"La vaccination anti-Covid augmente le risque d'infection" : attention à cette affirmation trompeuse
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- Publié le 18 janvier 2022 à 15:27
- Lecture : 8 min
- Par : Juliette MANSOUR, AFP France
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Face à la progression fulgurante du nombre de contaminations au Covid-19 sous la poussée du variant Omicron en France, de nombreuses publications sur les réseaux sociaux soutiennent que ce variant "ciblerait les vaccinés" et que les personnes ayant reçu une ou plusieurs injections anti-Covid seraient actuellement plus exposées au risque d'infection.
Pourtant, quatre scientifiques interrogés par l'AFP ont affirmé de manière unanime qu'à ce jour, aucune donnée scientifique n'étaye l'hypothèse qu'une personne vaccinée aurait davantage de risque de contracter le Covid qu'une personne non-vaccinée, si elles sont exposées au virus de la même façon. Ils mettent en garde contre une mauvaise interprétation des données épidémiologiques qui pourrait mener à cette "conclusion erronée".
D'où vient cette affirmation?
Pour soutenir cette assertion, de nombreux internautes font valoir, en s'appuyant sur les chiffres du ministère de la Santé, qu'il y a actuellement en France plus de personnes contaminées vaccinées que non-vaccinées en valeur absolue, alors que le variant Omicron est devenu majoritaire parmi les infections au Covid.
Un phénomène pourtant logique puisque le vaccin n'empêche pas la transmission du virus et que la très grande majorité des Français sont vaccinés (77,5% de schémas vaccinaux complets). Inévitablement, il y a donc une forte proportion de vaccinés parmi les contaminés.
"Le virus ne cible pas les gens vaccinés, c'est simplement que comme ils sont les plus nombreux dans la population, ils sont aussi plus nombreux en valeur absolue", a pointé le 12 janvier auprès de l'AFP le virologue Vincent Maréchal.
Les spécialistes rappellent qu'il ne faut pas raisonner en termes de valeur absolue, mais à taille de population comparable. Or, "le nombre d'événements liés au Covid-19 (tests positifs, hospitalisations, décès) est nettement plus important pour les non-vaccinés que pour les vaccinés à taille de population comparable", soulignait le 7 janvier la Drees, la cellule de statistiques du ministère de la Santé, dans un communiqué.
"Complètement faux de dire que quand on est vacciné, on a plus de risque d'être infecté"
Pour soutenir la thèse d'une "dangerosité des vaccins ", d'autres publications soulignent que les vaccinés contaminés le sont très majoritairement par le variant Omicron. Un phénomène qui semble être confirmé par les dernières données préliminaires de la Drees, publiées le 14 janvier, et qui établissent pour la première fois une distinction selon le variant responsable de l’infection (Omicron ou Delta).
La Drees conclut qu'"à l’aune de la fréquence de tests positifs dans les populations respectives, le variant Omicron circule davantage parmi les personnes vaccinées que non-vaccinées ; c’est l’inverse pour le variant Delta".
En d'autres termes, si une personne qui est vaccinée attrape le Covid, elle aura proportionnellement plus de risque d'avoir été infectée par le variant Omicron que par Delta. Tandis qu'une personne qui n'est pas vaccinée aura, elle, davantage de risque de l'avoir été par Delta que par Omicron.
La Drees a établi la modélisation ci-dessous, qui analyse des données allant du 6 décembre 2021 au 9 janvier 2022, en calculant le risque relatif - c'est-à-dire le risque de survenue d'un événement dans un groupe par rapport à un autre - d'être testé positif au Covid et symptomatique en fonction de son schéma vaccinal.
Cette modélisation permet de comparer le risque d'être infecté et symptomatique selon que l'on soit non-vacciné, que l'on ait un schéma vaccinal complet, ou un schéma vaccinal complet avec rappel, en fonction du variant Delta ou Omicron.
Le "risque d’être infecté et symptomatique pour une personne non-vaccinée" est par convention "fixé à 100%".
Elle conclut que pour les personnes présentant un schéma vaccinal complet (sans rappel), le risque relatif d'être infecté et symptomatique descend à 85% pour Omicron et à environ 30% pour Delta.
Pour les personnes vaccinées avec rappel, ce risque chute à 49% pour le variant Omicron et seulement 7% pour le variant Delta.
D'où l'importance du "booster", la dose de rappel, selon les spécialistes interrogés. "On sait que la capacité de la vaccination à éviter les infections diminue avec l'intervalle depuis la primo vaccination, tout en continuant à offrir une bonne protection contre les formes sévères du Covid. Avec un rappel, on peut augmenter la protection contre l’infection pour une durée de plusieurs mois", explique ainsi Judith Mueller médecin épidémiologiste et professeure à l’EHESP.
In fine, trois facteurs viennent se combiner pour expliquer l'importance relative d'Omicron chez les vaccinés : l'affaiblissement de la réponse immunitaire avec le temps (que cette dernière soit due à une infection ou induite par les vaccins), le caractère plus contagieux d'Omicron, mais aussi sa capacité bien connue "d'échappement immunitaire", notent les experts interrogés.
"Omicron a une propriété assez remarquable d'échappement à la réponse immunitaire" avec pour conséquence de faire "beaucoup moins barrière contre l'infection pour Omicron que pour les autres variants comme Delta", a expliqué Vincent Maréchal.
"C'est pourquoi, les vaccinés sont certes un peu moins bien protégés contre Omicron que contre Delta, c'est un fait, mais les non-vaccinés, eux ne sont pas protégés du tout, contre aucun variant", a souligné auprès de l'AFP le 12 janvier Claude-Agnès Reynaud, immunologiste et directrice de recherche au CNRS.
A noter que cet échappement immunitaire - dû au fait qu'Omicron présente un nombre important de mutations par rapport aux souches précédentes-, concerne tous les types de réponse immunitaire : qu'elle vienne du vaccin ou d'une infection au virus.
Pas de risque accru d'infection avec la vaccination
La fausse idée que la vaccination pourrait "favoriser les risques d'infection" n'est pas nouvelle. On l'a vue déjà abondamment circuler en décembre, lorsque Martin Blachier, directeur de Public Health Expertise, avait tweeté dans un message ambigu que "Omicron sélectionne les vaccinés car l'échappement vaccinal lui confère un avantage chez ces personnes". Un message rapidement interprété sur les réseaux sociaux comme la preuve que la vaccination accroitrait le risque d'infection au Covid.
Pour autant, "la vaccination ne peut pas augmenter le risque d'infection. Les vaccinés ne sont pas plus sensibles à Omicron que les non-vaccinés", souligne l'immunologiste Claude-Agnès Reynaud.
"Si vous prenez ses chiffres à l'envers en disant que l'on trouve le variant Omicron chez 80% de personnes vaccinés ça ne veut plus dire grand chose", souligne Michel Moutsche, chef du service infectiologie et professeur en immunopathologie à l'Université de Liège, en Belgique. En conclure qu'Omicron "sélectionne les vaccinés est une mauvaise interprétation des statistiques".
Pour étayer cette théorie, certains internautes évoquent l'existence de ce qu'on appelle les "anticorps facilitants", lorsque la production d'anticorps contre un virus facilitait dans un deuxième temps une réinfection.
"Il y a eu un cas, c'est le virus de la dengue, où on a constaté que la production d'anticorps facilitait l'infection sur des souches différentes de la souche d'origine, donc c'est cette vieille idée qui remonte. Les gens ont eu peur de cela au moment où on parlait du développement de (thérapies par) anticorps monoclonaux ou de vaccins contre le Covid en se demandant si les anticorps pouvaient être 'facilitateurs' pour la maladie. Mais aujourd'hui, on sait que ça n'existe pas pour le Covid, les anticorps ne sont pas facilitateurs et donc la vaccination ne peut pas augmenter le risque d'infection", pointe Claude-Agnès Reynaud.
"Il est complètement faux de dire que quand on est vacciné, on a plus de risque d'être infecté", abonde Vincent Maréchal, soulignant que "le seul biais qu'on peut imaginer entre vaccinés et non-vaccinés pourrait venir du comportement d'une personne vaccinée qui majorerait son exposition au virus".
Une personne non-vaccinée qui ne peut pas fréquenter certains lieux publics faute de pass vaccinal pourrait ainsi se retrouver beaucoup moins exposée au virus qu'une personne vaccinée qui se se sentant protégée, respecterait moins les gestes barrières par exemple, comme le port du masque, cite en exemple le virologue.
Il conclut : " c'est pour cela qu'aujourd'hui il faut continuer à appliquer les gestes barrières, puisque ce qui réduit la transmission, ce sont le masque et les gestes barrières comme le lavage de mains ou la ventilation des locaux, des mesures qui freinent la circulation du virus, plutôt que le vaccin, qui vise à protéger des formes graves".
Un vaccin toujours efficace contre les formes graves du virus
Ainsi, "il faut rappeler que même si on rencontre l'infection, ce qui compte aujourd'hui c'est d'être protégé contre les formes graves, et c'est ce que font efficacement les vaccins anti-Covid aujourd'hui, même face à Omicron", rappelle Judith Mueller.
C'est aussi la conclusion que tire la Drees dans son rapport du 14 janvier, en soulignant que "la protection vaccinale demeure élevée contre les formes graves d’infection au variant Omicron, même si elle est inférieure à celle contre le variant Delta".
En comparaison avec une personne non-vaccinée, un individu ayant reçu une dose de rappel est protégée à 81% contre le risque relatif d'être hospitalisé en cas de contamination par le variant Omicron et de 96% après une infection au variant Delta. Concernant le risque d’être admis en soins critiques, cette protection monte à 92% pour Omicron et 98% pour Delta.