Des espions français arrêtés au Burkina Faso ? Non, des “intrigues fictionnelles” collées à des images générées par IA

Le Burkina Faso accuse régulièrement des puissances étrangères comme la France, la Côte d’Ivoire ou le Bénin de tentatives de déstabilisation. Récemment, des publications agrémentées de différentes images affirment que deux ressortissants français venus au Burkina Faso - en tant que journaliste pour l'un et membre d'une ONG pour l'autre - seraient en réalité des espions. Les deux individus auraient été démasqués, puis arrêtés et humiliés publiquement par le président burkinabè Ibrahim Traoré en personne. Mais ces affirmations sont fausses :  elles s’appuient sur des images générées par Intelligence Artificielle (IA). Leurs créateurs ont eux-mêmes reconnu que Claire Dubois et Julien Moreau sont les personnages "d'intrigues fictionnelles".

Depuis début mai, des dizaines de publications en français, en anglais et en portugais affirment sur les réseaux sociaux que des espions français auraient été démasqués puis arrêtés au Burkina Faso. Ces posts, souvent accompagnés d'une image où l’on voit Ibrahim Traoré aux côtés d’une femme éplorée ou d’un homme en uniforme militaire avec les mains en l'air, cumulent des milliers de partages, de mentions "j'aime" et de commentaires. 

Une première partie d’entre eux évoquent une certaine Claire Dubois, présentée dans différentes publications (1, 2, 3, 4, 5) comme une humanitaire travaillant pour une ONG appelée Hope Forward. 

Mais “derrière cette façade, Dubois se livrait à des activités d'espionnage", affirme ainsi cette publication, selon qui la femme "recueillait des renseignements sur des sites militaires (...), des installations pétrolières et des postes de surveillance par drones, sous couvert d'action humanitaire”.

Elle aurait finalement été “démasquée” et humiliée "en public" par le président Ibrahim Traoré lors d’une lors “d'une conférence nationale sur la souveraineté africaine”, au cours de laquelle le dirigeant aurait “révélé ses activités d'espionnage au monde”, soutiennent ces posts.

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Capture d'écran d'une publication Facebook, effectuée le 24 Juin 2025 / Croix rouge rajoutée par la rédaction de l'AFP.

D’autres publications évoquent elles un certain Julien Moreau, un Français se faisant passer pour un journaliste venu écrire sur le “Burkina Faso pour aider les gens”. Comme la prétendue Claire Dubois, il est accusé de s’être renseigné d’un peu trop près sur des infrastructures clefs burkinabè et de “chercher les points faibles” du régime pour les transmettre à la France. Il aurait finalement été confronté par Ibrahim Traoré lors d’une fausse conférence de presse filmée, avant d’être emprisonné.

Mais tout ceci est faux : aucun espion du nom de Claire Dubois ou de Julien Moreau n’a été arrêté puis présenté au public au Burkina Faso. Ces rumeurs sont issues de vidéos déclinant des histoires imaginées, du propre aveu de leurs créateurs sur YouTube.

Aucune trace de ces arrestations soi-disant “publiques”

Une recherche par mot-clé avec les groupes de mots "arrestation espions français au Burkina Faso" puis "arrestation français au Burkina Faso" nous permet de constater qu’aucun site d’actualité burkinabè ou français ne fait état d’arrestations récentes de Français au Burkina Faso, qu’ils soient espions ou non. 

Or, lorsque quatre fonctionnaires français accusés d’espionnage avaient bel et bien été arrêtés au Burkina Faso en 2023, la presse burkinabè et internationale (1,2,3) s'était largement emparée du sujet. Elle avait couvert l'affaire jusqu'à la libération des quatre Français en décembre 2024, grâce à une médiation du Roi du Maroc.

L'absence totale cette fois-ci de couverture par la presse interroge déjà sur la véracité de ces affirmations.

Par ailleurs, il n’existe aucune trace sur internet de la prétendue séance d’humiliation publique de Claire Dubois ni de la vidéo, pourtant censée être “très populaire” selon les publications qui l’évoquent, de l’arrestation de Julien Moreau en direct lors d'une fausse conférence de presse filmée.

Récits fictifs et vidéos générées par IA

En analysant de près les différentes images qui accompagnent ces publications, on note la présence de nombreuses incohérences visuelles.

Tout d’abord, la personne présentée comme étant l’espionne Claire Dubois change plusieurs fois de visage. Dans cette première vidéo est semble plus âgée et que dans cette deuxième. Idem pour le président du Burkina Faso sur chacune de ces deux vidéos.

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Comparaison entre des captures d'écran de différentes vidéos YouTube, effectuées le 24 juin 2025 / Encradés rajoutés par la rédaction de l'AFP.

Ensuite, la photo censée présenter Julien Moreau lors de son arrestation le montre dans un uniforme portant la mention "US Army” - soit l’armée américaine - alors qu’il est censé être un espion français.

Les images des deux espions contiennent par ailleurs des incohérences caractéristiques des images générées par l'IA. La photo de Julien Moreau présente ainsi un aspect lisse typique de l’IA. L'image des publications anglaises reprenant son histoire contient des textes illisibles sur son torse et des problèmes de doigts sur la main d'Ibrahim Traoré. 

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Capture d'écran d'une publication Facebook, effectuée le 24 juin 2025 / Détail encadré par la rédaction de l'AFP
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Capture d'écran d'une publication TikTok, effectuée le 24 juin 2025

Il en va de même dans l’image censée montrer Claire Dubois : la main du président burkinabè présente un nombre invraisemblable de doigts.

Pour en avoir le cœur net, on passe cette photo dans différents outils de détection d'image générée par IA. Undetectable AI, WasItAI et DeCopy AI ont tous conclu que l’image, aussi montée sous forme de vidéo sur YouTube et TikTok, avait environ 90% de chances d’avoir été générée par une IA.

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Capture d'écran du site decopy.ai, effectuée le 24 juin 2025.
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Capture d'écran du site wasitai.com, effectuée le 24 juin 2025.

On réalise une recherche d’images inversée à partir de vignettes de la vidéo générées par l’outil InVID-WeVerify. Cela nous permet de tomber sur de plus anciennes occurrences des deux vidéos, notamment en anglais. Les créateurs de ces vidéos Youtube ont précisé dans la description que ces contenus avaient été “générés numériquement”.

Plus encore, les premières vidéos publiées indiquent clairement que ces récits sont inventés. "Une création imaginaire inspirée de la vie d’Ibrahim Traoré”, précise ainsi la description en anglais de cette vidéo datant du 1er mai, sur le prétendu Julien Moreau. “Les événements et les dialogues présentés sont purement fictifs et ne représentent aucun fait avéré", affirme sa description.

Il en va de même pour la soi-disant Claire Dubois, dont l'histoire est présentée dans de nombreuses vidéos comme une “intrigue fictionnelle pour éveiller les consciences”. L’extrait “ne vise pas une personne réelle”, mais prétend “alerter sur des pratiques d’infiltration, d’ingérence ou de manipulation bien connues dans certaines régions du monde”, précise la légende.

Désinformation et supposées tentatives de déstabilisation

Ces vidéos mettant en avant des “intrigues fictionnelles” ont ensuite été reprises sans cette précision sur d’autres réseaux sociaux, parfois même avec les hashtags “#information” ou “#AES”, laissant croire qu’il s’agit d’une information réelle.

Cette désinformation a aussi été amplifiée par sa reprise sur le site Pravda, un média pro-russe qui présente ces histoires inventées comme des faits avérés. 

Les infox de ce type instaurent de la méfiance envers le personnel des ONG et les journalistes, en même temps qu'ils attisent le sentiment anti-français, déjà croissant dans la zone.  

Depuis l’arrivée des militaires au pouvoir au Burkina Faso, au Mali et au Niger, ces trois Etats réunis au sein de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) ont en effet tourné le dos à l’ancienne puissance coloniale et se cherchent de nouveaux alliés, notamment en se rapprochant de la Russie.

Supposés entraînements des groupes djihadistes, fausses tentatives de push avec l’appui d’exilés ou encore construction de prétendues bases militaires pour espionner : la France et ses alliés dans la région, notamment le Bénin et la Côte d’Ivoire, sont régulièrement accusés d’organiser des actions de déstabilisation contre les régimes militaires de l'AES (dépêches AFP archivée ici).

La Côte d’Ivoire est d’ailleurs présentée comme complice de la France dans la vidéo consacrée au prétendu Julien Moreau, le narrateur affirmant que ce faux espion aurait envoyé “des messages secrets la nuit à Abidjan [à] une personne qui travaillait pour l’armée française”.

AFP Factuel a déjà déconstruit de nombreuses fausses informations en provenance de pays de l'AES qui cherchent à faire croire à une ingérence de la France en Afrique francophone, notamment lors des élections présidentielles camerounaise et ivoirienne.

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