
Non, l’ex-président congolais Kabila n’a pas récemment rencontré une mission de l’ONU à Goma
- Publié le 03 juin 2025 à 15:40
- Lecture : 7 min
- Par : Monique NGO MAYAG, AFP Sénégal
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Le 29 janvier 2025, les troupes du M23, un groupe armé anti-gouvernemental allié aux forces militaires rwandaises, ont pris le contrôle de la grande ville de Goma, située dans l’est de la République démocratique du Congo (lien archivé ici).
Cette riche région minière est secouée depuis des décennies par les violences de groupes armés. Plusieurs acteurs internationaux tentent de soutenir les efforts de stabilisation, dont la Monusco (Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RDC), pour le moment sans succès.
Des internautes affirment que l'ancien président Joseph Kabila, qui a annoncé fin avril rentrer en RDC après plusieurs années, aurait rencontré des émissaires de cette mission.
"Pas de temps à perdre pour KABILA. Ce lundi 26 mai 2025, l’ancien président de la République, Joseph Kabila Kabange, a reçu en séance de travail les représentants de la #MONUSCO à #Goma", affirme ainsi l’auteur d’un message publié le 26 mai sur Facebook (archivé ici), qui a suscité près de 1.500 réactions.

Cette publication est agrémentée d’une photo de l’ex-dirigeant assis au bord de l’eau, dans une tenue décontractée. L’ancien président, de face, a le regard tourné vers un groupe de quatre hommes assis à sa gauche, dont l’un porte un képi militaire. Ce cliché est repris dans plusieurs publications sur X et sur Facebook (archivées ici, ici et ici).
Certains internautes se réjouissent de cette prétendue rencontre, estimant qu'il est "temps de prendre des grandes mesures pour défendre le pays contre les agressions". D'autres questionnent la légitimité de l'ancien homme politique à participer à de telles réunions, voire mettent en doute sa loyauté envers son pays. "C’est la honte....c'est le signe du rebellion ..asoiffẻ du pouvoir"[sic], commente ainsi un internaute.
Joseph Kabila, qui a dirigé la RDC de 2001 à 2019, est en effet accusé par Kinshasa de complicité avec le groupe armé M23 (dépêche AFP archivée ici). En avril, le ministre de la Justice Constant Mutamba a saisi la justice militaire afin d'engager des poursuites à son encontre pour trahison, participation à un mouvement insurrectionnel, participation à des crimes de guerre et crimes contre l'humanité.
Si M. Kabila est bien depuis apparu aux côtés du M23 à Goma, il n’y a eu en revanche aucune entrevue avec des représentants de la Monusco. La photo invoquée pour appuyer cette fausse information date en réalité de 2013.
Pas de réunion récente avec la Monusco
Une recherche d’images inversée nous a permis de retracer l’origine de ce cliché. On retrouve cette photo publiée le 4 décembre 2013 sur la page Facebook officielle de la Monusco (lien archivé ici). La publication évoque une rencontre à Goma, sur les rives du lac Kivu, entre Joseph Kabila - alors président de la RDC - et des membres de l’ONU engagés dans les opérations de maintien de la paix.
Ce post renvoie vers le compte Flickr officiel de la Monusco, où on retrouve le même cliché, crédité "MONUSCO/Sylvain Liechti" (lien archivé ici).

La légende nous renseigne sur l'identité des quatre hommes à droite de Joseph Kabila. Juste à côté de lui se trouve Hervé Ladsous, à l'époque Secrétaire général adjoint de l’ONU, puis Martin Kobler, qui était représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU en RDC et chef de la Monusco. Viennent ensuite Abdallah Wafy, alors représentant spécial adjoint du Secrétaire général chargé de l’État de droit en RDC, et enfin le général Carlos Alberto Dos Santos Cruz, à l'époque commandant de la force de la Monusco.
En faisant quelques recherches sur internet, on se rend rapidement compte que toutes ces personnes n'occupent plus depuis plusieurs années de postes liés à la RDC (1,2,3), accréditant le fait que le cliché repris récemment sur internet est en réalité ancien. Abdallah Wafy est quant à lui décédé le 16 décembre 2020, prouvant que la photo est forcément antérieure à cette date.
Contacté par l’AFP, la Monusco a confirmé que "l’image qui circule sur les réseaux sociaux est sortie de son contexte" et qu’elle "date de 2013".
"L’information selon laquelle une rencontre entre l’ancien président Joseph Kabila et des responsables de la Mission a eu lieu à Goma est fausse", a par ailleurs ajouté dans sa réponse du 28 mai Ndeye Khady Lo, porte-parole de la mission de l’ONU en RDC.
"Aucune rencontre formelle n’est, pour le moment, prévue entre M. Joseph Kabila et des responsables de la Monusco à Goma", a-t-elle précisé. La mission onusienne réaffirme néanmoins sa disponibilité à accompagner un éventuel dialogue entre acteurs congolais, dans le cadre de son rôle de facilitation et “dans le strict respect de la souveraineté nationale”.
La photo qui circule depuis le 26 mai remonte à 2013 et n'a donc pas de lien avec l’actualité politique récente. Pour autant, Joseph Kabila est bien rentré en RDC et a fait une apparition publique à Goma.
Aux côtés du M23 à Goma
L’ex-président Kabila s’est en effet affiché détendu et souriant le 29 mai 2025 aux côtés de militaires du M23 et de leur porte-parole Lawrence Kanyuka, lors d’une rencontre avec des responsables religieux locaux dans une de ses résidences à Goma (dépêche AFP archivée ici).
Celui qui est désormais l'opposant déclaré de l'actuel président Félix Tshisekedi s'est présenté devant les journalistes sans faire de déclarations, mettant un terme aux spéculations sur sa présence dans la grande ville de l'est du pays contrôlée par le M23.

Un proche de M. Kabila a déclaré à l'AFP qu'il n'existait pas d'alliance formelle entre son parti et le M23, mais qu'ils partagent un "même objectif": mettre fin au régime de Félix Tshisekedi.
Joseph Kabila avait dénoncé la "dictature" du gouvernement de Kinshasa dans une rare allocution en ligne le 23 mai, au lendemain de la levée de son immunité parlementaire, et annoncé qu'il serait "dans les prochains jours" à Goma (dépêche AFP archivée ici).
L’ex-dirigeant de 53 ans, qui a dirigé la RDC de 2001 à 2019, a quitté le pays fin 2023, selon son entourage, mais y jouit encore d'un important réseau d'influence.
Tentatives de médiation
Les responsables religieux qu’il a rencontrés à Goma ont demandé à M. Kabila de "jouer le rôle d'arbitre pour que la paix revienne", a précisé l’un d’eux dans une interview à l’AFP (lien archivé ici).
Les tentatives de médiation pour mettre fin aux violences de groupes armés qui déchirent l’est de la RDC depuis des décennies - et se sont amplifiées depuis la résurgence du M23 en 2021 - sont en effet jusqu'ici restées infructueuses.
L'Angola, qui tâchait depuis 2022 d'intervenir entre la RDC et le Rwanda, accusé de soutenir le M23, a jeté l’éponge et renoncé fin mars à son rôle de médiateur officiel de l’Union africaine (lien archivé ici). Le Togolais Faure Gnassingbé lui a succédé le 12 avril, mais sans plus de résultats concrets pour le moment (lien archivé ici).
La place et l’efficacité de la Monusco en tant que médiateur impartial dans le conflit sont aussi régulièrement contestées. D'importantes manifestations de Congolais reprochant aux Casques bleus de ne pas assez défendre leurs intérêts ni leur sécurité face aux groupes armés ont été réprimées dans le sang ces dernières années, notamment en 2022 et 2023 (dépêche AFP archivée ici).
Le président congolais Félix Tshisekedi accuse le Rwanda de vouloir piller les ressources minières de cette partie du pays, tandis que son homologue Paul Kagame se défend en affirmant vouloir lutter contre des groupes armés dirigés par d'ex-responsables du génocide des Tutsi, qui ont fui en RDC voisine et menaceraient la sécurité du Rwanda.
L'ONU a estimé début février que les combats pour la prise de Goma avaient fait au moins 2.900 morts. La situation a aussi forcé des centaines de milliers de personnes à quitter leur foyer, selon l'ONU et le gouvernement congolais.