Non, cet hélicoptère ne largue pas des moustiques vecteurs d'un virus mortel aux États-Unis
- Publié le 04 septembre 2024 à 16:16
- Lecture : 9 min
- Par : Natalie WADE, AFP France, AFP Etats-Unis
- Traduction et adaptation : Océane CAILLAT
Copyright AFP 2017-2024. Toute réutilisation commerciale du contenu est sujet à un abonnement. Cliquez ici pour en savoir plus.
"Les villes du Massachusetts se préparent à être fermées pour les prochains mois à cause des moustiques mortels. Voici un rappel, lorsque cet hélicoptère a été filmé en train de relâcher des moustiques. Quelqu'un connaît-il des milliardaires liés aux OGM ? Bill Gates bien sûr.", écrit un internaute dans une publication postée sur X, le 25 août 2024.
Cette publication est accompagnée d'une vidéo de 39 secondes. On y voit un hélicoptère tourner dans le ciel au-dessus d'habitations et derrière lequel apparaît une traînée sombre. Un texte en surimpression indique "Helicopter Dropping Mosquitoes" (en français, "hélicoptère larguant des moustiques").
Un autre utilisateur de la plateforme qui la relaie affirme qu'il s'agit d'un "hélicoptère larguant des moustiques OGM de Bill Gates" dans une publication, postée le 2 septembre 2024 et partagée depuis plus d'un millier de fois.
Cette allégation et cette même vidéo ont été également relayées sur Facebook, mais aussi dans d'autres langues comme en espagnol et en anglais.
Or, si des mesures préventives sont en vigueur actuellement pour lutter contre l'encéphalite équine de l'Est (EEE) dans le Massachusetts, cette affirmation est fausse.
Une maladie rare
Le 16 août 2024, un premier cas d'encéphalite équine de l'Est (EEE) a été recensé dans cet état américain comme l'indique le site du département de la santé publique du Massachusetts indique (archivé ici). "C'est la première fois que nous avons eu une personne infectée par l'EEE dans le Massachusetts depuis 2020", a déclaré Robbie Goldstein, responsable des services de Santé publique du Massachusetts.
Sur le site de l'Etat, une carte a été établie pour recenser les zones à risques d'infection. Au 3 septembre 2024, 4 villes sont toujours en état d'alerte maximale (Oxford, Sutton, Webster, Douglas) et 6 en état d'alerte élevée, qui correspondent aux deux échelons les plus forts.
L'EEE se transmet par la piqûre d'un moustique infecté par le virus. Si la maladie est rare, il n'existe aucun vaccin ou traitement, elle peut toucher des personnes de tout âge. Les enfants de moins de 15 ans et les personnes de plus de 50 ans sont néanmoins considérés comme les populations les plus à risques face à ce virus.
Selon les Centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies, environ 30% des personnes infectées en meurent et de nombreux survivants gardent des problèmes neurologiques persistants (archivé ici). Les symptômes de ce virus sont multiples : fièvre, nausées, diarrhée, convulsions, changements de comportements ou encore somnolence.
C'est pourquoi, dans ce contexte, des mesures préventives ont été adoptées afin de limiter la propagation du virus. De nombreuses villes du Massachusetts ont pris la décision de fermer leurs parcs à la tombée de la nuit jusqu'au lever du jour, comme à Plymouth ou à Oxford (archivés ici et ici). Plusieurs événements publics ont également été reportés.
Autre mesure préventive, des pulvérisations ciblées contre les moustiques ont été organisées comme l'ont rapporté différents médias américains, dont CBS, le quotidien local Boston Herald ou encore la NBC (archivés ici, ici et ici).
Néanmoins, la prétendue vidéo d'une dissémination de moustiques vecteurs de ce virus depuis un hélicoptère n'a rien à voir. En effet, les images relayées n'ont pas été tournées dans le Massachusetts et datent de 2023.
Une vidéo tournée en Floride
Réaliser une recherche d'image inversée à partir de captures d'écran effectuées sur la vidéo grâce à l'outil Invid -WeVerify permet de savoir si ces images ont déjà été diffusées auparavant sur internet.
Les résultats pour la vidéo devenue virale montrent que les images de cet hélicoptère avaient commencé à circuler à partir du 27 août 2023 (archivé ici).
La publication originale n'évoque aucunement les moustiques, mais indique "Miami #QueEstaTirando?" (en français qu'est ce qu'il jette ? ).
La comparaison entre la vidéo retrouvée sur TikTok et celle relayée actuellement sur les réseaux montre qu'il s'agit bien des mêmes images.
En légende de la publication TikTok, plusieurs hashtags évoquent aussi la ville de Miami située en Floride. L'un d'entre eux mentionne le quartier de West Little River.
Un indice très précieux puisqu'une recherche centrée sur West Little River dans Google Street View nous a permis de retrouver plusieurs éléments aperçus dans la vidéo grâce à des techniques de géolocalisation..
Ces éléments nous ont ainsi permis de retrouver l'endroit exact où a été tournée la vidéo.
La vidéo actuellement relayée n'a donc absolument pas été tournée dans le Massachusetts comme le sous-entendent les internautes mais à des milliers de kilomètres, en Floride.
De plus, le 29 août 2024, un autre utilisateur a partagé sur YouTube une vidéo similaire (archivé ici). Elle est intitulée "Helicopter burning blue smoke" (en français, hélicoptère brûlant de la fumée bleue) et est accompagnée du hashtag #MiamiDade (le comté où est situé la ville de Miami).
De futurs parents louent parfois un hélicoptère pour révéler le genre de leur bébé en propageant une fumée soit bleue ou rose dans le ciel.
Quant à la théorie d'un largage de moustiques modifiés, elle est infondée. Contacté par l'AFP, le 27 août 2024, l'entomologiste et professeur à l'université du Kentucky Jonathan Larson a expliqué que ces opérations de dissémination -qui existent (voir plus bas- s'effectuent à partir de boîtes posées au sol et non d'un hélicoptère en plein vol (archivé ici).
"Les moustiques ne sont pas les insectes les plus robustes ni les plus gros. Il est probable qu'ils deviennent inutilisables s'ils étaient lâchés d'un hélicoptère comme celui-ci", a-t-il précisé.
Un constat que partage Phil Lounibos, professeur émérite au laboratoire d'entomologie médicale de l'université de Floride (archivé ici) qui qualifie ces publications de "campagne de peur absurde". Selon lui, un hélicoptère serait "beaucoup trop haut pour libérer des moustiques qui doivent survivre à la chute".
Aucun lien avec le virus
Les projets de moustiques génétiquement modifiés font souvent l'objet de fausses allégations liées au milliardaire Bill Gates. Sa fondation a certes financé des projets de développement et de lâcher de moustiques Aedes aegypti génétiquement modifiés notamment pour lutter contre la dengue et d'autres maladies dans diverses régions du monde.
Toutefois, la fondation ne finance aucun projet de dissémination de moustiques aux Etats-Unis, comme cela a déjà a été rapporté par l'AFP.
Seule la société de biotechnologies Oxitec a été autorisée par l'Agence de protection de l'environnement des Etats-Unis à lâcher des moustiques génétiquement modifiés aux Etats-Unis (archivé ici).
L'objectif du travail d'Oxitec est de réduire les maladies a rappelé Hannah Tiffin, entomologiste médicale et vétérinaire à l'université du Kentucky (archivé ici).
"Ils sont souvent modifiés de telle sorte qu'après l'accouplement des moustiques femelles avec les moustiques mâles modifiés, les femelles ou leur progéniture ont une capacité réduite à transmettre le virus et leur progéniture devient stérile et ne peut pas se reproduire", a-t-elle indiqué dans un mail adressé à l'AFP, le 27 août 2024.
Or, comme seuls les moustiques femelles piquent, cela réduit le nombre de vecteurs potentiels de maladies (archivé ici). Les allégations selon lesquelles les moustiques génétiquement modifiés sont utilisés pour propager l'EEE n'ont "aucun fondement scientifique", a-t-elle ajouté.
De son côté, un porte-parole du département de la Santé du Massachusetts, a confirmé à l'AFP que "le Massachusetts n'est impliqué dans aucun des projets d'Oxitec, et nous avons eu connaissance d'aucun lâcher de moustiques", le 27 août 2024.
Le professeur Phil Lounibos de l'université de Floride rappelle également que l'EEE est endémique aux Etats-Unis et connaît des "foyers périodiques".
En effet, les données des Centres américains de contrôle et de prévention des maladies soulignent l'existence de différents épisodes de propagation du virus sur les deux dernières décennies (archivé ici). L'année record est 2019 avec le signalement de 38 cas.
De plus, Aedes aegypti et Aedes albopictus -- les deux seules espèces connues pour avoir été génétiquement modifiées -- ne peuvent pas transmettre l'EEE, comme l'a expliqué à l'AFP Nathan Burkett-Cadena, professeur associé au laboratoire d'entomologie médicale de l'université de Floride (archivé ici).
"Ces espèces ne se trouvent pas dans le Massachusetts, le Maine ou le New Hampshire" a-t-il précisé à l'AFP dans un mail datant du 28 août 2024.
Les activités de Bill Gates font souvent l'objet d'allégations fausses ou trompeuses au sujet de la santé. L'AFP en a déjà réfuté plusieurs comme ici ou ici.