Covid-19 : des autorités sanitaires alertaient sur la gravité de l'épidémie avant la semaine précédant les élections municipales
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- Publié le 28 mai 2020 à 16:08
- Mis à jour le 28 mai 2020 à 16:08
- Lecture : 5 min
- Par : François D'ASTIER
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Agnès Buzyn a démissionné de son poste de ministre de la Santé le 16 février 2020 pour faire campagne à Paris à la place de Benjamin Griveaux, qui s'est retiré après la diffusion de vidéos sexuelles.
A ce stade, 12 personnes contaminées avaient été recensées et un décès comptabilisé en France, selon les autorités sanitaires. Au 27 mai, le Covid-19 a tué 28.596 personnes dans le pays, selon la direction générale de la Santé.
Juste après le premier tour des élections municipales, Agnès Buzyn avait affirmé avoir prévenu le Premier ministre, Édouard Philippe, dès le 30 janvier de la gravité de l'épidémie de coronavirus, qualifiant de "mascarade" les élections municipales, expression qu'elle a ensuite dit regretter.
"Pourquoi n'être pas restée à votre poste alors qu'un tsunami menaçait la France. N'avions nous pas plus besoin d'une ministre de la Santé que d'une candidate à Paris ?", a demandé la journaliste Léa Salamé à Agnès Buzyn lors d'une interview sur France Inter jeudi 28 mai.
.@AgnesBuzyn : "Jusqu'à une semaine des élections, tous les experts sur les plateaux disaient que ça allait être une grippette, je ne savais pas quand ça allait arriver, je ne savais pas l'ampleur ni la gravité" #le79inter pic.twitter.com/WNWjWI4MEW
— France Inter (@franceinter) May 28, 2020
"C'était mon pressentiment -qu'un danger menaçait la France, NDLR- (...) Mais je ne savais pas si c'était la réalité. Je rappelle que jusqu'à une semaine des élections tous les experts qu'on entend sur les plateaux disaient encore que ça allait être une grippette. Je rappelle que l'OMS a annoncé la pandémie mondiale le 11 mars, quatre jours avant les élections, donc mon pressentiment n'était clairement pas partagé", répond notamment l'ancienne ministre de la Santé.
A quoi la candidate fait-elle référence ?
L'Organisation mondiale de la Santé (OMS) a bien annoncé le 11 mars que l'épidémie de Covid-19 était devenue une "pandémie". Elle a depuis été pointée du doigt, notamment par les Etats-Unis, pour avoir lancé l'alerte trop tard, ce qu'elle nie.
Nous n'avons pas retrouvé de médecins spécialisés ou d'épidémiologistes qualifiant précisément le Covid-19 de "grippette" sur un plateau de télévision "jusqu'à une semaine avant les élections municipales", comme l'a affirmé l'ancienne ministre.
Toutefois, plusieurs experts ont livré des analyses comparant les deux virus. "Ce n'est pas une grippette, ce n'est pas un rhume, c'est une forme de grippe, un peu plus cogné que la grippe, mais cela reste une maladie virale comme on en a tous les ans", a expliqué le médecin Michel Cymes dans l'émission Quotidien, le 10 mars, quelques jours avant le premier tour des élections municipales.
"C'est un virus bénin, on nous le présente comme un tueur, on ne fait que présenter des chiffres de mortalité", a dit le Pr François Bricaire, ancien chef de service à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, sur BFMTV, le 9 mars.
#Coronavirus
— RMC (@RMCinfo) March 9, 2020
"Ce n'est pas très grave (...) C'est un virus bénin, on nous le présente comme un tueur, on ne fait que présenter des chiffres de mortalité"
? Pr François Bricaire, ancien chef de service à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière#BourdinDirect pic.twitter.com/AYdagFARoB
"Les chiffres de la grippe saisonnière : 10 000 morts par an, soit 1 000 morts par semaine en plein pic d'épidemie. On n’est pas du tout dans cette mesure-là avec le coronavirus", a estimé le médecin urgentiste Gérald Kierzek, dans l'émission C dans l'air, le 29 février.
Au-dela de ces interventions à la télévision, de nombreuses publications virales sur les réseaux sociaux ont comparé grippe saisonnière et Covid-19 avant le 15 mars, mais aussi plus récemment.
Que savait-on de la gravité du Covid-19 une semaine avant le 1er tour ?
Avant la semaine qui précédait le premier tour des élections municipales, il était déjà possible de trouver des signaux d'alertes de la part d'autorités reconnues ou de médecins, faisant état d'une maladie plus grave que la grippe saisonnière.
Selon une vaste analyse publiée le 24 février par des chercheurs chinois dans la revue médicale américaine Jama, le taux moyen de mortalité du Covid-19 était de 2,3% (sur près de 45.000 cas confirmés), bien plus que celui de la grippe saisonnière.
"Ce n'est pas une grippette, il peut donner des formes graves sur des personnes pas si âgées que ça", expliquait Jérôme Salomon, le directeur général de la Santé, lors d'une conférence de presse mardi 10 février.
Le 6 mars, alors que la situation s'aggravait en Alsace avec un nombre de cas multiplié par 8 en 48 heures, le Dr Marc Noizet, chef de service du Samu 68, avait prévenu : "Nous ne sommes plus en capacité" de tester l'ensemble des patients, faisant craindre une saturation du système hospitalier.
Lors d'une conférence de presse le 3 mars, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) avait expliqué que le "Covid-19 entraîne des manifestations plus graves que la grippe saisonnière".
"À l’échelle mondiale, environ 3,4% des personnes atteintes de Covid-19 dont le cas a été notifié sont décédées. À titre de comparaison, la grippe saisonnière tue généralement moins de 1% des personnes infectées", avait expliqué l'organisation.
De plus, l'OMS avait qualifié le nouveau coronavirus de "très grave menace" pour le monde, le 11 février 2020. "Ce qui importe le plus, c'est d'arrêter l'épidémie et de sauver des vies", avait ainsi déclaré le chef de l'OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus.
Une semaine clef
Dans la semaine du 9 au 15 mars, davantage de médecins vont alerter sur la gravité de la situation et tenter de démonter les comparaisons entre les deux virus.
"Le coronavirus semble plus grave que ce que l’on pensait au départ", a expliqué le 10 mars à Libération Gilles Pialoux, chef de service de l’unité des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Tenon (Paris XXe). "On s'est trompés, il faut arrêter de les comparer", a-t-il également souligné dans un article du Parisien deux jours plus tard.
"Le coronavirus, pour ce que l'on sait aujourd'hui, est deux à trois fois plus contagieux que la grippe", a estimé Joël Pannetier, médecin urgentiste à l'hôpital du Mans, le 12 mars sur France Bleu.
Le même jour, l'AFP a diffusé une dépêche intitulée "Coronavirus et grippe, ce n'est pas la même chose", s'appuyant sur plusieurs études pour déconstruire cette comparaison erronée.
Les autorités françaises ont déclaré que le pays avait atteint la phase 3 de l'épidémie -lorsque le virus circule activement sur l'ensemble du territoire- le 14 mars, la veille du premier tour des élections municipales.
Le 17 mars, la France était mise sous cloche avec le début du confinement de la population.