( AFP / MARTIN BERNETTI)

De la crème solaire tous les jours : attention à cette mode prônée par des influenceurs

Appliquer de la crème solaire en cas d'exposition au soleil est primordial pour diminuer les risques de cancers de la peau. Ces dernières années, de nombreux influenceurs, marques, voire professionnels recommandent d'en appliquer tous les jours. Cependant, une application quotidienne n'est en réalité pas vraiment utile, affirment les experts interrogés par l'AFP. Surtout, cela peut se révéler néfaste pour des peaux fragiles et reste avant tout un argument marketing.

"Je ne le répéterai jamais assez, l'étape la plus importante de la skincare [soins de la peau, NDLR] routine, c'est la crème solaire." "Ceci est votre rappel de mettre de la crème solaire tous les jours, même s'il fait moche." "La crème solaire au quotidien, c'est le meilleur anti-âge possible."

Sur les réseaux sociaux, les injonctions à appliquer de la crème solaire quotidiennement se multiplient, poussées par les conseils prodigués par de nombreux influenceurs ici, ici ou ici - souvent lors de collaborations commerciales.

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Capture d'écran d'une publication sur TikTok, réalisée le 17/12/2024.
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Capture d'écran d'une publication sur TikTok, réalisée le 17/12/2024. (Chloé RABS)

Protection contre les UV, remède anti-rides, ou gage d'élasticité de la peau : les bénéfices promis sont nombreux alors que l'exposition au soleil est le principal responsable des cancers de la peau.

Attention cependant, une application quotidienne n'est pas indispensable, expliquent des experts interrogés par l'AFP. Au mieux inutile, elle peut se révéler néfaste pour des peaux fragiles et reste avant tout un argument marketing.

Regarder l'index UV

Selon Santé Publique France, les cancers de la peau pourraient constituer le cancer le plus fréquent en France (lien archivé ici). Chaque année, entre 141.200 et 243.500 cas sont diagnostiqués.

Dans plus de 85% des cas, ils sont attribuables à "une exposition excessive aux ultraviolets (UV) naturels ou artificiels" et peuvent être évités "grâce à une exposition raisonnée".

Pour rappel, la quasi-totalité des rayons UV qui atteignent la surface de la Terre - 95% - sont des UVA. Ce sont eux qui pénètrent le plus profondément la peau et qui accélèrent son vieillissement.

Les UVB (5%) ne pénètrent que l'épiderme mais sont plus dommageables que les UVA. Ils sont responsables des coups de soleil et - à long terme - ils peuvent provoquer la formation de cancers de la peau, particulièrement les mélanomes.

Quant aux UVC, ils sont généralement absorbés par la couche d'ozone, et n'atteignent pas la surface de la terre.

L'index UV permet de mesurer la puissance du rayonnement ultraviolet, ainsi que le risque qu'il représente pour la santé. Plus il est élevé, plus les expositions fréquentes et prolongées sont dangereuses. 

Est-il pour autant nécessaire d'appliquer une crème solaire tout au long de l'année comme le prônent les influenceurs sur les réseaux ? Non, répondent à l'AFP les professionnels interrogés.

Lorsque l'indice UV est compris entre 3 et 7, Santé Publique France recommande d'appliquer une crème de protection solaire au minimum d’indice SPF 30+ (lien archivé ici).

En dessous, "ce n'est absolument pas nécessaire", affirme Céline Couteau (lien archivé ici), docteure en pharmacie, spécialiste en cosmétologie, et co-créatrice du blog "Regard sur les cosmétiques" (lien archivé ici).

"C'est l'indice UV qu'il faut regarder tous les jours et prendre en compte. A Nantes, aujourd'hui [le 11 décembre, NDLR], il est de 1. Le 12 décembre, il sera à 0. On est sur des indices UV qui sont microscopiques. Il n'est donc pas vraiment utile de se protéger contre une menace qui n'existe pas", soutient la chercheuse à la faculté de pharmacie de Nantes.

Ainsi, pour la prévention des cancers cutanés, "ça n'a pas d'intérêt de mettre de crème solaire en période hivernale, si on n'est pas exposé au soleil", rejoint Christophe Bedane, professeur de dermatologie au CHU de Dijon et membre de la Société française de dermatologie (lien archivé ici).

Et même s'il a été prouvé que l'application très régulière d'un écran solaire diminue le vieillissement cutané, de la même façon que pour la prévention des cancers, "cela n'est vrai que si l'on s'expose au soleil", précise Céline Couteau.

"On ne passe pas tous la journée dehors comme les agriculteurs, mais bien souvent enfermé ou derrière un écran d'ordinateur. Dans ce cas, le vieillissement de la peau ne va pas être lié aux UV et appliquer une protection solaire n'est donc pas non plus utile", détaille-t-elle.

"Appliquer de la crème solaire peut très probablement avoir un effet bénéfique en termes de vieillissement de la peau, mais de là à en mettre pour des expositions minimes et sans risque, c'est peut-être exagéré", explique à l'AFP Jean-David Zeitoun, docteur en médecine et docteur en épidémiologie clinique (lien archivé ici).

Des potentiels effets néfastes pour la peau

Et pour voir un réel effet bénéfique dans ce domaine, il faut utiliser une crème solaire "étendue dans l'UVA", ajoute Christophe Bedane, "sachant que cela nécessite d'avoir des produits qui sont assez chargés en filtres, avec les problématiques qui en découlent".

En effet, les personnes faisant la promotion d'une application quotidienne de crème solaire omettent souvent de mentionner les potentiels effets néfastes sur la peau et sur la santé de la pénétration des filtres solaires.

Au-delà des risques d'intolérance, d'irritation ou d'allergie, "certains filtres utilisés sont par ailleurs suspectés d'être des perturbateurs endocriniens, voire cancérigènes", développe Céline Couteau.

Il existe deux types de crèmes solaires : celles à filtres dits "organiques" ou "chimiques", et celles à filtres dits "minéraux" ou "inorganiques". Les premiers vont absorber et neutraliser les rayons UV, tandis que les seconds réfléchissent les UV. 

Ces dernières années, des substances chimiques comme l'oxybenzone et l'octocrylène ont suscité des inquiétudes, menant la Commission européenne a modifié leurs limites maximum de concentration, comme expliqué dans cet article de l'AFP.

"On en retrouve donc de moins en moins dans les produits du commerce en Europe, mais il y en a beaucoup plus dans les produits vendus aux Etats-Unis ou en Asie par exemple, donc là, il faut faire un peu plus attention", signale le dermatologue Christophe Bedane.

"Le problème est qu'on ne connait pas les effets sur la santé d'une exposition quotidienne car on manque de données. On ne sait pas si le fait d'appliquer de la crème solaire en plus de ce qui est indispensable - pendant l'exposition estivale, aux heures importantes, pour les jeunes enfants, etc - est contrebalancé ou non par les effets hormonaux et environnementaux liés aux produits chimiques contenus dans ces produits. Les données dont on dispose sont trop lacunaires pour que l'on puisse peser de façon véritablement arithmétique un risque contre un autre", déplore Jean-David Zeitoun.

Ces substances peuvent en effet être très nocives pour l'environnement également. Depuis 2021, Hawaï interdit ainsi les produits solaires contenant de l'oxybenzone et l'octinoxate, qui sont également suspectés d'entraîner le blanchissement du corail.

"Il y a déjà énormément de filtres UV 'cachés" dans nos cosmétiques, pour protéger la couleur d'un gel douche par exemple. Et cela constitue une importante source de pollution pour l'environnement", avertit la chercheuse Céline Couteau.

Lorsque l'on s'expose au soleil, "il n'y a pas de questions à se poser, il faut obligatoirement utiliser de la crème solaire", rappelle Céline Couteau, "mais quotidiennement, absolument pas".

"Avec ces injonctions, on est vraiment dans une logique de société de consommation, avec des industries qui cherchent à en faire un argument de vente.

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Un étudiant en pharmacie de l'Université du Costa Rica teste la crème solaire Kapi dans un laboratoire à San José, le 09 janvier 2018. (AFP / EZEQUIEL BECERRA)

Des produits de beauté avec SPF

Depuis plusieurs années, cette tendance s'est même invitée plus largement dans tous les produits cosmétiques.

Crème hydratante, BB ou CC crème, fond de teint, poudre, blush... presque tous promettent désormais une protection solaire et affichent ainsi un facteur de protection solaire, FPS (ou SPF en anglais pour "sun protection factor").

"C'est un réel enjeu pour le secteur industriel de la cosmétique. De plus en plus de marques se positionnent sur ce marché et proposent des produits qui ne sont pas à priori des protections solaires, mais qui contiennent plus souvent des filtres solaires", commente auprès de l'AFP Erwan Poivet, conseiller scientifique à la Fédération des entreprises de la beauté (FEBEA).

Attention, ces produits ne peuvent pas être considérés comme de réelles protections solaires. 

"Il s'agit surtout d'un effet esthétique dans le sens où les UV entraînent un vieillissement de la peau en détruisant le collagène ce qui entraîne une perte d'élasticité de la peau et l'apparition de rides. L'intérêt du SPF dans ce genre de produits, c'est uniquement de vous promettre de garder une peau jeune", souligne Erwan Poivet. 

Problème : les professionnels interrogés redoutent que ces produits ne brouillent les consommateurs.

"C'est beaucoup de marketing mais le risque est que cela induise en erreur des personnes qui s'imaginent que cela est suffisant pour être protégé", relève Christophe Bedane.

"Quand l'été arrive, les gens peuvent se dire que s'ils mettent déjà une crème hydratante ou un fond de teint avec SPF, alors ils n'ont pas besoin d'appliquer de crème solaire. C'est plus agréable, moins collant, donc très tentant. Mais ce sont des produits que l'on applique que en petite quantité et que l'on ne réapplique pas au cours de la journée. Alors qu'une crème solaire doit être appliquée en couche épaisse et toutes les deux heures pour être efficace. C'est vraiment le mauvais message qui risque de passer", alerte Céline Couteau.

Rééduquer les consommateurs

Dans le cadre de la révision en cours de la recommandation de l'UE aux industriels "sur les allégations de sécurité et d'efficacité" de ces produits qui date de 2006, l'Agence nationale de sécurité sanitaire, l'Anses, a d'ailleurs préconisé de supprimer de l'emballage des produits cosmétiques intégrant un filtre UV toute mention d'une protection solaire, comme expliqué dans cet article de l'AFP.

"Ces produits dits 'de protection solaire secondaires' peuvent apporter de la confusion quant à leur niveau de protection vis à vis des risques associés à une exposition aux UV", estime l'Anses (lien archivé ici).

"Ce produit est appliqué une fois par jour, généralement le matin, avec une quantité appliquée plus faible (en particulier dans le cas de l’application d’un maquillage sous forme de poudre). Au contraire, un produit de protection solaire nécessite l’application d’une quantité suffisante et une ré-application dans la journée pour être pleinement efficace", développe l'Anses, et rejoignant les propos de Céline Couteau.

Pour Erwan Poivet, la mention SPF reste nécessaire mais demande effectivement plus d'explications. 

"L'enjeu de cette nouvelle recommandation est de préciser que chaque produit les conditions d'utilisation. Il faut bien dire que ces produits ne vous garantissent pas une protection pour la plage, mais plutôt pour un repas en terrasse. Il faut qu'un scénario d'utilisation soit défini sur le packaging afin de mieux accompagner le consommateur dans sa compréhension du produit", soutient-il.

Quant aux crèmes solaires, l'Anses recommande de simplifier l'étiquetage en ne conservant que trois catégories de protection : "faible, moyenne ou forte". Car ces catégories intègrent la protection des deux types d'UV existants (UVA et UVB), alors que le facteur de protection solaire (FPS) ne renseigne que sur la protection contre les UVB, et le logo "UVA" sur cet UV seul.

De plus, il est important de rappeler que la crème solaire est à utiliser en complément des règles de base pour se protéger du soleil : limiter la durée d'exposition au soleil, sortir couvert, et rechercher l'ombre (archive), comme expliqué dans cet article de l'AFP. 

"Il faut réussir à rééduquer les gens, et arrêter de leur faire croire qu'une crème solaire c'est un mur de béton, et que s'ils en appliquent, ils seront hyper-protégés. Une crème solaire permet de limiter les dégâts mais ça ne permet pas de les réduire à zéro", tient à souligner Céline Couteau.

En France, 17.922 nouveaux cas de mélanomes cutanés, soit environ 10% du total des cancers de la peau, ont été recensés en 2023 en France métropolitaine, selon l'Institut national du cancer, qui souligne que "le nombre de nouveaux cas de cancers de la peau a plus que triplé entre 1990 et 2023" (archive). 

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