Non, il n'y a pas de preuve pour affirmer que les vaccinés contre le Covid-19 sont plus contagieux que les non-vaccinés
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- Publié le 29 mars 2021 à 13:20
- Mis à jour le 30 mars 2021 à 16:03
- Lecture : 6 min
- Par : AFP France, Marine LAOUCHEZ
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"Une petite bombe", vantent les deux articles quasi identiques publiés sur les sites Wikistrike et Réseau international: "Les vaccinés seraient plus contagieux que les non-vaccinés!".
L'affirmation est simplement étayée par l'extrait d'une interview d'Alexandra Henrion-Caude, généticienne et ancienne directrice de recherche à l'Inserm, à TV Libertés, réalisée le 16 janvier. AFP Factuel avait déjà relevé plusieurs contre-vérités dans cet entretien d'environ une heure dans un article publié le 26 janvier 2021, notamment sur le point de vue de l'académie de médecine et sur la chronologie de l’apparition des variants (également évoqués dans cet extrait).
Il s'agit d'un passage où Alexandra Henrion-Caude évoque une étude sur la grippe.
"C'est une étude, ça mérite d'être conforté dans la suite, mais quand même c'est une étude vraiment intéressante", déclare Alexandra Henrion-Caude. "Grande découverte, et je vous fais ce dernier cadeau (...) Lorsque vous respirez et que vous avez été vacciné contre la grippe vous rejetez six fois plus de particules virales dans votre respiration", rapporte-t-elle. Un peu plus loin, elle affirme qu'entre la grippe et le Covid-19, "les mécanismes viraux sont quand même comparables".
"C'est totalement n'importe quoi", a réagi Alain Fischer, président du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale en France, interrogé le 26 mars par l'AFP. "C'est exactement l'inverse de ce que propose la vaccination", c'est-à-dire se protéger et protéger les autres, insiste-t-il.
"Les études nombreuses en ce qui concerne le Covid depuis l'été dernier, et les résultats de la vaccination en vie réelle, notamment en Israël ou en Grande-Bretagne, nous montrent juste exactement le contraire", note l’immunologiste.
Même constat pour le Dr Marie-Ghislaine De Goer, ingénieure au sein de l'unité Immunologie intégrative des tumeurs et immunothérapie du cancer de l’Inserm. A la question de savoir si les vaccinés sont plus contagieux, elle répond "actuellement, la réponse est: non, il semblerait que ce soit l'inverse".
Une étude israélienne pré-publiée en février 2021 "montre que les personnes vaccinées infectées par le SARS-CoV-2 après leur vaccination ont des charges virales 4 fois moins fortes que les personnes non vaccinées infectées par le SARS-CoV-2. Ces données suggèrent que les personnes vaccinées contre la Covid-19 sont moins infectieuses, quand elles sont infectées après la vaccination", explique l'ingénieure dans un e-mail à l'AFP le 25 mars, tout en précisant que les données restaient à confirmer par d’autres équipes.
L'étude rapporte une efficacité de 92% contre la possibilité même d'être infecté (et non seulement de développer des symptômes), selon une dépêche AFP du 24 février. Mais de l'aveu même des auteurs, ce résultat doit être pris avec prudence.
Le vaccin "protège d'une infection, c'est clair, encore plus d'une infection grave que d'une infection bénigne", assure Alain Fischer. Il n'est toutefois "pas complètement clair de savoir si le vaccin protège contre la transmission", précise-t-il.
"Ce dernier point reste un sujet de discussion, bien qu'il commence à y avoir des données, notamment avec la vaccination de masse en Israël, qui suggèrent qu'il y a un effet" car le virus est "très rarement détecté" chez les personnes vaccinées.
"Cela suggère que le portage du virus diminue, (mais) on n'a pas encore certitude là-dessus. C'est une vraie question, mais indépendante" de l'affirmation mentionnée plus haut, poursuit l’immunologiste.
De son côté, Eric Espinosa, chercheur au Centre de recherches en cancérologie de Toulouse (Inserm/Université de Toulouse), estime que "pour des personnes contaminées et vaccinées, rien n'indique ceci dans l'état actuel des connaissances".
"Et même si on se base sur les connaissances relatives à la vaccination et à l'immunité, une personne vaccinée qui est contaminée va faire une pathologie moindre, voire asymptomatique, ce qui devrait se traduire par une charge virale plus faible et donc des émissions moindres. Ceci est une hypothèse et reste à confirmer expérimentalement", explique plus généralement le chercheur.
Dans l'extrait vidéo choisi par les deux sites, Alexandra Henrion-Caude ne précise pas le nom de l'étude dont elle parle.
Une des scientifiques interrogés par l’AFP, le Dr Marie-Ghislaine De Goer, estime qu'il s'agit de cette étude parue en janvier 2018, rédigée par des chercheurs de l’Université du Maryland (Etats-Unis). Avec une recherche sur internet, la seule étude trouvée par l'AFP évoquant des rejets "six fois plus" importants chez des vaccinés de la grippe correspond également à cette étude.
Dans leur article, les chercheurs décrivent avoir observé "une excrétion aérosol 6,3 fois plus importante chez les cas vaccinés pendant la saison en cours et la saison précédente que chez les cas non vaccinés pendant ces deux saisons".
L'échantillon étudié n'est pas significatif, selon le Dr De Goer (10 personnes) et il n'y a pas de données de charge virale chez les personnes vaccinées par rapport aux personnes non-vaccinées.
"Les données contenues dans l'article portant sur l'infectiosité des personnes ayant déclaré une grippe aiguë (dont certaines sont vaccinées) sont trop imprécises et portent sur un effectif trop petit et hétérogène pour en extrapoler des conclusions au cas de la Covid-19 : les auteurs n'ajustent pas leurs données sur plusieurs facteurs de risque, dont le fait d'être en surpoids ou de faire de l'asthme", souligne-t-elle.
Son collègue Eric Espinosa, après avoir consulté cette étude, note en outre que "le but de cette étude n'est pas de regarder l'impact de la vaccination, et n'a pas été publiée pour ceci, mais pour avoir mesuré la présence du virus dans les différentes émissions: fluides nasaux, grosses gouttelettes, aérosols" (soit différentes actions: se moucher, éternuer, respirer).
De plus, selon le chercheur, on ne peut pas extrapoler à partir d'une étude sur la grippe "car la grippe est différente, ne serait-ce que par des différences physico-chimiques du virus, sa nature, son génome…"
En France au 28 mars 2021, 10,47 millions de doses ont été administrées à 7,79 millions de personnes, soit 11,5% de la population. Parmi elles, 2,67 millions de personnes ont déjà reçu la seconde dose (4,0% de la population), complétant ainsi leur processus de vaccination.
Il est toutefois conseillé à ce stade de maintenir les gestes barrière.
"On ne peut aujourd'hui encore abandonner les gestes barrière parce qu'il y a une circulation du virus qui est beaucoup trop forte, avec un virus qui est plus contagieux qu'il ne l'était avant; compte tenu des doutes sur la transmission, que le vaccin ne fonctionne pas à 100%, il est raisonnable en terme de population générale de continuer à porter le masque", rappelle Alain Fischer.
Edit le 29/03/2021 à 16h40: modifie le titre du Dr De Goer, ingénieure et non chercheuse, et supprime la qualification de "pré-publication" pour l'étude des chercheurs de l'Université du Maryland Edit le 30/03/2021 à 16h03: corrige au 8e paragraphe "les vaccinés", et non "les non-vaccinés" comme écrit par erreur.