Le député RN Laurent Jacobelli à l'Assemblée nationale le 8 juillet 2024 (AFP / BERTRAND GUAY)

Minimum vieillesse et étrangers : les approximations du RN

Le minimum vieillesse est une allocation mensuelle pour les personnes retraitées disposant de faibles ressources, pouvant atteindre dans certains cas jusqu'à un millier d'euros. Ces derniers mois, des responsables du Rassemblement national ont régulièrement déploré que 40% des bénéficiaires soient selon eux des "étrangers" n'ayant "jamais cotisé". Mais il n'existe pas de statistiques par nationalités portant sur l'ensemble des bénéficiaires du minimum vieillesse. Et, quoi qu'il en soit, 90% des bénéficiaires du dispositif ont travaillé et cotisé en France, selon les statistiques disponibles.

Le minimum vieillesse est une aide destinée aux retraités ayant de faibles ressources et vivant en France. Comme d'autres allocations, elle est régulièrement l'objet d'allégations trompeuses ou fausses, comme l'AFP l'a déjà démontré (1, 2, 3, 4). 

Dans un contexte de déficit budgétaire et de nouvelles discussions sur les retraites, le député et porte-parole du Rassemblement national Laurent Jacobelli a appelé le 16 mars 2025 sur Europe 1 à "chasser la mauvaise dépense [...] avant de dire aux Français" de se "serrer la ceinture" et a pris pour exemple le minimum vieillesse.

"40% de ce minimum vieillesse est donné à des étrangers. Voilà. Donc vous arrivez en France, vous n'avez pas travaillé en France, vous n'avez pas cotisé en France, et vous touchez la retraite, 1.040 euros par mois", a-t-il déclaré. "Ca coûte plus d’un milliard par an, à peu près autant que l'aide médicale d'Etat", a-t-il complété.

On peut l'entendre à partir de 27 secondes dans cette vidéo :

Ces propos ont été dans la foulée partagés par des utilisateurs de Facebook (1, 2).

Le thème d'une part importante du minimum vieillesse "versé à des étrangers" qui n'auraient "pas cotisé" est relayé par le Rassemblement national depuis plusieurs mois. Avant M. Jacobelli, Marine Le Pen, présidente du groupe RN à l'Assemblée nationale, avait affirmé en novembre 2024 sur X que "40% du minimum vieillesse est versé à des étrangers qui n'ont jamais cotisé en France".

Propos repris par un autre porte-parole du parti, le député Julien Odoul, en janvier 2025 sur LCI, où il estimait que le fait que "40% du minimum vieillesse accordé à des étrangers qui n'ont jamais cotisé en France" était "une injustice majeure, a fortiori en temps de restrictions"

Ces allégations ont pu être aussi partagées par certains intervenants sur des plateaux télé.

Il n'existe en réalité pas de statistiques sur la part d'"étrangers" dans l'ensemble des 700.000 allocataires du minimum vieillesse. Les seules données mentionnant la nationalité des bénéficiaires portent sur une petite minorité d'entre eux: les 10% d'allocataires qui n'ont aucun droit à la retraite française. 

Une aide pour les plus modestes

Avant de tenter de comprendre d'où viennent les chiffres mentionnés par le RN, il faut rappeler que le minimum vieillesse n'est pas une pension de retraite, qui serait financée par des cotisations et perçue en fonction d'elles, mais une allocation, financée par l'Etat, qui a pour objet d'assurer un minimum de ressources aux personnes les plus pauvres et en situation régulière sur le territoire français. Les sommes versées sont parfois recouvrées par l'Etat, selon certaines conditions, après le décès du bénéficiaire (archive).

C'est aussi une allocation dite différentielle, c'est-à-dire qu'elle complète les éventuelles pensions de retraite perçues jusqu'à atteindre un niveau de ressources minimum garanti. Au 1er janvier 2025, celui-ci était de 1.034,28 euros bruts par mois maximum pour une personne seule, selon le site officiel Service public (archive).

Fin 2022, les allocataires recevaient en moyenne chaque mois 495 euros pour ceux percevant l'Allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa, allocation principale), 443 euros pour ceux percevant l'Allocation de solidarité vieillesse (ASV), et 853 euros pour ceux dépendant du Service de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Saspa, destiné aux personnes n'ayant pas cotisé), selon la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), qui dépend du ministère de la Santé, et la MSA (archives 1, 2).

Les personnes françaises ou étrangères touchant une retraite française - ayant donc cotisé suffisamment - perçoivent l'Aspa, gérée par la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav). Tandis que les personnes françaises ou étrangères sans retraite française, parce qu'elles n'ont que très peu voire pas du tout cotisé, perçoivent une allocation du Saspa, géré par la Mutuelle sociale agricole (MSA). S'y ajoutent un petit nombre de personnes plus âgées percevant toujours l'ASV, remplacée par l'Aspa lors d'une réforme en 2007.

40% de bénéficiaires de l'Aspa "nés à l'étranger" et non "étrangers"

Interrogé par l'AFP pour savoir à quelle allocation il faisait référence sur Europe 1, Laurent Jacobelli a précisé le 26 mars vouloir dire que "40% des bénéficiaires de l'Aspa sont étrangers".

Quant à la possibilité, évoquée sur Europe 1, d'arriver en France et de "toucher la retraite" sans avoir "travaillé" ni "cotisé" dans le pays, le député a fait valoir qu'il mentionnait ce scénario dans une phrase distincte de celle où il donne le chiffre de 40% des bénéficiaires. "C'est vrai pour certains, bien sûr, 35% qui touchent le Saspa", a-t-il dit

D'où vient ce chiffre de "40%" de bénéficiaires qui seraient "étrangers" ?

En faisant des recherches sur internet, on se rend compte qu'une étude de la Cnav publiée en 2022 (archive) indiquait que "40% des masses d'Aspa versées par le régime général" en 2020 - soit 835 millions d'euros - l'étaient à des bénéficiaires "nés à l'étranger" (pays étranger à leur naissance ou ancienne colonie française), sur un total de 1,1 milliard d'euros alors dédié à l'Aspa et l'Allocation supplémentaire invalidité (ASI) de ces personnes "nées à l'étranger". 

Cette même étude recensait à cette date 155.686 allocataires Aspa "nés à l'étranger" sur 397.557 allocataires Aspa relevant du régime général de retraites (85% des bénéficiaires du minimum vieillesse), soit une part de 39,2% selon les calculs de l'AFP.

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Capture d'écran, réalisée le 28 mars 2025, d'une étude de la Cnav sur les retraités du régime général résidant ou nés à l'étranger publiée en 2022

L'étude ne parlait donc pas d'"étrangers", mais d'une population plus large d'allocataires "nés à l'étranger", c'est-à-dire étrangers, étrangers devenus Français ou Français nés à l'étranger, sans plus de précision.

Elle soulignait d'ailleurs que "la plupart" de ces personnes "nées à l'étranger" sont "très probablement devenus français[es] compte tenu de leur durée de carrière et présence en France (sans que l'on puisse l'estimer à partir des données de la branche retraite qui n'enregistre pas la nationalité de ses retraités)".

De manière générale, "plus les personnes nées à l'étranger et résidant en France ont des âges élevés, plus la part de celles ayant acquis la nationalité augmente, car elles ont vécu dix, vingt, trente ans en France et ont été naturalisées", a expliqué Antoine Math, économiste à l'Institut de recherches économiques et sociales (Ires), interrogé le 31 mars 2025 par l'AFP. Il a souligné par exemple qu'en 2023, sur les 7,3 millions d'immigrés (personnes nées à l'étranger) vivant en France, 2,5 millions avaient acquis la nationalité française selon l'Insee (archive).

La Cnav, qui verse l'Aspa, a indiqué le 18 mars 2025 à l'AFP que l'étude citée plus haut n'avait pas été actualisée depuis, et qu'elle ne recensait pas les nationalités des allocataires de cette prestation car ce n'est "pas une donnée utile" pour elle.

48% des bénéficiaires du minimum vieillesse "nés à l'étranger" en 2018

La seule statistique disponible portant sur l'origine des bénéficiaires de l'ensemble des prestations du minimum vieillesse (et pas seulement de l'Aspa) concerne elle aussi les allocataires "nés à l'étranger" et non pas "étrangers".

On la trouve dans l'annexe 6 d'un rapport de 2019 de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur une réforme d'une aide aux étranger vivant seuls dans des foyers pour migrants (archive). On peut y lire qu'en 2018, il y avait 661.0000 bénéficiaires du minimum vieillesse (Cnav, MSA), et que sur ce total, un peu moins de la moitié (48,3%) étaient "originaires d'un pays étranger" (soit 51,7% nés en France)

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Capture d'écran, réalisée le 3 avril 2025, d'un rapport de l'Igas de 2019

La seule statistique disponible concernant spécifiquement les "étrangers", donc la nationalité, concerne les allocataires Saspa - c'est-à-dire ceux n'ayant pas de droits ouverts pour une retraite française, faute d'avoir cotisé suffisamment.

Pour cette population, la part de "35%" citée par M. Jacobelli correspond au "tiers" des quelque 65.000 bénéficiaires Saspa évoqué dans divers rapports publiés ces dernières années, de la Caisse des dépôts en 2013 à la Cour des comptes en 2021 (archives 1, 2).

Mais les allocataires Saspa ne représentent qu'une petite part de l'ensemble des allocataires du minimum vieillesse.

Selon les dernières données complètes, à fin 2022, il y avait près de 700.000 bénéficiaires du minimum vieillesse (691.210 précisément), d'après l'édition 2024 du panorama sur la retraite et les retraités publié par la Drees (archive). Près de 90% d'entre eux percevaient le minimum vieillesse en complément d'une retraite modeste (Aspa+ASV). Et seuls 65.080 dépendaient du Saspa - soit 9,4% du total des bénéficiaires du minimum vieillesse selon nos calculs.

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Capture d'écran, réalisée le 3 avril 2025, de l'édition 2024 du panorama de la Drees sur les retraités et les retraites

Dans un diaporama plus ancien, datant de début décembre 2022, la MSA dénombrait en 2022 un total de 63.686 bénéficiaires du Saspa, dont 58,9% de nationalité française et 41,1% de nationalités étrangères - soit près de 26.200 personnes, une petite minorité (moins de 4%) parmi les quelque 700.000 bénéficiaires du minimum vieillesse dans ses différentes composantes.

Au 31 décembre 2023, ils étaient "64.115, dont 42,8% de non nationaux (soit 27.462)", selon les derniers chiffres disponibles transmis par la MSA à l'AFP le 1er avril 2025.

Le budget Saspa était de 522,37 millions d'euros en 2023, selon la MSA (sur plus de 4 milliard pour l'ensemble du minimum vieillesse).

Séjour long et ininterrompu

Par ailleurs, il apparaît quasiment impossible d'arriver en France à 65 ans et de percevoir le minimum vieillesse directement dans la foulée, comme le laissent entendre des responsables du RN.

Pour y avoir droit, il faut remplir plusieurs conditions. Dans le cas de l'Aspa, rappelle la Cnav sur son site internet, il faut d'abord percevoir une retraite française ou une pension de réversion - donc avoir travaillé en France -, avoir au moins 65 ans (62 ans si l'on est reconnu inapte au travail ou atteint d'une incapacité permanente d'au moins 50%), résider au moins neuf mois sur douze en France, selon des conditions de séjour conformes à la loi, et avoir des ressources inférieures à 1.034,28 euros bruts par mois pour une personne seule et 1.605,73 euros pour un couple (archive).

Pour les étrangers ayant travaillé en France, deux cas de figure. S'ils sont ressortissants de l'Espace économique européen (EEE) ou de Suisse, pour avoir le droit de séjourner au-delà de trois mois en tant que retraités, ils doivent justifier de "ressources suffisantes pour ne pas devenir une charge dans le système d'assistance sociale français", indique le site Service public. S'ils sont ressortissants d'un pays hors EEE et Suisse, ils doivent détenir un titre de séjour autorisant à travailler "depuis au moins dix ans ininterrompus".

Les étrangers qui ne perçoivent pas de retraite française car ils n'ont pas assez voire pas du tout cotisé en France font, eux, une demande Saspa, avec la nécessité de prouver une "résidence stable et régulière" en France, c'est-à-dire pendant au moins neuf mois par an et avec un titre de séjour autorisant à travailler depuis au moins 10 ans, précise le site de la MSA (archive).

Qu'il s'agisse de la demande Aspa ou Saspa, cette dernière condition sur ce titre de séjour long n'est pas exigée pour les apatrides et réfugiés, les anciens combattants pour la France, les bénéficiaires de la protection subsidiaire, et les Britanniques. C'est aussi le cas pour les ressortissants de quelques pays, comme l'Algérie, mais qui doivent cependant toujours être détenteurs d'un titre de séjour en cours de validité.

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Des réfugiés soudanais arrivent du Tchad à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle le 18 décembre 2017 (AFP / JACQUES DEMARTHON)

Ainsi, "on ne peut pas dire que les bénéficiaires de l'Aspa 'n'ont jamais cotisé', puisque la grande majorité ont une retraite de droit direct", a souligné Patrick Aubert, économiste à l'Institut des politiques publiques (IPP), dans un email à l'AFP le 28 mars - ceux ne percevant pas de retraite de droit direct perçoivent une retraite de droit dérivé, c'est-à-dire une pension de réversion (archives 1, 2).

De plus, "la condition de résidence en France de 10 ans avant de demander l'Aspa vise à exclure le cas de personnes qui immigreraient en France après 65 ans, juste pour avoir le minimum vieillesse", ajoute l'économiste.

Or c'est une condition "compliquée" à remplir, souligne Antoine Math, de l'Ires : "parfois des personnes en France depuis 20 ou 30 ans ne perçoivent pas le minimum vieillesse car elles ont eu une interruption de séjour".

Les cas potentiels d'arrivées en France à 65 ans et de demande Saspa dans la foulée sont selon lui "rarissimes". On pourrait par exemple imaginer le cas d'un réfugié arrivant tardivement sur le sol français, une fois sa demande d'asile acceptée par les autorités, mais les réfugiés sont généralement "jeunes" (avec une moyenne d'âge à l'arrivée en France de 31 ans selon l'Insee), donc loin de la retraite, explique-t-il (archive).

"L'Aspa est une allocation non contributive servie sous conditions d'âge, de ressources, de subsidiarité, de résidence et de régularité de séjour en France. Compte tenu de toutes ces conditions, il paraît difficile pour des étrangers à peine arrivés en France d'y prétendre", a confirmé la MSA, qui gère les demandes Saspa, le 1er avril à l'AFP. Le respect de ces conditions est contrôlé régulièrement à l'échéance de la validité des documents justificatifs produits, notamment les titres de séjour.

Pour résumer :

  • les déclarations de responsables du RN font une confusion entre personnes "nées à l'étranger" et "étrangers" - ce qui conduit à surestimer la part des étrangers dans les bénéficiaires du minimum vieillesse ;
  • il est impossible d'affirmer que 40% de l'ensemble des bénéficiaires du minimum vieillesse sont étrangers, faute de données sur la nationalité des bénéficiaires de l'Aspa (qui représentent 90% de ceux du minimum vieillesse);
  • il est en revanche établi que les étrangers représentent 43% des 10% d'allocataires du minimum vieillesse sans droits ouverts à une retraite française (bénéficiaires du Saspa), n'ayant pas cotisé.

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