
Non, la surmortalité en 2020 ne s'explique pas "intégralement" par le vieillissement de la population
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- Publié le 09 avril 2021 à 17:09
- Mis à jour le 12 avril 2021 à 14:52
- Lecture : 5 min
- Par : Anouk RIONDET, Marine LAOUCHEZ, AFP France
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"On arrête les conneries ou on continue ?!", s'indigne un utilisateur sur Facebook dans une publication affichant un graphique représentant la mortalité "hivernale" par classe d'âge de juillet 2009 à juin 2020, réalisé à partir des données de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) par Thomas Fernique, mathématicien chercheur au CNRS.

Dans son blog, cet internaute cite un article du mathématicien publié le 4 février. Cette interprétation, virale sur les réseaux sociaux (1, 2, 3), affirme notamment que la surmortalité en 2020 "est bel et bien expliquée intégralement par le vieillissement de la population !"

La thèse de Thomas Fernique
Dans son article intitulé It's the demography, stupid!, Thomas Fernique soutient la thèse que "La mortalité en 2020 en France est forte, mais pas exceptionnelle. Elle est une conséquence naturelle du vieillissement de la population."
Toutefois, contacté par l'AFP le 7 avril, il concède que "la présentation qui est faite de mon article et de mon graphique sur Facebook selon laquelle il n'y a aucune surmortalité liée au Covid-19 est un peu exagérée : on voit que 2020 est au-dessus de 2019 que ça soit en décès réels ou en décès virtuels, il y a eu plus de morts, ça c'est clair."
Ces notions de "décès réels" et "décès virtuels" sont au cœur de son article. Afin de montrer que le vieillissement de la population entraîne un nombre de morts plus élevé, le chercheur calcule ces "décès virtuels" pour chaque année entre 2009 et 2019, en reprenant le taux de mortalité par catégorie d'âge de ces années mais en le ramenant à la pyramide des âges de la population de 2020.

Il estime que "si on ne parle que des décès réels, on gomme totalement ce vieillissement."
Le graphique publié sur Facebook n'a pas vocation à être "une preuve qu'il n'y a pas de surmortalité mais seulement à montrer que la mortalité en 2020 n'est pas catastrophique, dans le sens où on a déjà vu pire dans les quelques années précédentes", notamment l'hiver 2017/2018, a-t-il insisté.
Ainsi, à ce qu'a écrit l'internaute sur son blog selon lequel la surmortalité est "expliquée intégralement par le vieillissement de la population", M. Fernique répond que "non, il y a bien une surmortalité en 2020" dont "une part est très vraisemblablement due au Covid-19" malgré le vieillissement de la population.
"L'essentiel de la hausse des décès en 2020" bien causée par l'épidémie
De son côté, l'Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) estime qu'il est faux d'affirmer que la surmortalité est "intégralement" expliquée par le vieillissement de la population.

Une étude de l'Institut national d'études démographiques (Ined) parue le 17 mars 2021, observait qu'une partie des "personnes fragiles" souffrant de certaines maladies de type cardiovasculaires et d'insuffisance respiratoire chronique par exemple "sont en effet mortes de Covid-19 alors qu'elles seraient de toute façon décédées en 2020, même en l'absence d'épidémie de Covid-19, leur décès étant alors attribué à une autre cause."
Mais "la hausse observée en 2020 est sans commune mesure avec celle des années passées", a soutenu l'Insee auprès de l'AFP, contacté le 7 avril.
Certes, d'une manière générale, en raison "de l'arrivée des générations nombreuses du baby-boom à des âges où la mortalité est plus élevée, le nombre de décès augmente chaque année depuis 2010."
La hausse des décès entre 2019 et 2020 a été réévaluée à +9,1% en prenant en compte les dernières données sur les décès survenus fin 2020.
Ces données, Thomas Fernique ne les prend pas en compte dans son graphique, puisque celui-ci considère des périodes annuelles centrées sur l'hiver, et n'intègre donc pas encore l'année centrée sur l'hiver 2020/2021, qui n'est pas encore terminée. Ainsi, son analyse graphique s'arrête au 30 juin 2020, après la première vague de l'épidémie en France, date à laquelle le total de décès dans les hôpitaux et les établissements pour personnes âgées s'élevait à 29 843.
En 2020, "668 800 décès sont survenus toutes causes confondues, soit 55 500 de plus qu'en 2019."
"À espérance de vie constante depuis 2019, l'augmentation de la population et son vieillissement en 2020 auraient entraîné un accroissement des décès d'environ 14 000. Si les gains d'espérance de vie s'étaient prolongés au même rythme que ceux observés lors de la dernière décennie, l'augmentation aurait été moindre, de l'ordre de 6 000. Une partie de l'écart entre 2019 et 2020 (de l'ordre de 1 800) s'explique par ailleurs par le fait que l'année 2020 est bissextile."
Ainsi "l'essentiel de la hausse des décès en 2020 est donc porté par l'augmentation des taux de mortalité aux âges élevés du fait de l'épidémie de Covid-19. Cette dernière entraîne une diminution marquée de l'espérance de vie à la naissance, d'un peu plus de 6 mois par rapport à 2019", constatait l'Institut dans son bilan démographique actualisé fin mars.
Selon les derniers chiffres officiels, l'épidémie de coronavirus a fait plus de 93 000 morts en France. Le coronavirus a fait 2 890 054 morts dans le monde au 8 avril 2021.

Édit du 12/04/2021 : ajout précisions aux propos de Thomas Fernique.