Non, cette vidéo n'est pas une mise en scène d'un Syrien visant à ternir l'image de Bachar al-Assad
- Publié le 17 décembre 2024 à 16:07
- Lecture : 8 min
- Par : Dounia MAHIEDDINE, AFP France
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Les rebelles dirigés par le groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Sham (HTS) ont pris le pouvoir le 8 décembre, chassant l'ancien président Bachar al-Assad, dont la famille a dirigé la Syrie d'une main de fer pendant plus de cinq décennies.
Depuis, de nombreuses images de prisonniers torturés et des témoignages sur la répression mise en place par les anciens dirigeants du pays sont relayées dans les médias et sur les réseaux sociaux.
Des internautes mettent toutefois en doute la véracité de certains de ces témoignages, notamment en partageant une vidéo présentée comme une mise en scène de la part d'un Syrien qui prétendrait, à tort, avoir été blessé par le pouvoir en place sous Bachar al-Assad.
"Une 'victime' du 'régime sanglant' d’Assad a oublié sur quelle jambe boiter devant les caméras. Un 'coup de pouce magique' sous la forme d’une tape à l’arrière de la tête était nécessaire en guise de rappel", ironise le texte accompagnant cette vidéo partagée des centaines de fois sur X le 15 décembre 2024.
"Quel cirque", "ils vont (jusqu'à) inventer des victimes pour ternir l’image d'Assad", une "propagande qui a mal fonctionné": réagissent de nombreux internautes en commentaire.
Dans la vidéo d'une dizaine de secondes, un homme sort d'un taxi avec la jambe droite plâtrée. Le prétendu blessé s'appuie sur sa jambe blessée avant qu’un autre homme, qui l’assiste, ne lui donne une tape derrière la tête pour lui indiquer de changer de jambe.
Le même extrait a été relayé dans d'autres langues, parmi lesquelles l'anglais, l'espagnol, le chinois et l'italien.
Mais contrairement à ce que soutiennent certains internautes, ces images ne visent pas à amplifier la réalité des exactions en Syrie.
Une vidéo humoristique
Pour déterminer le lieu du tournage, nous avons effectué une recherche inversée d'images sur la vidéo. Elle permet d'obtenir une version plus nette où l'on distingue un numéro de téléphone et la mention "x_Hayder_r" inscrit sur la vitre du taxi. En effectuant une recherche Google avec ces informations, on découvre le compte Instagram de la personne qui a initialement partagé la vidéo.
Dans sa biographie, cet internaute mentionne qu'il possède un magasin dans le quartier d'al-Kadhimiya à Bagdad, à proximité d'une caserne de pompiers. On arrive également à percevoir en arabe des noms de restaurants en arrière-plan de la vidéo. L'application Google Lens sur téléphone nous aide à traduire le mot "falafel" sur l'une des devantures.
En cherchant sur Google Earth Pro des restaurants de falafels dans le quartier d'al-Kadhimiya à Bagdad, on parvient à retrouver le lieu exact. La vidéo a donc été tournée à Bagdad.
Une infox récurrente
Une recherche a également permis d'établir que cette même vidéo avait déjà été relayée de manière trompeuse par des internautes, qui prétendaient dans d'autres publications que l'homme plâtré était un acteur palestinien essayant de se faire passer pour un blessé dans le cadre de la guerre dans la bande de Gaza.
"Encore un Pallywood ! Un acteur de Gaza se fait passer pour une ‘victime’, mais utilise accidentellement le mauvais pied en boitant avec un pied supposé cassé. C'est ce qu'ils appellent (un) génocide !", écrit par exemple un utilisateur de X le 13 décembre.
Face à la viralité des publications, l’auteur de la vidéo a toutefois publié un démenti, assurant qu'elle avait été filmée à Bagdad et surtout qu'elle était humoristique, sans lien avec la situation dans d'autres pays.
"Cette vidéo a été filmée en Irak, à Bagdad, plus précisément dans le quartier d’al-Kadhimiya", déclare en arabe l’utilisateur x_Hayder_r sur Instagram. "La vidéo a été vue 25 millions de fois. Une vidéo humoristique que vous attribuez aux jeunes Palestiniens et que vous présentez comme étant à Gaza. Quel rapport avec Gaza, dites-moi ?", ajoute-t-il.
Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, le 7 octobre, des vidéos ou photos sont sorties de leur contexte et présentées à tort comme des éléments de propagande destinés à émouvoir l’opinion publique. Certains internautes affirment dénoncer, sur les réseaux sociaux, de prétendues mises en scène de Palestiniens cherchant à exagérer leurs pertes humaines, une accusation souvent accompagnée du terme "Pallywood", contraction de Palestine et Hollywood.
Les factcheckers de l'AFP ont démenti de nombreuses affirmations assorties de photos détournées car prises à d'autres moments, dans d'autres lieux. Parmi les plus virales : des corps enveloppés dans des linceuls lors d'une manifestation au Caire en 2013, un enfant déguisé pour Halloween en Thaïlande, de jeunes hommes en portant un autre pour braver un couvre-feu en Jordanie, un corps d'enfant en état de rigidité cadavérique, un entraînement médical en 2017 ou encore des photos d'une fillette sauvée de décombres d'un bombardement et passant de bras en bras.