La Quinta Columna, un site déjà mentionné dans des articles de vérification de l'AFP en espagnol pour avoir véhiculé des informations erronées dans le domaine sanitaire, notamment ici.

Depuis août 2022, Liliana Zelada a par ailleurs publié d'autres vidéos sur le même modèle, affirmant démontrer la présence d'oxyde de graphène dans les vaccins contre le Covid-19, mais aussi contre la poliomyélite, la grippe, la fièvre jaune, le tétanos et la tuberculose. Dans un article de vérification publié en espagnol, l'AFP avait montré que ces affirmations étaient fausses. Aucun de ces vaccins ne contient d'oxyde de graphène.

En outre, le microscope utilisé dans les vidéos de Liliana Zelada ne permet pas de déterminer si les particules examinées sont de l'oxyde de graphène.

"Avec un microscope optique classique, il est impossible de savoir ou de définir la composition chimique de ce que l'on est en train d'observer", soulignait la docteur en chimie argentine Maria Celeste Dalfovo, spécialiste des nanomatériaux, interrogée par l'AFP en août 2022.

"Un microscope ne fait qu'agrandir la taille d'un objet. Mais si vous n'y associez pas la technique dite de Raman, vous ne pouvez pas déterminer que ce que vous regardez est du graphène", a-t-elle expliqué.

"La technique Raman ajoute un laser incident sur l'échantillon, et lorsque la lumière interagit avec lui, elle produit une diffusion (diffusion Raman) qui présente un spectre caractéristique pour le graphène. Cette technique est la seule à pouvoir dire s'il y a du graphène dans l'échantillon étudié, et combien de couches il possède", a-t-elle détaillé.

Un des fabricants de spectromètres Raman, Horiba Scientific, montre dans la vidéo ci-dessous un exemple d'observation du graphène avec de tels instruments:

La composition du Gardasil 9 est connue

La composition du Gardasil 9, commercialisé en France par le laboratoire MSD (Merck aux Etats-Unis), est publique et consultable notamment sur le site de référence sur les médicaments Vidal et sur celui de l'Agence européenne du médicament. Il ne contient pas de graphène ou un de ses dérivés.

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Capture d'écran du site de référence sur les médicaments Vidal sur la composition du Gardasil 9, prise le 3 mars 2023

Interrogé par l'AFP, le 3 mars 2023, le laboratoire MSD a confirmé que l'oxyde de graphène n'entrait pas dans la composition du Gardasil 9.

"Plusieurs applications médicales prometteuses utilisant différents types de graphène ou des produits à base de graphène, sont en cours de développement. Cependant, à notre connaissance, aucune autorisation ou approbation de ce type pour un usage humain n'a été accordée par l'Agence européenne du médicament ou par aucune des agences sanitaires nationales en Europe", affirme également Graphene Flagship, le programme européen de recherche sur le graphène sur une page de son site consacrée aux questions autour du graphène et des vaccins.

"L'Agence européenne du médicament et les différentes agences nationales effectuent des évaluations périodiques des processus de fabrication impliqués dans la production des vaccins. Trouver un ou plusieurs ingrédients non-déclarés ou non-divulgués ne serait pas aisé et constituerait une violation des obligations légales strictes auxquelles sont soumis les fabricants et les responsables de la commercialisation", poursuit le site.

Depuis plus de deux ans, de très nombreuses publications virales sur les réseaux sociaux ont affirmé que les vaccins anti Covid-19 contenaient du graphène, des allégations démystifiées par de nombreux scientifiques dans des articles de véfification de l'AFP ici, ici ou encore ici.

Qu'est-ce que le graphène

Composé de carbone pur, le graphène se présente sous forme de feuilles aussi fines qu'un atome, ce qui en fait le matériau le plus mince au monde, explique sur son site le programme européen consacré à ce matériau innovant Graphene Flagship. Il est pourtant 100 fois plus résistant que l'acier, est très flexible et le meilleur conducteur électrique connu. Il a été identifié en 1947, mais isolé pour la première fois en laboratoire en 2004 par le Russo-Britannique Konstantin Novoselov et le Russo-Néerlandais Andre Geim, récompensés par le prix Nobel de Physique pour leurs travaux.

Souvent qualifié de "matériau miracle", le graphène fait l'objet de recherches pour la fabrication de capteurs de très haute sensibilité, de dispositifs électroniques souples, notamment pour les voitures, avions, satellites. Il stocke très facilement l'énergie, ce qui en fait un matériau de choix pour les batteries de voitures. Il pourrait aussi avoir des débouchés dans la construction et la médecine, notamment comme vecteur pour les thérapies géniques, la médecine moléculaire et les vaccins.

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( AFP)

L'oxyde de graphène est "une forme oxydée du graphène, dont la composition n'est pas clairement définie et varie beaucoup en fonction de la manière dont il a été préparé", a expliqué à l'AFP le 5 mars 2023 Emmanuel Flahaut, directeur de recherche au CNRS au Centre interuniversitaire de recherche et d'ingénierie des matériaux (Cirimat) à Toulouse.

En raison de sa nouveauté et de ses potentialités, ce nanomatériau innovant fait régulièrement l'objet de théories du complot.

Le graphène et ses dérivés sont-ils dangereux ? Les scientifiques planchent sur le sujet. Le programme européen Flagship Graphene, qui réunit 142 partenaires institutionnels dans 23 pays, est notamment chargé d'évaluer leurs risques potentiels sur la santé et l'environnement.

"Nos travaux ont démontré, au moins pour les échantillons sur lesquels nous avons travaillé, de la génotoxicité", a indiqué M. Flahaut. La génotoxicité est la capacité à provoquer des cancers et/ou des déficiences transmissibles au travers des générations.

Un article paru dans le journal du CNRS en 2015, ainsi qu'un autre publié en 2022 dans l'Usine Nouvelle faisait le point sur l'état de la recherche et des connaissances sur la dangerosité possible du graphène.

Le HPV, responsable de 6.000 cancers par an

HPV est l'abréviation anglaise pour "human papillomavirus". Il s'agit d'une espèce de virus – plus de 200 types dont une centaine sexuellement transmissibles – à l'origine de diverses infections de la peau et des muqueuses. La grande majorité des personnes sexuellement actives sont infectées au cours de leur vie. Si la plupart du temps le papillomavirus est bénin, l'infection liée à certains HPV peut persister et aboutir à des lésions pré-cancéreuses puis à un cancer, selon Santé Publique France.

Plus de 6.000 cancers sont attribuables chaque année à une infection HPV en France, selon l'Institut national du cancer. Il s'agit majoritairement de cancers du col de l'utérus (2.900 cancers qui provoquent plus de 1.000 décès par an), mais aussi de l'anus, de la sphère ORL, de la vulve ou du vagin, ou encore du pénis.

Le vaccin prévient aussi l'apparition de condylomes (verrues génitales), selon la Haute autorité de santé (HAS), qui a recommandé en décembre 2019 la généralisation de la vaccination aux personnes des deux sexes, en vue de "freiner la transmission au sein de la population générale, et ainsi de mieux protéger les garçons et les hommes quelle que soit leur orientation sexuelle, mais aussi de mieux protéger les filles et les femmes non vaccinées".

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Le cancer du col de l'utérus ( AFP)

Emmanuel Macron a annoncé le 28 février 2023 l'ouverture d'une campagne de vaccination "généralisée" dans les collèges pour les élèves de 5ème afin de mieux lutter contre les papillomavirus.

A partir de septembre 2023, "la prescription et la vaccination contre le HPV pourront être réalisées par les pharmaciens, sages-femmes et infirmiers", a expliqué Emmanuel Macron. Cette vaccination ne sera pas obligatoire et sera soumise à l'accord parental.

La séquence a donné lieu à de nouveaux messages anti-vaccins sur les réseaux sociaux, où des publications très partagées alertent sur un vaccin qui serait non seulement "inefficace" contre les cancers, mais aussi "dangereux" du fait de supposés nombreux effets secondaires graves. Ces allégations sont fausses, comme l'explique un article de vérification de l'AFP ici.

Une couverture vaccinale insuffisante

Lorsqu'elle est effectuée avant le début de la vie sexuelle, la protection conférée par le vaccin contre les virus est proche de 100%, selon Santé Publique France.

En Australie, grâce à la vaccination, le taux de personnes infectées par les HPV est passé de 22,7% en 2005-2007 à 1,5% en 2015 chez les jeunes femmes de 18-24 ans. Et les prévisions envisagent une éradication du cancer du col de l'utérus d'ici 15 ans.

Recommandée en France chez les filles depuis 2007, la vaccination contre les infections à HPV l'est aussi chez les garçons depuis 2021. Mais, elle y est encore insuffisante.

En France métropolitaine, 45,8% des jeunes filles âgées de 15 ans avaient reçu une dose fin 2021, et 37,4% des jeunes filles de 16 ans un schéma complet à deux doses, selon les chiffres de Santé Publique France, qui font référence. Chez les garçons, 6% avaient reçu une dose à 15 ans.

Ces chiffres sont "loin de l'objectif de 60%" du plan cancer 2014-2019, relève SPF. La vaccination apparaît aussi parmi les plus faibles d'Europe, alors que des pays comme la Finlande, la Hongrie, la Norvège, l'Espagne, le Royaume-Uni ou la Suède comptent plus de 70% d'adolescentes vaccinées.

Pas d'effet indésirable sévère

Le vaccin Gardasil 9 ne présente pas d'effets indésirables sévères d'après les autorités sanitaires. Selon l'Agence européenne du médicament, ses principaux effets secondaires sont les suivants : "réactions au site d'injection (rougeur, douleur et gonflement) et maux de tête".

Les thromboses, infarctus et embolies cérébrales, mentionnés dans la vidéo, ne figurent pas parmi les effets indésirables connus du Gardasil 9, listés dans l'avis de la commission de la transparence de la Haute autorité de santé (HAS), en date du 19 février 2020.

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Capture d'écran, prise le 6 mars 2023, du passage de l'avis de la HAS sur les effets indésirables du Gardasil 9

En 2015, dans une étude menée conjointement avec la Caisse nationale d'Assurance maladie, l'ANSM mentionnait qu'"une augmentation du risque de syndrome de Guillain-Barré après vaccination contre les infections à HPV apparaît toutefois probable" sur 1 à 2 cas pour 100.000 filles vaccinées.

Ce syndrome rare peut "entraîner une faiblesse musculaire et la perte de sensation dans les jambes et/ou les bras", explique l'Organisation mondiale de la santé précisant que "la plupart des personnes atteintes du syndrome de Guillain Barré se rétablissent pleinement, même dans les cas les plus graves". Mais "ce risque n'a pas été retrouvé dans d'autres études menées à travers le monde, ce qui tend à remettre en cause cette observation", indiquait le professeur Jean-Luc Prétet, directeur du Centre national de référence sur les papillomavirus à l'AFP en février 2022.

Plusieurs controverses ont cependant entaché la réputation du vaccin Gardasil. En 2015, le site d'information Slate publiait une enquête à ce sujet, dénonçant les conditions dans lesquelles les essais cliniques ont été conduits par le laboratoire Merck. Mais elle affirme également que "rien ne prouve que le vaccin contre le papillomavirus est dangereux et qu'il faut éviter d'y recourir".

Aussi, en 2013, plusieurs françaises victimes d'effets néfastes présumés du vaccin Gardasil ont déposé plainte contre X pour "atteinte involontaire à l’intégrité physique et tromperie aggravée". Selon l'avocate de l'époque de neuf d'entre elles, ces jeunes femmes âgées de 18 à 24 ans avaient en commun "d'avoir contracté des maladies très invalidantes dans les semaines et les mois qui ont suivi la vaccination alors qu'elles n'avaient pas d'antécédents médicaux".

Mais cette plainte a été classée sans suite en octobre 2015 par le parquet de Paris, au motif qu'il n'y avait pas de lien direct établi entre ce vaccin et des pathologies du système nerveux.

Concernant les maladies neurologiques et auto-immunes citées comme consécutives au vaccin par ses détracteurs, Francesco Salvo, responsable du centre de pharmacovigilance de Bordeaux interrogé le 5 janvier 2023 par l'AFP, relève que de nombreuses études "ont investigué le risque de maladies neurologiques après plusieurs vaccins sans trouver d’augmentation de risque".

"A titre d'exemple, il y a quelques années, nous avons recherché et mis ensemble toutes les études disponibles sur le risque de maladies neurologiques démyélinisantes et nous n'avons trouvé aucune augmentation du risque ni pour le vaccin contre le papillomavirus, ni pour le vaccin contre l'hépatite B", poursuit-il.

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