Non, le JT de TF1 n'a pas confirmé l'existence des "chemtrails"

La théorie conspirationniste des "chemtrails" circule de longue date sur les réseaux sociaux. Selon elle, les traînées blanches visibles dans le ciel à l'arrière des avions seraient composées de produits chimiques propagés délibérément pour nuire à la population humaine. Mi-juin 2025, des internautes ont partagé des extraits d'un journal télévisé de TF1 sur ce sujet, en se félicitant de le voir "donner raison" selon eux aux complotistes. Mais cette séquence vidéo est tronquée : elle reprend des passages d'un journal télévisé de mai 2025 dans lequel une journaliste de TF1 démontrait au contraire pourquoi cette croyance n'avait aucun fondement scientifique. Ces traînées blanches sont le fruit d'un phénomène classique  de condensation, ainsi que l'ont expliqué plusieurs chercheurs à l'AFP ces dernières années. 

"Quand les complotistes soupçonnent les chemtrails de nous empoisonner, on vient de leur donner raison !", "merci au journal télévisé, maintenant le peuple est au courant", soutiennent des internautes sur X (1, 2) et TikTok mi-juin 2025, en relayant une même vidéo relative à cette croyance conspirationniste selon laquelle les traînées blanches visibles à l'arrière des avions seraient composées de produits chimiques propagés de manière délibérée pour nuire à la population humaine.

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Capture d'écran réalisée sur X le 16 juin 2025.

Cette séquence, composée de plusieurs extraits mis bout à bout d'un même journal télévisé de TF1, montre la journaliste Anne-Claire Coudray affirmer : "Aux Etats-Unis, [...] une croyance d'un tout autre genre refait surface ces derniers jours. Vous vous souvenez sans doute des complotistes qui s'étaient inquiétés de la toxicité des traînées blanches laissées par les avions dans le ciel. [...] Hé bien, cette paranoïa a été accréditée au plus haut sommet de l'Etat.

Elle laisse ensuite la parole à une consoeur, qui explique : "Oui, il s'agit de l'une des plus anciennes théories du complot. [...] La semaine dernière, sur un plateau télé, [le ministre américain de la Santé], Robert Francis Kennedy Jr. [...] a répondu à une question, écoutez."

S'ensuit un extrait de cet échange, dans lequel "RFK",  nouveau ministre américain de la Santé et relais régulier de nombreuses théories conspirationnistes, affirme qu'il "fera tout ce qui est en [son] pouvoir pour arrêter" les "chemtrails", tout en soutenant que ce prétendu épandage aérien toxique serait "l'oeuvre de l'agence Darpa".

La séquence partagée sur les réseaux sociaux se conclut juste après que la journaliste en plateau a expliqué qu'il s'agit d'une "agence gouvernementale chargée de l'innovation militaire", laissant penser que le journal télévisé de TF1 vient ainsi de confirmer l'accusation avancée par Robert Kennedy Jr. 

Mais c'est faux : ce montage vidéo composé de coupes assez grossières occulte la suite de la séquence d'origine, qui montrait au contraire que les affirmations de RFK étaient infondées, comme on peut le voir sur le site de TF1. La chaîne a en outre confirmé à l'AFP le 16 juin 2025 que cette séquence était un "détournement". 

Un phénomène physique de condensation

Dans la suite du journal télévisé de 20h en question, diffusé le 11 mai 2025 (lien archivé), la journaliste en plateau poursuit : "[RFK] accuse donc l'Etat américain - avant que Trump n'arrive, précise-t-il - d'empoisonner la population. Sauf qu'il va avoir du mal à arrêter ces traînées dans le ciel car ce qui se passe est un phénomène physique, quel que soit le type d'avion et aux quatre coins du monde : la condensation à très haute altitude. [La rencontre entre] l'air froid, alors que l'air qui sort des turbines, lui, est chaud. Hé bien, c'est ce mélange qui déclenche tout simplement de la vapeur d'eau."

"Par ailleurs, il n'y a jamais eu aucun cas d'intoxication ni de traces d'agents chimiques retrouvés dans le ciel ou au sol. Au passage, si c'était vrai, ça intoxiquerait tout le monde, y compris les responsables de ces rejets", conclut-elle. 

Ces croyances autour des "chemtrails", la contraction de "chemical trail" (en français "traînée chimique"), régulièrement relayée en ligne avec des narratifs variés - stérilisation, diffusion du Covid-19 et de cancers, contrôle mental ou encore de la météo - ont également fait l'objet de plusieurs articles de vérification de l'AFP ces dernières années (ici ou encore ). 

En mars 2021, Jean-Christophe Canonici, directeur adjoint de SAFIRE (entité de recherche atmosphérique rassemblant le CNRS, Météo-France et le CNES), expliquait déjà à l'AFP que la formation de ces lignes blanches est un "phénomène physique classique" de "condensation", due à l'altitude des avions où sont observés "un taux d'humidité relativement important, généralement autour de 70 %, et des températures qui sont inférieures à -35°C" (archivé ici).

Lors de son vol, un avion éjecte de la vapeur d'eau, "des petites gouttelettes d'eau issues de la combustion de gaz [dans les réacteurs, NDLR] qui disparaissent très rapidement dans des masses d'air plus sèches, dans une zone d'instabilité atmosphérique", avait-il détaillé.

"C'est dans ces conditions qu'on peut voir, non pas des chemtrails mais des contrails [contraction de "condensation" et "trail", NDLR], des traînées de condensation qui vont s'étaler et produire ce qu'on appelle un cirrus artificiel, généré par l'activité humaine", avait précisé le chercheur, concluant que "c'est la condensation ou la congélation de la vapeur d'eau sous forme de cristaux de glace" qui est visible depuis le sol.

Une explication que l'on retrouve aussi sur le site de la Société royale aéronautique, qui évoque des "traînées de condensation des gaz d'échappement des avions de ligne" (archivé ici).

Aucune preuve scientifique de l'existence des "chemtrails"

Comme l'ont déjà expliqué de nombreux experts à l'AFP, il n'existe aucune preuve scientifique que des produits chimiques soient largués intentionnellement pour des raisons secrètes malveillantes.

Selon Jean-Christophe Canonici, "l'avion ne produit pas suffisamment de vapeur d'eau pour venir saturer l'environnement, il libère surtout des impuretés, qu'on appelle des aérosols". Ces particules attirent la vapeur d'eau et facilite sa condensation jusqu'à "augmenter et épaissir le panache blanc" caractéristique des traces visibles dans le ciel.

En mars 2024, Elizabet Paunovic, experte en santé liée à l'environnement et ex-directrice du Centre européen pour l'environnement et la santé de l'organisation mondiale de la Santé (OMS), avait souligné auprès de l'AFP qu'"il n'y a aucun article scientifique, aucune analyse, montrant que les chemtrails existent" (archivé ici et ici). 

Un constat que partage aussi Edward Parson, professeur de droit environnemental à l'université de Californie-Los Angeles (archivé ici). Contacté par l'AFP en septembre 2024, il affirmait que les personnes qui relaient "cette théorie complotiste des chemtrails, selon laquelle il y aurait une dispersion à grand échelle de produits chimiques dans l'atmosphère, avançant comme preuve les lignes blanches derrière les avions, inventent des histoires". 

Les traînées en question "sont constituées d'eau ou de glace, faisant partie des gaz d'échappement du moteur qui contiennent de petites quantités de polluants comme tous les gaz d'échappement de véhicules", avait-il rappelé.

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