Suppression de TikTok en France ? attention à ces rumeurs infondées
- Publié le 22 janvier 2025 à 12:13
- Lecture : 5 min
- Par : LUCIE DE PERTHUIS, AFP France
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Aux Etats-Unis, le Congrès a voté en 2024 une loi prévoyant de suspendre l'accès à TikTok -détenu par le groupe chinois ByteDance- sur le sol américain. Une décision justifiée, selon les Etats-Unis, par la nécessité d'empêcher les autorités chinoises d'accéder aux données d'utilisateurs américains ou de manipuler l'opinion.
Dès son entrée en fonction, le 20 janvier, Donald Trump a néanmoins signé un décret suspendant l'application de cette loi pendant 75 jours (lien archivé).
L'interdiction du réseau social, qui compte 170 millions d'utilisateurs aux Etats-Unis, a été largement commentée, et a suscité les craintes des internautes français. Sur TikTok, certains d'entre eux assurant même que l'application s'apprêtait à être interdite en France, où l'on compte 24,7 millions d'utilisateurs mensuels.
"Je ne sais pas comment je vais pouvoir faire pour mes revenus (...) On vit de ça nous !" , s'inquiète un internaute dans une vidéo, assurant que l'application ne sera plus accessible en France au mois de juin 2025.
Cet autre Tiktokeur suivi par 2,4 millions de personnes explique dans une vidéo visionnée plus de 400.000 fois en moins de deux jours que TikTok sera supprimé en France dès le 25 janvier. Il s'appuie sur la capture d'écran d'un message présenté à tort comme partagé par le réseau, sur lequel on peut lire : "Nous regrettons qu'une interdiction française supprime TikTok entre en vigueur le 25 janvier, ce qui nous oblige à rendre temporairement nos services indisponibles".
Ce message, qui aurait été envoyé "à tous les comptes certifiés TikTok", est également partagé dans la vidéo de cette internaute, visionnée plus de 86.000 fois en un peu plus de 24 heures.
Une rumeur "totalement fausse", selon TikTok
Contactées par l'AFP le 20 janvier, les équipes de TikTok en France assurent qu'aucun message de ce type n'a été envoyé par l'application, et qu'il s'agit d'une fausse notification, usurpant le logo du rédeau.
La syntaxe hasardeuse du message et sa piètre qualité visuelle peuvent laisser penser qu'il n'a pas été rédigé par les équipes du réseau social.
Croix rouges ajoutées par l'AFP
TikTok France assure que cette rumeur d'interdiction en France est "totalement fausse". "On continue d'opérer tout à fait normalement en France", assure la branche française de la plateforme.
Comme souvent, ces fausses informations sont probablement diffusées par des internautes dans l'objectif de générer de l'engagement, c'est-à-dire des interactions avec les usagers. L'AFP s'est déjà penchée sur ce procédé dans ce précédent article.
Elles ont en tout cas eu pour effet de faire bondir les téléchargements d'une autre application chinoise, Xiaohongshu, surnommée RedNote. Le 21 janvier, l'application se classait en tête des téléchargements sur l'App Store d'Apple, et en troisième position sur Google Play.
"Téléchargez cette nouvelle application que tout le monde utilise, jusqu'à maintenant, c'était pour les Chinois,(...) si jamais ça saute en France au moins on aura de quoi se réfugier", explique une internaute sur TikTok, conseillant à ses abonnés de s'inscrire sur RedNote.
De nombreux utilisateurs américains de TikTok avaient aussi annoncé leur départ vers Xiaohongshu lors de la suppression du réseau social sur le sol américain (lien archivé).
L'application face à la règlementation européenne
La gouvernement français pourrait-il interdire TikTok en France ? "Pas en l'état", estime Maître Lazarègue, avocat spécialisé en droit du numérique, interrogé par l'AFP le 21 janvier.
L'entreprise doit respecter les règles françaises et européennes, au risque d'être sanctionnée par des amendes, émanant par exemple de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), ou de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
"En France et dans l'Union européenne, la liberté de commerce et d'industrie est un principe fondamental", détaille l'avocat, qui estime que le gouvernement ne pourrait pas décider de mettre un terme à l'activité commerciale d'une entreprise sans "démonstration d'un danger manifeste pour la sécurité intérieure".
L'application avait par exemple été suspendue temporairement en Nouvelle-Calédonie en mai 2024, pendant les épisodes d'émeutes. Le gouvernement français avait estimé que la plateforme jouait un rôle dans les violences qui touchaient l'archipel.
S'appuyant sur "la théorie des circonstances exceptionnelles" (lien archivé), l'exécutif s'inquiétait également d'un risque d'ingérence étrangère, dans un contexte d'état d'urgence (lien archivé). Malgré un recours, la décision n'avait pas été suspendue par le Conseil d'Etat (lien archivé).
Une suspension temporaire de TikTok pourrait être prise à l'échelle de l'Union européenne (UE), si les Etats membres venaient à considérer que l'application ne respecte pas la réglementation européenne, plus particulièrement le Digital Services Act (lien archivé), adoptée en 2022.
L'article 52 du règlement prévoit des sanctions en cas de non-respect des règles européennes, notamment des amendes pouvant aller jusqu'à 6% du chiffre d'affaires mondial des plateformes.
Le texte dispose qu'en cas d'infractions "particulièrement graves et persistantes", des restrictions d'accès peuvent être prises. Il est précisé qu'une telle injonction "ne devra pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi", et qu'elle devra donc être "temporaire".
Une sanction qui n'a jamais été prononcée jusqu'ici. "On est très loin de cette hypothèse", juge Maître Lazarègue.
TikTok dans le viseur de plusieurs pays
D'autres pays dans le monde, comme l'Albanie, ont pris des mesures contre le réseau social au milliard d'utilisateurs. C'est par exemple le cas de l'Albanie, où l'accès à TikTok est suspendu depuis le début du mois de janvier, pour une durée d'au moins un an.
La décision a été prise quelques semaines après qu'un élève de 14 ans a été tué et un autre blessé lors d'une rixe près d'une école de la capitale Tirana, intervenue après un conflit sur les réseaux sociaux.
En décembre 2024, la Commission européenne a annoncé l'ouverture d'une enquête sur les systèmes de recommandation de TikTok, soupçonnés d'avoir été utilisés pour une "manipulation coordonnée" de l'élection présidentielle en Roumanie un mois plus tôt.
Le candidat d'extrême droite Calin Georgescu, arrivé à la surprise générale en tête du premier tour, a été accusé par les autorités roumaines d'avoir bénéficié d'une campagne de soutien illicite orchestrée par Moscou, notamment sur TikTok.
Par ailleurs, les institutions de l'Union européenne ou encore le gouvernement britannique ont eux interdit le téléchargement et l'utilisation de TikTok sur les appareils professionnels de leurs employés en 2023 (lien archivé).