Bill Gates prononce un discours lors de la conférence du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, le 10 octobre 2019, à Lyon ( AFP / Ludovic MARIN)

Bill Gates n'a pas appelé à dépeupler le monde "par la vaccination forcée"

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 20 septembre 2021 à 16:00
  • Lecture : 6 min
  • Par : AFP Roumanie, AFP Belgique
La Une d'un journal sur laquelle est écrit "Dépopulation par la vaccination forcée : la solution zéro carbone" accompagnée d'une photo de Bill Gates a été partagée plusieurs centaines de fois sur Facebook. Le journal, depuis disparu, s'appuyait dans ce numéro daté de 2011 sur une citation du fondateur de Microsoft lors d'une conférence. Ses propos ont été détournés: Bill Gates n'a pas dit qu'il voulait dépeupler la planète avec les vaccins, mais défendait la vaccination pour réduire la croissance démographique.

La photo montre une femme souriante, brandissant un journal appelé "Sovereign Independent". Sur la Une, une photo de Bill Gates et ce titre en gras: "Dépopulation par la vaccination forcée : la solution zéro carbone". Sous la photo, un texte affirme que "cette dame garde cet article depuis 2011".

C'est une image "qui fait réfléchir en sachant que la Fondation Bill et Melinda Gates investit dans tous les vaccins et qu’ils financement en 2eme position après les USA l’Organisation Mondiale de la Santé basé à Genève à hauteur de 24% avec l’Alliance Gavi", assure l'internaute qui partage cette publication trompeuse, relayée plus de 300 fois sur Facebook depuis le 15 septembre.

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Capture d'écran réalisée le 20/09/2021 sur Facebook

Devenue virale dans plusieurs langues, cette Une de journal a été retweetée plusieurs milliers de fois en anglais sur Twitter et a été vérifiée par l'AFP en anglais, en néerlandais et en grec.

La citation de Bill Gates sur laquelle s'appuie ce journal pour affirmer à tort que le philanthrope veut "dépeupler" le monde "par la vaccination forcée" est sortie de son contexte et mal interprétée. En 2010, lors d'une conférence, Bill Gates a en effet évoqué la vaccination, mais comme un moyen de réduire la croissance démographique et non pour éliminer une partie de la population.

De nombreuses informations trompeuses ou erronées circulent autour des vaccins: l'AFP a vérifié plusieurs de ces affirmations ici ou encore ici. Philanthrope milliardaire, à la tête de la Fondation Gates qui investit massivement dans les vaccins et est très engagée dans la lutte contre le Covid-19, Bill Gates est la cible régulière de fausses informations.

Qu'a dit Bill Gates ?

En cherchant le nom du journal, Sovereign Independent, ainsi que le titre de l'article sur Google, on retrouve la version archivée du journal visible sur cette photo, daté de juin 2011. On peut alors lire plus clairement la citation de Bill Gates imprimée à côté du titre et de sa photo: "Le monde compte aujourd'hui 6,8 milliards d'habitants. On devrait atteindre environ 9 milliards. Si nous faisons un très bon travail sur les nouveaux vaccins, la santé, la santé reproductive, on pourrait réduire cela de peut-être, 10 ou 15 %".

Dans les pages suivantes, on trouve notamment des articles écrits par l'ostéopathe anti-vaccination Sherri Tenpenny (page 11) et des théories complotistes autour des attentats du 11 septembre 2001. La page 10 est consacrée à Bill et Melinda Gates et développe le sujet de la Une, assurant que le couple (désormais divorcé) cherche à réduire la population mondiale. Dans l'encadré, l'auteur de l'article écrit: "Sur scène à la conférence TED de 2010, M. Bill Gates, chef de Microsoft, la plus grande entreprise informatique de la planète. Qu'est-ce que Bill Gates a à voir avec les vaccins, vous demandez-vous ? Voyez la citation sur la première page. Ce sont ses mots EXACTS. Commencez-vous à comprendre ?"

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Capture d'écran de la couverture du Sovereign Independent de juin 2011

L'auteur fait référence à la conférence TED donnée par Bill Gates en février 2010, consacrée à la réduction des émissions de carbone et dont la transcription est disponible ici en français et en anglais. La citation reprise par le Sovereign Independent se trouve à 4'31. Bill Gates explique que la quantité d'émissions de CO2 dépend de quatre facteurs: "le nombre de personnes, les services que chaque personne utilise en moyenne, l'énergie, en moyenne, pour chaque service, et le CO2 émis par unité d'énergie".

Afin de réduire les émissions de CO2, il faut s'attaquer à chacun de ces facteurs, explique Bill Gates. "Premièrement, nous avons la population", poursuit-il, "le monde compte aujourd’hui 6,8 milliards de personnes. On devrait atteindre 9 milliards. Si nous faisons un très bon travail sur les nouveaux vaccins, la santé et la santé reproductive, on pourrait réduire cela de peut-être, 10 ou 15 %, mais on gardera un taux de croissance [démographique] d’environ 1,3".

Cette phrase a été interprétée comme une velléité de dépeupler la planète. En réalité, Bill Gates ne propose pas de réduire la population de 10 ou 15%, mais de réduire la croissance démographique. Il évoque d'ailleurs en fin de phrase une hausse de la population. S'il évoque les vaccins, c'est parce qu'il défend l'idée que la vaccination peut réduire la mortalité infantile et pousser les familles à avoir moins d'enfants, comme il l'a expliqué en février 2011 dans sa lettre annuelle.

Une source peu fiable

Bien que le site du Sovereign Independent ait disparu, une version archivée de la présentation du journal est disponible sur Internet. Fondé en 2009 en Irlande, il se targue de "disséminer l'information que les médias mainstream évitent ou refusent d'imprimer". La société qui exploitait le journal, The Sovereign Independent News Limited, a été dissoute en 2013.

Contribution de Bill Gates à l'OMS

En légende de la publication, l'internaute explique que l'OMS est financée "à hauteur de 24%" par la Fondation Bill et Melinda Gates et l'Alliance Gavi - une organisation internationale dont la Fondation Gates est l'un des principaux donateurs.

L’Organisation Mondiale de la Santé est financée par un budget voté tous les deux ans par les membres de son Assemblée. Ce budget comprend les contributions fixées et obligatoires des États membres, calculées par rapport à la fortune et à la population du pays, ainsi que des contributions volontaires - en espèce ou en nature.

Les contributions volontaires peuvent être versées par les Etats membres, en plus de leurs contributions fixées, ou par d'autres partenaire, comme la Fondation Gates.

Or, si la Fondation Gates est bien l'un des plus gros contributeurs au budget de l'OMS, le chiffre de 24% est exagéré.

Depuis 2016, l'OMS adhère à l'initiative internationale pour la transparence de l'aide (IATI), qui vise à améliorer la transparence des ressources allouées au développement et à l'action humanitaire. Les contributions des donateurs de l'OMS sont donc publiques et disponibles sur cette page.

Pour les consulter, il faut télécharger le tableau de données. Au moment de la publication de cet article, ce tableau comprend toutes les contributions reçues par l'OMS pour la période 2020-2021 jusqu'au deuxième trimestre de l'année (juin 2021).

L'AFP a consulté ces chiffres avec l'aide de Rafael Rovaletti, du bureau de la planification et du budget de l'OMS. En faisant plusieurs manipulations sur le tableau, on parvient à classer les donateurs: les contributions fixées des Etats membres constituent la première source de financement de l'OMS, à hauteur de 12,04%. Viennent ensuite les contributions volontaires.

L'Allemagne est en deuxième place, puisqu'elle finance l'OMS à hauteur de 11,36% en plus de ses contributions fixées, puis en troisième place on trouve la Fondation Gates, avec une participation de 8,59% au budget de l'organisation. Quant à l'Alliance Gavi, sur cette période, elle finance l'OMS à hauteur de 5,36%, à la sixième place.

L'Alliance Gavi et la Fondation Gates ont donc, entre janvier 2020 et juin 2021, contribué ensemble à 13,95% du budget de l'OMS, et non 24%.

Quant aux Etats-Unis, qui avaient entamé un retrait de l'OMS sous la présidence de Donald Trump avant d'annuler cette procédure avec l'élection de Joe Biden, ils figurent en 5ème place des contributeurs de l'OMS à ce stade de l'année, avec une part de 5.85% dans le budget (hors contributions fixées).

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