Non, l'Italie n'a pas rapatrié ses réserves d'or nationales et n'a pas indiqué vouloir le faire
- Publié le 24 décembre 2025 à 10:54
- Lecture : 8 min
- Par : Anna HOLLINGSWORTH, AFP Finlande
- Traduction et adaptation : Ambre DEPRES , AFP France
La Banque centrale européenne (BCE) a reproché aux autorités italiennes un amendement au projet de loi de finance 2026 du pays visant à déclarer que les réserves d'or italiennes, détenues par la Banque d'Italie, "appartiennent au peuple italien". Dans ce contexte, des publications virales sur les réseaux sociaux affirment que la Première ministre italienne Giorgia Meloni a "rapatrié" les réserves d'or, "actuellement sous le contrôle de la Banque centrale européenne". Cependant, ces allégations sont trompeuses : Giorgia Meloni n'a pas annoncé une telle mesure et la BCE ne détient pas les réserves d'or des pays membres de l'Union européenne.
"GIORGIA MELONI RÉCLAME LES 300 MILLIARDS D'OR ITALIEN - L'EUROPE EN PLEIN SÉÏSME ? Giorgia Meloni aurait engagé des démarches pour rapatrier les 300 milliards de dollars de réserves d'or de l'Italie, actuellement sous le contrôle de la Banque centrale européenne", assure un internaute le 30 novembre 2025, dans une publication sur X, qui a recueilli plus de 6.000 "j'aime" et près de 2.000 partages.
"Les fondations de l'UE [Union Européenne, NDLR] vacillent sous nos yeux", souligne la publication. Ce message a suscité de vives réactions alarmistes et hostiles à l'UE. Parmi les réponses, un internaute assure que l'Europe est "une escroquerie".
La même affirmation a été partagée par d'autres comptes sur X, mais également sur TikTok et Facebook. Elle circule en plusieurs langues, notamment en anglais et en suédois.
Ces déclarations sont néanmoins trompeuses à double titre, d'abord parce que Giorgia Meloni n'a pas annoncé vouloir rapatrier l'or italien. Et, ensuite, parce que les réserves d'or italiennes sont détenues par la banque centrale italienne et non par la Banque centrale européenne (BCE), contrairement à ce qui est avancé dans les publications virales.
La BCE est responsable de la conduite de la politique monétaire et fixe les taux d'intérêts dans les 20 pays de la zone euro (lien archivé ici).
Les affirmations trompeuses sont inspirées d'un amendement italien
Giorgia Meloni n'a pas annoncé vouloir rapatrier l'or italien. Une recherche par mots-clés sur Google, en italien, ne donne aucun résultat probant et récent, ses propos étant censés dater de fin novembre. Une telle déclaration aurait été communiquée par le gouvernement et aurait fait l'objet d'une couverture médiatique dans le pays et au-delà, ce qui n'est pas le cas ici.
Les affirmations trompeuses ont émergé après qu'un amendement au projet de loi de finance 2026 du pays a été proposé par le parti de la Première ministre, Fratelli d'Italia (FDI) (lien archivé ici). Le sénateur italien Lucio Malan souhaite en effet que les réserves d'or du pays "appartiennent au peuple italien" (lien archivé ici).
Or, comme c'est le cas dans chaque pays de l'Union Européenne, ces réserves sont gérées et détenues par la banque centrale nationale, ici la Banque d'Italie.
La Banque centrale italienne détient, après les Etats-Unis et l'Allemagne, la troisième plus grande réserve d'or, selon le World Gold Council (lien archivé ici). En tout, ce sont 2.452 tonnes d'or, sous forme de lingots, qui font partie des réserves officielles de change du pays. Selon Reuters, ces réserves représentent 300 milliards de dollars, soit 254,8 milliards d'euros (lien archivé ici).
Lorenzo Bini Smaghi, chercheur à l'Institut for European Policymaking de l'Université Bocconi en Italie et membre du directoire de la BCE entre 2005 et 2011, expliquait, dans un article universitaire en décembre 2025, que cette proposition est récurrente (liens archivés ici et ici).
Au cours des deux dernières décennies, trois gouvernements italiens ont tenté d'exercer un contrôle sur les réserves d'or de la Banque d'Italie en souhaitant les transférer au Trésor public.
Selon les partisans de ces propositions, "l'or appartient à la nation, et le gouvernement devrait donc être libre de l'utiliser à sa guise, pouvant aller jusqu'à vendre une partie des réserves pour financer les dépenses publiques", explique-t-il.
Cependant, une telle mesure est juridiquement impossible, en plus d'être dépourvue de sens économique, ont souligné différents experts.
L'or italien est "déjà public"
Côté juridique, "l'or de la Banque d'Italie appartient déjà à l'Etat italien, tout comme ses réserves en devises étrangères, poursuit Lorenzo Bini Smaghi dans son article. Aucune loi n'est nécessaire pour établir cela".
En d'autres termes, l'or est en réalité "déjà public, mais administré de manière indépendante par la Banque d'Italie", détaille à l'AFP Manuela Moschella, professeure de science politique à l'Université de Bologne (lien archivé ici).
"C'est la Banque d'Italie qui conserve l'or et qui exerce une autorité sur l'or pour des raisons de gestion internationale et de change, dans le cadre du Système Européen des Banques Centrales" le SEBC", ajoute-t-elle (lien archivé ici).
Le SEBC, composé de la BCE et des banques centrales nationales de tous les États membres de l'Union Européenne - y compris ceux qui n'ont pas adopté l'euro -, permet d'améliorer la coopération monétaire et financière entre les pays de l'UE.
Le SEBC vise également à garantir la stabilité des prix : sa structure et son champ d'action sont définis par le traité de Maastricht ainsi que par le Traité sur le Fonctionnement de l'UE (TFUE), tout comme c'est le cas pour la BCE (lien archivé ici).
L'Italie ayant adopté l'euro en 1999, la Banque d'Italie opère quant à elle dans le cadre de la politique monétaire unique, qui relève aussi du TFUE. Elle participe directement à l'élaboration de la politique monétaire de la zone euro.
En effet, son gouverneur siège au Conseil des gouverneurs de la BCE, aux côtés des autres gouverneurs des banques centrales nationales des pays de la zone euro. Une fois la politique monétaire fixée, la Banque d'Italie l'applique sur son territoire national.
Cette gouvernance repose cependant sur des principes d'autonomie et d'indépendance stricts, définis tant aux niveaux européen et national que dans le statut de la banque centrale.
Conformément à l'article 130 du TFUE, ni la BCE, ni aucune banque centrale nationale "ne peuvent solliciter ni accepter des instructions [...] des gouvernements des États membres ou de tout autre organisme".
Ainsi, la Banque d'Italie, qui "appartient volontairement" au système européen "afin de se conforter à une décision démocratique", selon Manuela Moschella, doit gérer les réserves d'or du pays indépendamment du gouvernement italien.
En outre, les réserves d'or ne peuvent pas être utilisées pour financer les dépenses publiques ou la dette de l'Italie, comme le précise l'article 31 du statut de la BCE et du SEBC (lien archivé ici). "L'or appartient aux États Membres mais, puisqu'il fait partie du bilan des BCN [banques centrales nationales, NDLR], sa gestion est soumise aux décisions du SECB", appuie auprès de l'AFP Thorsten Beck, professeur de stabilité financière à l'Institut universitaire européen. Cet amendement est donc "juridiquement irréalisable", conclut-il (lien archivé ici).
Côté économique, l'amendement "n'a pas de sens, car cela cela entraînerait une perte énorme dans le bilan de la Banque d'Italie et aurait des répercussions négatives sur la base monétaire de la zone euro", affirme à l'AFP Thorsten Beck.
"Cela constituerait une expropriation pure et simple, avec des conséquences dévastatrices pour la crédibilité de la monnaie. À moins que le Trésor n'achète l'or à sa valeur marchande, auquel cas le résultat entraînerait une augmentation de la dette publique, d'environ 10% du PIB", analyse Lorenzo Bini Smaghi.
Et d'ajouter : "En résumé, la proposition est dépourvue de logique, que l'Italie fasse partie ou non de l'union monétaire. Sans surprise, aucun pays développé n'a jamais tenté une telle opération."
Les réserves d'or ne sont pas "sous le contrôle" de la BCE
Les publications virales assurent également que les réserves d'or sont stockées et gérées par la Banque centrale européenne et qu'elles doivent être "rapatriées" vers l'Italie.
"Giorgia Meloni aurait engagé des démarches pour rapatrier les 300 milliards de dollars de réserves d'or de l'Italie, actuellement sous le contrôle de la Banque centrale européenne", assure un internaute sur X, le 1er décembre.
Cependant, comme mentionné plus haut, l'or est géré et contrôlé par la Banque d'Italie.
Par ailleurs, le rôle de la BCE est clair : conduire la politique économique et monétaire, assurer la stabilité des prix et gérer la monnaie unique. (lien archivé ici). Il n'est donc pas question du contrôle des réserves d'or des Etats membres.
Ces réserves peuvent néanmoins être stockées dans les coffres d'autres banques centrales, sans que cela ne leur confère aucune autorité sur la gestion de l'or qu'elles gardent.
"L'or de la Banque d'Italie n'est pas seulement détenu à Rome, assure Francesco Papadia, chercheur au sein du think tank européen Bruegel (lien archivé ici). Une partie est stockée à Londres, auprès de la Bank of England une autre à New York à la Federal Reserve et une autre encore auprès de la Banque des Règlements Internationaux à Bâle, en Suisse." Selon lui, des possibles mouvements d'or entre ces lieux relèveraient d'une "logique administrative" et "n'ont aucun contenu économique ou financier".
Si aucune annonce concernant le rapatriement des réserves d'or sur le sol n'a été faite par le gouvernement italien, le débat a cependant ressurgi ces derniers mois dans les colonnes de la presse italienne (lien archivé ici).
Dans une "opinion" publiée le 3 décembre, la BCE s'est quant-à-elle dite perplexe face à l'amendement au projet de loi de finance 2026, tout en soulignant l'importance de l'indépendance la Banque d'Italie vis-à-vis de son gouvernement (lien archivé ici). "La BCE ne comprend pas clairement l'objectif concret de ce projet d'amendement" a écrit la banque, précisant que "les autorités italiennes sont invitées à reconsidérer ce projet d'amendement".
Le 11 décembre, peu après la diffusion des affirmations sur les réseaux sociaux, Reuters a rapporté, citant des sources au ministère italien des Finances, que le ministre de l'Économie Giancarlo Giorgetti et la présidente de la BCE Christine Lagarde avaient réglé le différend en modifiant le projet de loi pour tenir compte des réglementations de l'UE (lien archivé ici).
Mais une commission parlementaire italienne a approuvé l'amendement au projet de loi le 19 décembre, ignorant ainsi les critiques de la BCE (lien archivé ici). Avant d'être adopté définitivement, cet amendement devra cependant être voté par les deux chambres du Parlement italien.
Des fausses allégations similaires impliquent la Hongrie
D'autres publications reprennent les mêmes allégations trompeuses en mentionnant le Premier ministre Hongrois Viktor Orban. "Les hongrois [sic] et les italiens [sic] sont en train de rapatrier leur or. Meloni et Orban ne font plus confiance à l'UE pour préserver leurs intérêts financiers peuple et reprennent en douceur leur souveraineté financière", affirme un internaute sur X le 3 décembre dans une publication qui a recueilli près de 10.000 vues et plus de 500 partages.
Mais celles-ci sont sont totalement infondées. Aucune annonce n'a en effet été publiée sur le site du gouvernement hongrois.
Le gouvernement de Viktor Orban entretient depuis plusieurs années des rapports tendus avec les institutions européennes et affiche régulièrement des positions eurosceptiques. Le chef d'État hongrois est donc régulièrement au centre de fausses allégations allant dans ce sens.
Par ailleurs, la Magyar Nemzeti Bank, la banque centrale hongroise, a annoncé l'année dernière, augmenter ses stocks d'or, de 94,5 à 110 tonnes. Elle explique : "dans un contexte d'incertitude croissante dans l'économie mondiale, le rôle de l'or comme atout refuge et réserve de valeur est particulièrement important, car il renforce la confiance dans le pays et soutient la stabilité financière." (Lien archivé ici)
Des allégations fausses ou trompeuses au sujet de l'or circulent régulièrement sur les réseaux sociaux. L'AFP les avait déjà vérifié ici, ou encore ici.
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