L'Afrique du Sud adopte des sanctions économiques envers les Etats-Unis ? C'est faux

Les relations entre les Etats-Unis et l'Afrique du Sud ont tourné au vinaigre début février : Donald Trump a fustigé une loi sud-africaine sur l'expropriation, qu'il juge discriminatoire contre la minorité blanche du pays, et signé en conséquence un décret présidentiel gelant toute aide à Pretoria. En réponse, l'Afrique du Sud aurait suspendu les activités des entreprises américaines installées sur son territoire et arrêté ses exportations de minéraux vers les Etats-Unis, prétendent des publications largement partagées sur les réseaux sociaux. Mais c'est faux : pour l'heure, l'Afrique du Sud n'a pris aucune mesure en ce sens, bien que ses dirigeants dénoncent une "campagne de désinformation et de propagande" orchestrée par les autorités américaines. 

Début février 2025, le nouveau président américain Donald Trump a annoncé le gel de toute aide en faveur de l'Afrique du Sud, considérant qu'une de ses lois récentes sur l’expropriation des terres est discriminatoire à l'égard de la minorité blanche du pays, et a proposé d'accueillir sur le sol américain des membres de la "minorité ethnique afrikaner", descendants des premiers colons européens.

La loi sur l'expropriation "permettra au gouvernement sud-africain de saisir les propriétés agricoles de la minorité ethnique des Afrikaners sans compensation", avait alors affirmé M. Trump, dénonçant des "pratiques injustes et immorales" à l'égard de cette minorité qui représente une bonne part des quelque 7% de Sud-Africains blancs.

Les autorités sud-africaines ont quant à elles démenti l'aspect discriminatoire de la loi et dénoncé, dans la foulée, une "campagne de désinformation et de propagande" portée par les responsables américains (lien archivé ici). 

Dans ce contexte diplomatique tendu, renforcé par la non-participation américaine au sommet du G20, présidé pour la première fois par le dirigeant sud-africain Cyril Ramaphosa, des publications relayées plusieurs milliers de fois sur les réseaux sociaux prétendent que l’Afrique du Sud a décidé, à son tour, d’adopter des sanctions économiques à l’égard des Etats-Unis.

"L'Afrique du Sud a officiellement suspendu toutes les entreprises américaines sur le territoire sud-africain et a cessé d'exporter des minéraux vers les États-Unis", soutiennent depuis la mi-février des publications au texte identique, à la fois sur Facebook et X (1,2,3,4...)

Deux images les accompagnent dans la plupart des cas : celle du président sud-africain Cyril Ramaphosa (ci-dessous à gauche) et celle du dirigeant américain Donald Trump (à droite). 

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Capture d'écran prise sur Facebook le 20 février 2025 / Croix rouge ajoutée par la rédaction de l'AFP

En français, ces posts sont principalement diffusés par des comptes administrés depuis le Cameroun, le Sénégal ou encore la République démocratique du Congo, mais aussi depuis la France, les Etats-Unis ou encore l’Italie. Les mêmes messages sont aussi largement partagés en anglais, sur Facebook, Instagram, TikTok et sur des blogs.

"Le gouvernement sud-africain a catherigoriquement [sic] fait comprendre à Trump que l'Amérique n'est rien sans minéraux d'Afrique et s'il pense que les africains ne sont rien d'autre que de simples mendiants, il devrait aller chercher des minéraux ailleurs parce que l'Afrique en a marre du respect flagrant et du mépris qu'ils reçoivent le monde occidental", ajoutent certaines publications, assurant que "les États-Unis réalisent plus de 25 milliards de dollars de bénéfices de l'Afrique du Sud chaque année".

En commentaires, de nombreux internautes se réjouissent de cette prétendue décision sud-africaine. Des dizaines de ressortissants africains vont jusqu'à appeler leurs dirigeants à suivre l’exemple.

Mais ils font fausse route : en réalité, pour l'heure, l’Afrique du Sud n’a pas mis en œuvre de telles sanctions. 

Une déclaration politique extrapolée 

Les publications virales que nous vérifions ont été mises en ligne sur les réseaux sociaux après une prise de parole du ministre sud-africain des ressources minérales et de l'énergie, Gwede Mantashe. 

Le 3 février dernier, un jour après l'annonce du gel de l'aide américaine à l'Afrique du Sud, l'homme politique a suggéré de suspendre les exportations de minerais vers les États-Unis lors d'un discours prononcé à l'occasion d'un sommet annuel intitulé "African Mining Indaba" (archivé ici).

"S'ils ne nous donnent pas d'argent, ne leur donnons pas de minerais", a-t-il dit. 

 

Cependant, à ce jour, l'Afrique du Sud n'a pas imposé de restrictions aux entreprises américaines opérant sur son sol, ni retenu les exportations de minerais vers les Etats-Unis. 

Sur X, le porte-parole de la présidence sud-africaine Vincent Magwenya a démenti ces rumeurs et assuré qu'il s'agit de "fausses informations" qui ne sont "pas vraies du tout", en réponse à un post qui les véhicule depuis le 17 février (lien archivé ici). 

Par ailleurs, le ministère sud-africain du commerce a confirmé le 18 février via WhatsApp à l'AFP que ces assertions sont fausses. 

De son côté, le Minerals Council South Africa, organisation patronale de l’industrie minière sud-africaine, a soutenu ne pas être informé de mesures gouvernementales ciblant les relations commerciales entre l'Afrique du Sud et les Etats-Unis. Le conseil "n'a pas été informé d'une quelconque interdiction d'exportation de minerais vers quelque pays que ce soit", a ainsi déclaré à l'AFP son porte-parole, Allan Seccombe.

Une telle décision aurait un impact significatif sur les relations commerciales entre les deux pays, l'Afrique du Sud étant le premier partenaire commercial des Etats-Unis en Afrique.

En effet, il s'agit du plus important exportateur des pays membres de l'AGOA (African Growth and Opportunity Act), un accord commercial qui permet à des milliers de produits provenant d'Afrique subsaharienne d'entrer sur le marché américain.

En 2024, le total des échanges commerciaux entre les États-Unis et l'Afrique du Sud s'élevait ainsi à 20,5 milliards de dollars, les exportations sud-africaines (14,7 milliards de dollars) représentant la majorité d'entre eux (archivé ici).

L'exploitation minière représente, en particulier, une part importante des exportations de l'Afrique du Sud (archivé ici).

Selon le ministre Gwede Mantashe, le pays possède 37% des réserves mondiales de minerai de manganèse (un métal extrait de gisements principalement destiné à la fabrication d’alliages comme l'acier ou la fonte), dont seulement 2% sont transformés dans le pays (archivé ici).

L'Afrique du Sud détient également plus de 90% des réserves mondiales de métaux du groupe du platine, des éléments parmi les plus rares de l'écorce terrestre, et est à l'origine de 75% de leur approvisionnement dans le monde.

Pas de changement

Les posts diffusés sur les réseaux sociaux prétendent également que le gouvernement de Cyril Ramaphosa a suspendu les activités des quelque 600 entreprises américaines installées en Afrique du Sud, d'après les chiffres publiés sur le site de l'ambassade américaine du pays (lien archivé ici). 

L'AFP a cherché à retrouver la trace de cette prétendue mesure, dans la presse nationale et internationale, mais aucun média crédible n'en fait état. 

Contactée par l'AFP le 18 février, la responsable de la chambre de commerce américaine en Afrique du Sud a affirmé qu'il ne "s'agit pas d'une déclaration officielle du gouvernement sud-africain". 

Tout comme le géant de l'industrie minière Anglo-American, qui investit depuis un siècle en Afrique du Sud, qui a déclaré à l'AFP ne "pas être au courant de telles allégations". 

La société a ajouté qu'elle était cependant "préoccupée par le niveau de désinformation visant la loi sur l'expropriation" et qu'elle "suivait de près l'évolution des relations diplomatiques entre l'Afrique du Sud et les États-Unis".

Majorité des terres détenues par la minorité blanche

La présence dans l'équipe de Trump du milliardaire américain Elon Musk, qui a grandi en Afrique du Sud sous l'apartheid et dénonce une loi foncière "ouvertement raciste", augure de turbulences avec le premier partenaire commercial des Etats-Unis en Afrique, ont souligné des experts auprès de l'AFP, alors que les échanges entre les deux pays ont pris une tournure acerbe. 

La querelle a démarré avec des déclarations de Donald Trump accusant l'Afrique du Sud de vouloir procéder, comme au Zimbabwe dans les années 2000, à une confiscation des terres appartenant aux fermiers blancs.  Il a affirmé que l'Afrique du Sud traitait "TRES MAL certaines catégories de personnes", en référence à une récente loi sur l'expropriation décriée par une frange des propriétaires fonciers blancs, et qu'en conséquence il couperait "tout financement" à destination du pays.

La loi promulguée le 23 janvier 2025 par le président sud-africain Cyril Ramaphosa remplace un texte de 1975 et encadre les expropriations, notamment dans le cadre de grands chantiers d'infrastructures (construction d'écoles, de ponts, etc.). Elle exige une compensation financière des anciens propriétaires, sauf dans certaines circonstances exceptionnelles, où cela serait "juste et équitable".

De l'avis de la plupart des juristes, cette loi clarifie le cadre juridique des expropriations, sans nouveauté sur le fond. Cependant elle cristallise les peurs d'une petite partie de la minorité blanche - notamment des Afrikaners -, qui représente environ 7% de la population sud-africaine mais possédait 72% des terres agricoles en 2017, selon des chiffres du gouvernement. L'héritage d'une politique d'expropriation de la population noire pendant la colonisation puis l'apartheid, que des lois votées depuis 1994 visent à réviser.

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Des Sud-Africains blancs soutiennent le président américain Donald Trump devant l'ambassade américaine à Pretoria, le 15 février 2025 (AFP / MARCO LONGARI)

Du côté des aides américaines, le président Ramaphosa a précisé que l'Afrique du Sud ne recevait aucun autre financement des États-Unis que le Pepfar, le programme USAID de lutte contre le Sida, qui finance 17% du programme de lutte contre le VIH/Sida dans le pays.

Mais ce fonds lancé en 2003 était déjà suspendu depuis fin janvier, lorsque le nouveau président américain Donald Trump a gelé la plupart des programmes d'aide étrangère pour une durée de 90 jours. 

La suspension de cette aide pendant dix ans pourrait entraîner la mort de plus d'un demi-million de personnes supplémentaires touchées par le sida, a mis en garde fin février la chercheuse Linda-Gail Bekker, directrice de la Fondation Desmond Tutu.

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