Dans les locaux d'une Caisse d'allocations familiales le 15 avril 2015 ( AFP / PHILIPPE HUGUEN)

Attention à ces nouvelles publications trompeuses relayant une attestation de la CAF

Les prestations des Caisses d'allocations familiales (CAF) sont conditionnées au fait d'être français ou en situation régulière sur le territoire. Parmi elles, la prime d'activité est versée aux salariés aux revenus modestes reprenant  ou exerçant un emploi. Pourtant, des publications sur les réseaux sociaux relaient une attestation CAF montrant le versement en août 2024 de plus de 3.600 euros d'allocations qui selon les internautes ont été versées à une "immigrée qui bien sûr ne travaille pas". Mais attention : si l'attestation est authentique, comme l'a confirmé la CNAF auprès de l'AFP, elle est celle d'une mère isolée française qui travaille. Après plusieurs cas d'attestations détournées sur les réseaux sociaux, souvent à des fins idéologiques, l'organisme public appelle les internautes à la "prudence" face à ces "contenus outranciers et provocateurs".

Le sujet du "coût de l'immigration", phénomène difficile à cerner et dont les estimations varient tout en étant lacunaires, alimente régulièrement le débat politique et médiatique, et reste par nature un terreau fertile pour les allégations trompeuses voire fausses.

En pleine crise politique, et alors que le nouveau Premier ministre LR Michel Barnier a dit son intention d'augmenter les impôts face à une situation budgétaire dégradée,  des publications sur les réseaux dénoncent le versement par les Caisses d'allocations familiales (CAF) de plusieurs milliers d'euros à une supposée "immigrée qui bien sûr ne travaille pas" (archive).

"On vient de me transmettre cette attestation de paiement de la CAF pour le mois de septembre, d'une immigrée qui bien sûr ne travaille pas ! Je vous laisse apprécier, surtout que Michel Barnier parle déjà augmenter les impôts ! Réduisez déjà les aides pharaoniques à cette immigration qui font gosses sur gosses", affirment le 18 septembre 2024 des publications virales sur Facebook et X, relayées plusieurs milliers de fois pour certaines.

Toutes montrent la photo d'une attestation de la CAF actant le versement en août 2024 de 3.647,25 euros à une ou un allocataire non identifié (ses noms et adresse ont été cachés) : 

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Capture d'écran, réalisée le 20 septembre 2024, d'une publication sur Facebook

Des publications diverses prenant des attestations isolées pour affirmer, à tort, qu'elles seraient celles d'"immigrés" profitant du système français de protection sociale apparaissent régulièrement sur les réseaux sociaux et ont été déjà été vérifiées à plusieurs reprises par l'AFP, comme ici ou ici.

Interrogée par l'AFP, la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) a confirmé l'authenticité de celle qui circule mi-septembre 2024. Mais "contrairement à ce qui est indiqué sur les réseaux sociaux, elle concerne une allocataire française, qui travaille en étant mère isolée, d'où une majoration des aides, avec trois enfants à charge et enceinte d'un 4ème enfant", a souligné la Caisse dans un mail à l'AFP le 20 septembre.

A noter aussi qu'une partie des prestations mentionnées dans cette attestation ne sont pas mensuelles : la prime de rentrée scolaire (une fois par an) et la prime de naissance, liée à l'arrivée d'un enfant.

La CNAF a aussi appelé "une fois de plus chacun à la prudence dans l'appréciation et le relais de ces contenus outranciers et provocateurs diffusés par certains sur les réseaux sociaux".

Elle a en outre indiqué avoir "prévenu l'allocataire et demandé de sécuriser l'accès à son compte, en changeant de mot de passe par exemple"

Le mot "immigré", un "contresens"

Les publications qui relaient de façon trompeuse des attestations de la CAF entretiennent en général une confusion entre étrangers en situation régulière ou irrégulière, migrants économiques, réfugiés ... Mais les personnes sans-papiers ne peuvent pas, par exemple, bénéficier des aides de la CAF. 

"Contrairement à ce qui a pu être également relayé sur les réseaux sociaux, il convient aussi de rappeler que le versement des prestations de la CAF est conditionné au fait d'être français ou d'être détenteur d’un titre de séjour en cours de validité", a rappelé la CNAF le 20 septembre 2024. 

D'ailleurs, l'expression même d'"immigré" n'a en soi "pas de sens", avait souligné Antoine Math, chercheur à l'Institut de recherches économiques et sociales (Ires - archive), à l'AFP en juillet 2024 dans un précédent article de vérification sur ce même sujet. 

En effet, le terme "d'immigré" s'applique à une personne née étrangère à l'étranger et venue s'installer en France pour un an au moins. Or, celle-ci peut très bien acquérir la nationalité française par la suite. Ainsi, "41% des immigrés étant français, c'est un contresens de les opposer aux Français", note ainsi le site gouvernemental Vie publique (archive).

"Un immigré pouvant être français, aucun texte ne peut lui refuser un droit au motif qu'il est immigré. De fait, l'article 1er de la Constitution de 1958 interdit de différencier les droits des citoyens selon leurs origines", précise-t-il. 

En tout état de cause, présenter le cas particulier d'une attestation de la CAF "pour faire une généralité sur les aides moyennes versées [aux immigrés, comme l'affirment à tort les publications virales en septembre, NDLR] est particulièrement trompeur", avait aussi souligné Antoine Math en juillet.

Cas particulier et primes versées une seule fois

La situation de la personne dont l'attestation circule sur les réseaux sociaux est un cas particulier, l'assurée ayant trois enfants à charge et un autre à naître. 

A noter que l'attestation comporte de plus la mention de primes qui ne sont versées qu'une fois.

La prime à la naissance, que l'on voit en 6e ligne des prestations versées récapitulées dans le document, est liée à l'arrivée d'un nouvel enfant. Elle est versée une seule fois, pour un montant de 1.066,30 euros. 

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Un nouveau-né tient la main de sa mère le 17 septembre 2013 à Lens (Pas-de-Calais) (AFP / PHILIPPE HUGUEN)

Le document est aussi daté du mois d'août 2024, un mois "particulier" du fait du versement de l'Allocation de rentrée scolaire, a souligné la CAF, une allocation versée sous conditions de ressources. Pour la rentrée 2024, elle était de 416,40 euros pour un enfant âgé de 6 à 10 ans, 439,38 euros par enfant âgé de 11 à 14 ans et de 454,60 euros par enfant âgé de 15 à 18 ans.

"Les autres prestations sont versées mensuellement, et adaptées aux éléments déclarés par l'allocataire", a précisé la CNAF.

La prime d'activité pour les travailleurs

L'attestation est par ailleurs bien celle d'une personne qui travaille. On voit en effet sur l'attestation une ligne "Prime d'activité majorée".

La prime d'activité est versée aux travailleurs, salariés ou pas, dont les ressources sont modestes, afin de les "inciter" à "exercer ou reprendre une activité professionnelle" et "soutenir leur pouvoir d'achat" (archive). Son montant est défini par un calcul intégrant un montant forfaitaire qui varie selon la composition du foyer et ses revenus professionnels. Il est majoré si l'assuré est un parent isolé avec des enfants à charge ou enceinte (archive).

Dans le cas présent, l'allocataire est "effectivement parent isolé, d'où la majoration des aides en tant que telle, et elle travaille depuis fin 2022, mais avec des salaires très modestes, d'où les compléments calculés en fonction de ses revenus", a précisé la CAF.

Elle perçoit ainsi, aussi, le Revenu de solidarité active majoré (RSA majoré).

Le RSA assure aux personnes sans ressources un niveau minimum de revenu qui varie là encore selon la composition du foyer (archive). "Il est ouvert, sous certaines conditions, aux personnes d'au moins 25 ans et aux jeunes actifs de 18 à 24 ans s'ils sont parents isolés ou justifient d’une certaine durée d'activité professionnelle", précise le site Service public.

La ligne complément familial concerne une prestation versée sous conditions de revenus aux personnes ayant au moins trois enfants tous âgés d'au moins 3 ans à charge (archive). Le montant de base est actuellement de 193,31 euros mensuels, celui majoré de 289,98 euros. 

Quant aux allocations familiales, elles sont versées aux personnes ayant au moins deux enfants de moins de 20 ans à charge (archive). Leur montant dépend là encore des ressources, du nombre d'enfants à charge et de leur âge. A compter de 2025,  la durée de présence en France nécessaire pour pouvoir prétendre à cette aide sera durcie, passant de six à neuf mois.

On voit aussi, en première ligne de l'attestation, la mention de l'Aide personnalisée au logement (APL), qui dépend du montant du loyer (jusqu'à un certain plafond), des ressources et de la taille du foyer (archive).

Un système redistributif qui permet de réduire le nombre de personnes pauvres en France

Cette attestation est donc celle d'une personne française qui travaille, dont la situation familiale et les revenus très modestes lui ouvrent des droits à des prestations.

En 2021, 9,1 millions de personnes étaient considérées comme "pauvres" en France, c'est-à-dire qu'elles avaient un niveau de vie inférieur à 60% du niveau de vie médian (soit 1.158 euros par mois pour une personne seule, 2.432 euros pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans), rappelle une étude publiée le 9 juillet 2024 par la Drees, le service statistiques des ministères sociaux (archive).

Les prestations sociales font partie du système de redistribution - via les aides sociales et la fiscalité directe - qui permet de réduire d'un tiers le nombre de personnes pauvres en France. Elle réduit aussi de moitié les inégalités entre les 20% les plus riches et les 20% les plus pauvres, toujours selon la Drees.

Les prestations sociales non-contributives, c'est-à-dire non liées à une cotisation antérieure, mais à une situation, représentaient en 2021 une part de 38% dans le revenu disponible des ménages pauvres. Tandis que les minima sociaux (revenu du solidarité active ou RSA, allocation aux adultes handicapés ou AAH, minimum vieillesse) représentaient 14% de ce même revenu disponible, les aides au logement 11%, les prestations familiales 10% et la prime d'activité 3%.

Les prestations sociales non-contributives et la fiscalité directe diminuent le taux de pauvreté d'un tiers : 14,5 % de la population métropolitaine est pauvre, contre 21,4% si ces prestations et les impôts directs n'existaient pas.

L'effet sur le taux de pauvreté est particulièrement marqué pour les familles monoparentales (-20 points), pour les familles nombreuses (-12 points pour les couples avec trois enfants), pour les moins de 20 ans (-11 points), pour les personnes handicapées (-10 points), pour les chômeurs (-12 points).

12.550 euros de prestations par habitant en moyenne par an

De manière plus générale, les prestations sociales s'élevaient en France en 2022 en moyenne à 12.550 euros annuels par habitant, dont 5.550 euros liés au "risque vieillesse survie" (retraites, minimum vieillesse, prévoyance…) et 4.700 euros liés à la santé, selon une étude de la Drees publiée en décembre 2023 (archive).

La France avait consacré 848,9 milliards d’euros à ces prestations en 2022, soit 32,2% de son produit intérieur brut (PIB). Pour la septième année consécutive, le pays occupait le premier rang européen devant l'Italie (29,6% du PIB) et l'Allemagne (29,2%).

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Capture d'écran, réalisée le 20 septembre 2024, d'une étude de la Drees sur la protection sociale en France et en Europe en 2022

Les autres prestations représentent des montants moindres, qu'elles soient liées à la famille (850 euros), l'emploi (700 euros), la pauvreté et l'exclusion (500 euros) ou le logement (250 euros), et ne représentent que 18% des dépenses en France, précise encore la Drees.

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