Une jeune américaine de 13 ans reçoit un vaccin contre le papillomavirus humain (HPV) en 2011 en Floride. ( GETTY IMAGES NORTH AMERICA / JOE RAEDLE)

Non, aucun cabinet d'avocat n'a obtenu "2 milliards de dollars de réparation" à la suite "du scandale Gardasil"

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 01 février 2022 à 16:54
  • Mis à jour le 02 février 2022 à 11:28
  • Lecture : 8 min
  • Par : AFP France
Des avocats américains auraient "obtenu 2 milliards de dollars de réparation" à la suite du "scandale du Gardasil", vaccin contre le cancer du col de l'utérus, affirme sur Twitter l'essayiste controversé Idriss Aberkane. Mais cette affirmation est fausse : contacté par l'AFP, le cabinet d'avocat en question indique avoir intenté des poursuites contre le laboratoire qui commercialise le vaccin, lesquelles n'ont encore jamais été examinées par un tribunal. Le Centre National de Référence Papillomavirus précise par ailleurs à l'AFP qu'il n'existe pas de preuves scientifiques d'effets indésirables sévères du vaccin.

"Qui se souvient du scandale du Gardasil, vaccin expérimental contre le papillomavirus qui fut arrêté pour ses nombreux effets secondaires graves? C'était en 2017. Les avocats qui ont obtenu 2 milliards de dollars de réparation étaient-ils des « antivax »? ", interroge le 26 janvier sur Twitter Idriss Aberkane, essayiste controversé dont les publications sur la vaccination anti-Covid ont déjà fait l'objet d'articles de vérification par différents médias, (ici, ici ou ici).

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Capture d'écran prise sur Twitter le 1er février 2022

Pas de réparation à 2 milliards de dollars

Le post d'Idriss Aberkane a été partagé plus de 3000 fois sur Twitter. Mais attention, son assertion est inexacte à plusieurs égards. Dans sa publication, où il évoque "2 milliards de dollars de réparation" obtenus par des "avocats" à la suite d'un "scandale" sur le Gardasil, l'essayiste laisse supposer que le vaccin contre le cancer du col de l'utérus aurait cessé d'être distribué aux États-Unis à la suite d'un procès. Pour preuve, il joint à son tweet un lien pointant vers une page du site internet du cabinet d'avocat américain Baum Hedlund.

Sur cette dernière, où figure en lettres capitales la mention "Principaux avocats spécialisés dans le Gardasil dans le pays", il est inscrit que le cabinet a contribué à l'annonce d'un "verdict de 2,055 milliards de dollars, le deuxième plus grand verdict en matière de dommages corporels en 2019, et le neuvième plus grand verdict en matière de dommages corporels dans l'histoire américaine."

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Capture d'écran prise le 1er février 2022

La mise en page du site internet pourrait le faire croire, mais il n'est nullement écrit que cette décision de justice est liée au vaccin Gardasil.

Contacté par l'AFP, le cabinet d'avocat précise au contraire que "les 2 milliards de dollars de réparation correspondent en fait à un verdict que nous avons contribué à obtenir sur un cas de cancer causé par le Roundup contre Monsanto/Bayer" en 2019.

Quant au laboratoire qui commercialise le vaccin Gardasil, les avocats assurent avoir "intenté une douzaine de poursuites contre Merck pour blessures" et ajoute qu'"aucune d'entre elles n'a encore été jugée dans le cadre d'un procès." Le cabinet mentionne enfin qu'une première audience au sujet du Gardasil se tiendra le 11 juillet prochain à Los Angeles.

Pas d’arrêt de commercialisation

Aux États-Unis le vaccin Gardasil, qui vise à protéger les jeunes femmes contre le cancer du col de l’utérus, a été mis sur le marché en juin 2006.

Aujourd'hui, il figure toujours sur la liste des vaccins recommandés par les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (Centers for Disease Control and Prevention, CDC). Principale agence fédérale des États-Unis en matière de protection de la santé publique, elle préconise la vaccination en trois doses des jeunes filles idéalement à l’âge de 11 et 12 ans, possiblement jusqu'à 26 ans.

D’après l’Agence fédérale américaine des médicaments (Food and Drug Administration, FDA), ce vaccin a été approuvé pour les femmes âgées de 9 à 26 ans pour les protéger des maladies causées par quatre papillomavirus humains (HPV). Deux souches de ces virus, transmissibles lors de relations sexuelles, sont particulièrement dangereuses : HPV16 et HPV18. A la suite d’une infection, elles peuvent déclencher des verrues génitales et lésions précancéreuses et cancéreuses du col de l'utérus, de la vulve, du vagin et de l'anus.

"Ce vaccin est un outil important de prévention du cancer du col de l'utérus", peut-on lire sur le site de l'Agence fédérale américaine des médicaments qui rappelle que chaque année, près de 4.000 femmes meurent du cancer du col de l'utérus aux États-Unis, alors que dans le monde cette maladie "est le deuxième cancer le plus fréquent chez les femmes, causant environ 470.000 nouveaux cas et 233.000 décès par an."

La France, de son côté, a en effet arrêté la commercialisation du Gardasil en 2020. Mais celui-ci a été remplacé par une version augmentée du vaccin d'origine : le Gardasil 9. Désormais sur le marché, il cible cinq souches de papillomavirus supplémentaires. Alors que Gardasil prévenait "70% des lésions cancéreuses et précancéreuses, l’efficacité globale du vaccin Gardasil 9 monte jusqu'à 90%", explique le Directeur du Centre National de Référence Papillomavirus de Besançon Jean-Luc Prétet.

Pas de preuves d’effets secondaires sévères

Le gouvernement français a également appliqué dès 2007 la même politique de recommandation du vaccin Gardasil, qui ne présente pas d’effets indésirables sévères d’après les autorités sanitaires. Selon l'Agence nationale des sécurité des médicaments (ANSM), qui a pour mission principale d’évaluer les risques sanitaires présentés par les médicaments et produits de santé, ses principaux effets secondaires sont des "rougeur, douleur et/ou démangeaisons au point d'injection, pic de fièvre, maux de tête."

Le professeur Jean-Luc Prétet confirme et explique que "de rares cas de syncopes" peuvent se produire mais qu'ils sont "plus liés à l'acte d'injection qu'au vaccin lui-même." Il ajoute qu'il n'existe "pas de preuves scientifiques d'effets indésirables sévères du vaccin".

En 2015, dans une étude menée conjointement avec la Caisse nationale d'Assurance maladie des travailleurs salariés, l'ANSM mentionnait qu'"une augmentation du risque de syndrome de Guillain-Barré après vaccination contre les infections à HPV apparaît toutefois probable" sur 1 à 2 cas pour 100.000 filles vaccinées.

Ce syndrome rare peut "entraîner une faiblesse musculaire et la perte de sensation dans les jambes et/ou les bras" explique l'Organisation Mondiale de la Santé précisant que "la plupart des personnes atteintes du syndrome de Guillain Barré se rétablissent pleinement, même dans les cas les plus graves". Néanmoins, il convient de noter que "ce risque n'a pas été retrouvé dans d'autres études menées à travers le monde, ce qui tend à remettre en cause cette observation", indique le professeur Jean-Luc Prétet.

Controverses et polémiques

Plusieurs controverses ont cependant entaché la réputation du vaccin Gardasil. En 2015, le site d’information Slate publiait une enquête à ce sujet, dénonçant les conditions dans lesquelles les essais cliniques ont été conduits par le laboratoire Merck. Mais elle affirme également que "rien ne prouve que le vaccin contre le papillomavirus est dangereux et qu'il faut éviter d'y recourir".

Aussi, en 2013, plusieurs françaises victimes d'effets néfastes présumés du vaccin Gardasil ont déposé plainte contre X pour "atteinte involontaire à l’intégrité physique et tromperie aggravée". Selon l'avocate de l'époque de neuf d’entre elles, ces jeunes femmes âgées de 18 à 24 ans avaient en commun "d'avoir contracté des maladies très invalidantes dans les semaines et les mois qui ont suivi la vaccination alors qu'elles n'avaient pas d'antécédents médicaux".

Mais cette plainte a été classée sans suite en octobre 2015 par le parquet de Paris, au motif qu'il n'y avait pas de lien direct établi entre ce vaccin et des pathologies du système nerveux.

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Le papillomavirus humain (HPV) ( OMS, CDC, NHS, Mayoclinic, IARC / )

Cancer du col de l'utérus : 3000 femmes touchées en France

Chaque année en France, environ 3.000 femmes sont atteintes du cancer du col de l'utérus. Pour tenter d'éliminer cette maladie, il existe actuellement deux outils : la vaccination et le dépistage. Ce dernier vise à détecter des lésions précancéreuses et à les traiter avant qu'elles n'évoluent en cancer. Il permet également de détecter et traiter des cancers à un stade précoce.

Pour être efficace, le dépistage doit être réalisé dans des intervalles de temps recommandés : tous les 3 ans entre 25 et 29 ans (après 2 tests réalisés à 1 an d'intervalle et dont les résultats sont normaux) et tous les 5 ans entre 30 et 65 ans. L'Union européenne préconise de dépister au moins 70% des femmes. Mais en France, les chiffres sont inférieurs aux recommandations. Seules 59% des femmes de 25-65 ans ont été dépistées sur la période 2018-2020.

Quant à la couverture vaccinale, elle progresse en France depuis plusieurs années chez les adolescentes, mais elle reste également insuffisante. En 2020, elle était estimée à 41% pour une dose à 15 ans (35% en 2019) et 33% pour le schéma complet à 16 ans (28% en 2019).

Il faut dire que le vaccin n'y est pas totalement remboursé et qu'il n'existe pas de programme organisé de vaccination HPV, contrairement à d'autres pays comme le Portugal, la Suède ou le Royaume-Uni.

Plusieurs pays, dont la France cette année, ont par ailleurs étendu la vaccination aux garçons, à la fois pour les protéger de certains cancers dus aux HPV et pour limiter la transmission aux filles.

Qui est Idriss Aberkane ?

Sur Twitter, Idriss Aberkane se présente comme un "hyperdoctor", diplômé de "trois doctorats dont un de l'école polytechnique à 29 ans". Médiatisé pour ses conférences sur le développement personnel, l'essayiste a notamment publié Libérez votre cerveau ! en 2016, classé cette année-là au 5e rang des meilleures ventes de livres selon l'Express.

Mais depuis le début de la pandémie, il multiplie les publications contre l'industrie pharmaceutique et la vaccination, devenant l'une des figures des mouvements antivaccins sur les réseaux sociaux. Principalement sur YouTube, où il est suivi par plus de 480 000 personnes et sur Twitter, où il compte 170 000 abonnés.

2 février 2022 Bien lire que l'efficacité globale du vaccin Gardasil est estimée à 90% et non pas 85% au 11e paragraphe (correction apportée après qu'un chercheur a rectifié les chiffres de l'estimation)
1 février 2022 Corrige mise en page au premier paragraphe

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