Un laborantin travaillant sur un vaccin expérimental en avril 2020 à Pékin (AFP / Nicolas Asfouri)

Les infox sur les vaccins gonflées à bloc par le Covid

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 25 juin 2020 à 18:50
  • Lecture : 5 min
  • Par : Julie CHARPENTRAT
Le vaccin contre le Covid-19 n'existe pas mais les anti-vaccins sont déjà contre et multiplient les infox: "Il injectera des puces électroniques", "empoisonnera les gens"... Déjà très présente sur internet depuis des années, la galaxie "antivax" est "dynamisée" et rendue plus visible par la pandémie.

La vidéo "Plandemic" a été vue des millions de fois sur YouTube et d'autres plateformes depuis mai. Parmi la multitude d'infox qu'elle relaie sur le Covid: "les vaccins ont tué des millions de gens". Quant à cette liste de substances aux noms inquiétants (phénoxyéthanol, chlorure de potassium etc...) censées être contenues dans les vaccins en quantités toxiques (ce qui n'est pas le cas), elle a été partagée des milliers de fois sur Facebook fin avril. 

L'AFP a démonté ici et plusieurs affirmations contenues dans la vidéo "Plandemic", que plusieurs plateformes ont supprimée, mais dont des versions continuent de circuler. 

Sous ce genre de publications, régulièrement, des centaines voire des milliers de commentaires d'internautes qui disent déjà qu'ils ne comptent pas se faire vacciner.

La rhétorique anti-vaccins n'est pas neuve mais gagne en visibilité à la faveur d'une pandémie à l'ampleur inédite, expliquent des spécialistes interrogés par l'AFP.

Des chercheurs du monde entier se sont lancés dans une course contre la montre pour trouver un vaccin, avec l'espoir,  d'un vaccin dans plusieurs mois, au mieux. Cette dépêche de l'AFP fait le point, au 18 juin, des traitements et vaccins à l'étude contre le Covid-19. 

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 "Chambre d'écho" 

L'opposition vaccinale ne date ni d'internet ni du Covid mais Facebook, Twitter ou YouTube ont créé "une sorte de chambre d'écho" très efficace pour les infox anti-vaccins, explique Sylvain Delouvée, chercheur en psychologie sociale à l'Université de Rennes 2, qui rappelle le "consensus scientifique" clair en faveur de la vaccination.

Malgré la volonté affichée de ces plateformes de limiter la viralité des contenus anti-vaccins, ils y prolifèrent, et en tirent une importance démesurée, dit M. Delouvée.

Très motivée, fortement liée au complotisme en général, "protéiforme, sans identité clairement définie", la galaxie anti-vaccin sur internet se nourrit de plusieurs discours, dépassant souvent les clivages politiques, comme la critique de "Big Pharma", explique aussi M. Delouvée, qui relève les "mêmes résurgences" d'infox qu'avant la pandémie.

Certaines ressurgissent telles quelles - comme ce visuel prétendant à tort que les vaccins contiennent exactement la même chose que les injections létales des condamnés à mort- d'autres avec, en plus, une référence au Covid. 

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En réalité, il est difficile de savoir "si les opposants aux vaccins sont plus actifs à cause de la pandémie ou s'ils sont plus visibles à cause de l'attention très importante accordée à la pandémie", relève David Broniatowski, de l'Université américaine George Washington.

M. Broniatowski a co-signé une étude publiée en 2016 dans la revue médicale "Vaccine", qui observait une flambée des infox sur Twitter liées aux vaccins au moment de l'épidémie de Zika, et notant notamment "que les gens adhèrent rapidement à ces théories, plusieurs mois ou années avant même qu'un vaccin ne soit prêt".

"Les groupes +antivax+ (...) ont tendance à être très actifs en permanence, (le Covid) les a juste +redynamisés+", pense pour sa part Amelia Jamison, de l'Université du Maryland aux Etats-Unis.

La crise actuelle montre leur capacité à recycler "très rapidement" les infox pour les adapter à l'actualité, poursuit-elle. 

Ainsi, si les théories accusant Bill Gates de vouloir vacciner de force circulaient déjà avant la période actuelle, elles ont connu une nouvelle jeunesse, avec un succès particulier pour celle l'accusant de vouloir profiter du Covid pour injecter une puce électronique via un vaccin, comme expliqué par l'AFP dans cet article

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Capture d'écran faite le 25 juin 2020 d'une page Facebook anti-vaccins

L'AFP a démonté dans plusieurs articles et dans plusieurs langues, dans le monde entier, de fausses allégations contre le milliardaire américain.

"Un nouveau virus, ça veut dire un nouvel événement qui va entrer dans leur schéma narratif et (...) qu'ils vont faire coïncider avec leur vision du monde", explique Mme Jamison. Du coup, pour ces militants ultra-déterminés, la simple mention d'un vaccin "est devenue 'on va nous vacciner de force'".  

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Une écolière se fait vacciner contre la rougeole et la rubéole en Inde en 2018 (AFP / Biju BORO)

On en retrouve une variante -la France exigerait "une obligation de vaccin pour les ressortissants africains souhaitant voyager en Europe"- démontée ici par l'AFP. 

Amelia Jamison note à cet égard une spécificité liée à l'actualité du Covid : la jonction fréquente entre anti-vaccins, anti-masques et anti-confinements, au nom de la liberté individuelle contre les autorités, idéologie très présente aux Etats-Unis, donnant lieu en outre à des manifestations conjointes.

Ce phénomène est décrit notamment dans cet article du Los Angeles Times du 24 avril ou dans ici dans le New York Times début mai.

 "Lame de fond" 

Sylvain Delouvée parle, lui, d'une "lame de fond qui continue à progresser encore et encore", avec des anti-vaccins qui "occupent le terrain" sur internet.

Pourtant, ce sont "de petits groupes", note Amelia Jamison, pas forcément très nombreux mais très sonores, très rodés, maniant parfaitement "les outils à leur disposition" pour "apparaître plus gros et plus unifiés qu'ils ne le sont" et "cibler" efficacement ceux qui n'ont pas d'avis tranché sur le sujet.

Sur internet, on peut avoir l'impression que c'est "50/50" entre "pro" et "anti", or "dans la vraie vie, ce n'est pas le cas du tout", poursuit-elle.

Relevant "l'explosion récente des théories anti-vaccination" sur internet, les auteurs d'une étude parue dans Nature, estiment que "l'opposition à la vaccination contre le SARS-CoV-2 (...) pourrait amplifier des flambées épidémiques comme ce fut le cas avec la rougeole en 2019".

L'étude, publiée en mai 2020 mais réalisée avant la pandémie, porte sur le rapport de forces entre "pro et anti-vaccination" sur Facebook, notant elle aussi l'importance "centrale" des pages anti-vaccination dans les intéractions sur le sujet, même si ces entités  sont "numériquement" plus petites.

En 2019, l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) a classé l'"hésitation vaccinale" comme l'une des dix menaces sur la santé mondiale. 

Selon une enquête menée par la fondation caritative Wellcome Trust, en 2018, 7% des personnes interrogées dans 140 pays ne pensaient pas que les vaccins soient sûrs, tandis que 11% n'avaient pas d'avis.

Au 25 juin 2020, la pandémie de Covid-19 avait tué plus de 480.000 personnes dans le monde selon un décompte de l'AFP basé sur des chiffres officiels.

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