Un homme boit une bière à la « Maison des combattants » à côté du marché central à N'Djamena, capitale du Tchad, le 5 décembre 2024 ( AFP / JORIS BOLOMEY)

Retrait militaire français du Tchad : attention à ces messages faux ou trompeurs

A la grande surprise de Paris, le Tchad a décidé de rompre fin novembre ses accords de défense signés avec la France, après plus de soixante ans de coopération militaire. Dans ce contexte, plusieurs messages trompeurs ou faux circulent sur les réseaux sociaux, principalement portés par des comptes basés en Afrique de l'Ouest. Certains prétendent dévoiler la carte des "neufs bases militaires françaises" au Tchad, alors que le pays n'en compte que trois. D'autres soupçonnent la France et ses opérateurs téléphoniques d'être responsables de récentes coupures de réseau internet au Tchad. En réalité, aucun fournisseur français n'y opère actuellement, et n'est donc en mesure de couper le réseau.

Le Tchad a annoncé dans un communiqué de presse publié le 28 novembre sur Facebook mettre fin aux accords de sécurité et de défense signés avec la France en 2019,  hérités de textes issus de la décolonisation (lien archivé ici). 

Depuis, des avions de chasse français, qui par le passé sont souvent intervenus en appui au pouvoir tchadien, ont quitté N'Djamena le 10 décembre 2024. Le départ de ces Mirage constitue la première étape du retrait historique de l'armée française du Tchad (lien archivé ici). 

Ce pays d'Afrique centrale était le dernier à abriter des forces françaises au Sahel, où le désamour pour la France grandit ces dernières années, alors que la Russie y gagne du terrain.

Dans ce contexte, plusieurs messages trompeurs ou faux sont relayés sur les réseaux sociaux depuis début décembre, en particulier par des comptes basés dans les pays de l'Alliance des Etats du Sahel (AES) -- Mali, Niger, Burkina Faso --, dont les juntes au pouvoir ont toutes tourné le dos à la France.

Neuf bases militaires françaises au Tchad ? Non, le pays en compte trois

"Carte des bases militaires français (sic) au Tchad", prétendent par exemple dévoiler une dizaine de publications diffusées sur Facebook et X (1,2...) depuis le premier décembre, soit trois jours après l'annonce de rupture des accords militaires entre la France et le Tchad. 

Sur ce document, neuf localités sont présentées comme des "bases militaires" abritant des forces armées françaises.

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Capture d'écran prise sur Facebook le 12 décembre 2024 / Croix orange ajoutée par la rédaction de l'AFP

Cependant, cette carte - que l'AFP n'a retrouvée sur aucun site officiel des autorités tchadiennes ni françaises - est trompeuse : elle exagère largement le nombre de sites militaires français installés au Tchad. 

Selon l’état-major des Armées français, la France compte près de 1.000 militaires au Tchad, répartis sur trois implantations : à N’Djamena (camp Kossei), à Abéché et à Faya Largeau.

"Il n'y a que trois emprises militaires françaises au Tchad", a confirmé à l'AFP le 12 décembre Thierry Vircoulon, chercheur associé à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) (lien archivé ici). "La principale se trouve à N’Djamena", la capitale tchadienne, ajoute-t-il. 

Une autre carte représentant les mêmes "neuf bases françaises", prétendument implantées au Tchad, avait déjà circulé sur les réseaux sociaux en mai 2022.  "Plus de 12.000 soldats français ont pris le Tchad en otage", avançait alors l'auteur de la publication sur Facebook, surestimant là aussi de loin les effectifs réellement déployés dans le pays à l'époque.

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Capture d'écran prise sur Facebook le 13 décembre 2024 / Croix orange ajoutée par la rédaction de l'AFP

Début 2022, avant la fin de l'opération antijihadiste Barkhane, la France comptait en effet environ 5.000 militaires au Sahel, outre quelque 1.600 forces prépositionnées en Afrique de l'Ouest et au Gabon. Mais cette présence militaire a depuis grandement reculé dans la région.

Entre 2022 et 2023, quatre anciennes colonies françaises avaient déjà enjoint Paris à se retirer de ces pays où l'armée française était historiquement implantée : le Niger, le Mali, la Centrafrique et le Burkina Faso. 

Fin novembre 2024, le Sénégal puis le Tchad ont signifié coup sur coup leur volonté d'infléchir leur coopération miliaire avec la France. 

Ces deux annonces surprises surviennent alors que Paris prévoyait de son côté d’abaisser drastiquement sa présence militaire en Afrique de l'Ouest et centrale, dans le cadre de partenariats "rénovés" et plus discrets annoncés par Emmanuel Macron.

Les effectifs militaires français sont ainsi en train de diminuer en Côte d'Ivoire, au Sénégal et au Gabon. La base française de Djibouti, qui accueille 1.500 militaires français, n'est pour sa part pas concernée par cette réduction de voilure historique. 

La France demande à ses "multinationales de téléphonie mobile" de "couper internet" au Tchad ? C'est impossible

Une autre infox circule sur les réseaux sociaux depuis le début du mois de décembre.

Après la rupture des accords militaires avec la France, de nombreux Tchadiens ont affiché leur soutien à cette décision sur les réseaux sociaux puis, pour quelques centaines, en défilant dans les rues de la capitale N'Djamena, le 6 décembre. Plusieurs publications (1,2,...) accusent la France d'avoir demandé à ses opérateurs de téléphonie de couper le réseau au Tchad, en vue d'endiguer de potentielles manifestations.

"Tchad : la France a demandé à ses multinationales de téléphonie mobile de couper l’internet sur l’ensemble du territoire pour faire barrière à la mobilisation contre la France", affirmait ainsi le 1er décembre une publication Facebook, partagée des dizaines de fois. 

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Capture d'écran prise sur Facebook le 12 décembre 2024 / Croix rouge ajoutée par la rédaction de l'AFP

Depuis la fin du mois de novembre, plusieurs coupures internet ont effectivement eu lieu, comme fréquemment dans le pays. Une coupure en particulier a affecté l’ensemble du territoire tchadien le 30 novembre, soit deux jours après l'annonce de la rupture des accords militaires avec la France. 

Pour autant, cette coupure ou d'autres n'ont pu être commanditées par la France en passant par ses "multinationales de téléphonie mobile", tout simplement car aucune entreprise de télécommunication française n'opère au Tchad.

Les listes des opérateurs de téléphonie et des fournisseurs internet autorisés sur le territoire (liens archivés ici et ici) sont disponibles sur le site de l'autorité tchadienne des communications électroniques et des postes (ARCEP). Aucune entreprise française n'y figure. On peut en revanche y voir cités les principaux fournisseurs : Airtel (filiale du groupe indien Bharti Airtel), Tigo et le groupe Sotel Tchad (opérateur public tchadien).

Contactée par l'AFP pour savoir si ces listes étaient exhaustives, l'ARCEP n'avait pas répondu aux sollicitations à la date de publication de cet article. 

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Un manifestant tient une pancarte sur laquelle on peut lire « Bey-Bey France Tchad hourra » lors d'une manifestation anti-France à N'djamena le 6 décembre 2024 (AFP / DENIS SASSOU GUEIPEUR)

L'AFP a alors interrogé les principales entreprises françaises de télécommunication : SFR, Bouygues Telecom, Free et Orange. Les quatre opérateurs ont assuré ne pas être actuellement présents au Tchad

"Dans chaque pays où nous sommes opérateur de réseau, nous opérons sous licence et donc sommes soumis à la loi et aux réglementations en vigueur dans ce pays. Il serait impensable de couper l'acess [l'accès, ndlr] dans un pays à la demande d'un autre pays: nous perdrions immédiatement notre licence et tout crédibilité en tant qu'opérateur", a par ailleurs expliqué à l'AFP le service communication d'Orange, le 12 décembre. 

Le correspondant de l'AFP au Tchad a lui aussi confirmé qu'aucune entreprise de téléphonie française n'y opérait. 

Selon le média TchadInfos, la coupure du 30 novembre était due à "une rupture de câble de fibre optique à N’Djamena, imputable à des travaux de construction routière", citant comme source Safitel Chad, principal gestionnaire de la fibre optique. 

Plusieurs médias expliquent que les coupures de réseau sont généralement dues à l'instabilité de l’infrastructure de fibre optique. Le Tchad, pays enclavé, doit en effet compter sur les infrastructures de ses voisins pour accéder aux câbles sous-marins internationaux. Pour limiter sa dépendance et maintenir le service en cas d'indisponibilité des réseaux terrestres, le pays compte sur la solution satellitaire de Starlink. La société américaine a été autorisée mi-novembre à s'y déployer, s'est réjoui son patron Elon Musk sur X (publication en anglais)

Outre de réels problèmes techniques, l'accès à Internet et aux réseaux sociaux a parfois été coupé par les opérateurs locaux à la demande du gouvernement tchadien. "Depuis plusieurs années", les autorités tchadiennes "procèdent à des restrictions volontaires d’Internet lors de mobilisations de voix critiques", qui représenteraient en cumulé "deux ans et demi de coupures ou perturbations de l’Internet depuis 2016", affirmait ainsi en 2021 l'ONG Amnesty International

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