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Vaccination anti-Covid et mortalité : attention à cette étude japonaise limitée et mal interprétée

Malgré son efficacité contre les formes sévères du Covid-19, la vaccination est régulièrement remise en cause. En décembre, des internautes se sont emparés d'une étude japonaise pour assurer que "70%" des personnes décédées après avoir reçu le vaccin anti-Covid de Pfizer l'ont été "dans les 10 premiers jours" suivant l'injection. Mais il s'agit là d'interprétations trompeuses des résultats d'une étude elle-même critiquée pour ses nombreuses failles ont expliqué à l'AFP plusieurs scientifiques. Ils soulignent en outre que les études menées sur la sécurité des vaccins n'ont révélé aucune augmentation du risque de décès.

"Une très vaste étude japonaise montre l'impensable : Plus de 70% des personnes décédées après avoir été vaccinées avec le vaccin COVID-19 de Pfizer au Japon ont perdu la vie dans les 10 premiers jours suivant la vaccination", écrit sur X et Telegram Silvano Trotta, dont les allégations sur la vaccination ont déjà été vérifiées à plusieurs reprises par l'AFP.

Son message, partagé le 15 décembre, a été relayé plus d'un millier de fois. On le retrouve également sur Facebook, partagé par plusieurs dizaines d'internautes comme ici et ici.

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Captures d'écran réalisées le 03 janvier 2024 sur X et Telegram

Ce même type d'affirmation circule en anglais, espagnol, coréen, et japonais.

Mais il s'agit ici d'interprétation trompeuse d'une étude japonaise elle-même sujette à caution.

Données non exhaustives

Les publications virales se réfèrent à une étude publiée le 7 décembre 2023 par Cureus, une revue médicale en libre accès, et intitulée "Analyse de l'association entre la vaccination à ARNm BNT162b2 contre le Covid-19 et les décès survenus dans les 10 jours suivant la vaccination en utilisant le sexe-ratio au Japon".

On la retrouve également sur la plateforme américaine PubMed. Il est indiqué que cette étude, rédigée par le chercheur japonais Yasusi Suzumura, a été relue par les pairs, c'est-à-dire par d'autres scientifiques.

Cette étude s'appuie sur des données liées aux décès survenus dans les 10 jours suivant l'injection d'une dose de vaccin anti-Covid de Pfizer, une période présentée comme "à risque". Après analyse, son auteur conclut qu'il y a une concentration des décès sur cette période de 10 jours, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Pour Yasusi Suzumura, cela ne remet cependant pas en cause les résultats d'une précédente étude réalisée au Japon, qui concluait en l'absence de surmortalité significative attribuable à la vaccination.

Selon les données officielles japonaises, 80,7% de la population a reçu au moins une dose de vaccin contre le Covid-19, soit plus de 104 millions de Japonais, et deux tiers ont reçu au moins trois injections (lien archivé ici).

Sur les réseaux sociaux, certains internautes ont présenté de façon trompeuse les conclusions de cette étude, rapporte Takahiro Kinoshita, médecin et ancien membre de Cov-Navi, un projet japonais de lutte contre la désinformation liée aux vaccins qui a mis fin à ses activités en novembre 2023 (lien archivés ici et ici).

Takahiro Kinoshita explique que les données sur les décès utilisées dans l'étude ne pouvaient pas être considérées comme une source suffisamment exhaustive, car le Japon dispose d'un système de déclaration des décès dans lequel les cliniciens sont tenus de signaler les événements indésirables dès lors qu'ils soupçonnent un lien avec la vaccination.

Interrogé par l'AFP le 21 décembre 2023, le médecin assure que "les cliniciens sont plus susceptibles de signaler les morts subites survenant peu après la vaccination, dans les 10 premiers jours." 

Selon lui, la revue Cureus, où est partagée l'étude de Yasusi Suzumura, n'est pas considérée comme une "source à fort impact", suggérant que le poids de cette nouvelle analyse est donc "négligeable".

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Un habitant reçoit une injection de rappel du vaccin Moderna contre le coronavirus Covid-19 dans un centre de vaccination de masse géré par les Forces japonaises d'autodéfense à Tokyo, le 31 janvier 2022.Eugene Hoshiko / POOL / AFP (POOL / EUGENE HOSHIKO)

Aucune augmentation de la mortalité après la vaccination

Par ailleurs, plusieurs experts en maladies infectieuses ont expliqué à l'AFP que l'étude présentait plusieurs défauts de taille.

Par exemple, l'étude porte sur toutes les causes de décès, et non uniquement sur les morts liées à la vaccination, pointe auprès de l'AFP Raina MacIntyre, épidémiologiste et professeure à l'institut Kirby de l'Université de Nouvelle-Galles du Sud en Australie (lien archivé ici).

"La plupart des morts [dans l'étude] sont liées à des maladies cardiovasculaires, qui est la cause majeure de décès et maladies dans le monde et apparaît plus souvent chez les hommes que les femmes, particulièrement avant 65 ans", explique Raina Macintyre.

La professeure relève aussi que l'étude s'appuie sur des données datant de début 2021, soit à une période où les personnes vaccinées en priorité étaient âgées ou atteintes d'affections chroniques, les rendant plus vulnérables et plus à risque de décès, quel que soit leur statut vaccinal. 

Chunhuei Chi, professeur et directeur du Centre pour la santé mondiale de l'Université de l'État de l'Oregon aux États-Unis, Interrogé par l'AFP le 21 décembre, a estimé que l'étude omet d'utiliser une donnée essentielle : le nombre total de Japonais qui ont reçu le vaccin anti-Covid développé par Pfizer, ce qui rend l'étude d'autant plus facile à dénaturer (lien archivé ici).

L'expert rappelle que "l'auteur a reconnu plusieurs limites [dans son analyse], notamment le fait de ne pas prendre en compte les effets de la vaccination après 11 jours, et le biais lié au sexe dans la déclaration des décès, ce qui limite l'importance des preuves et de la conclusion" de cette étude.

"Le pourcentage de décès signalés pendant la période à risque était de 71 % dans le groupe 1 et de 70 % dans le groupe 2, ce qui indique que le taux de mortalité pendant la période à risque [soit les 10 premiers jours] a pu être plus élevé que pendant la période de contrôle. Cependant, il n'est pas approprié de conclure qu'il existe une association entre la vaccination et les décès après la vaccination. Cela est dû à l'existence d'un biais de déclaration", déclare ainsi dans son étude Yasusi Suzumura.

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Présentation de la technologie des vaccins à ARN messager - John SAEKI, Laurence CHU / AFP

William Schaffner, professeur de médecine préventive à l'université américaine de Vanderbilt, a souligné auprès de l'AFP le 21 décembre que l'étude présente une "faille majeure" puisqu'elle ne comporte pas de groupe de contrôle (lien archivé ici). "Une étude rigoureuse aurait comparé la population vaccinée à une population non vaccinée comparable en termes d'âge et de sexe, avec une répartition similaire des maladies chroniques sous-jacentes."

Selon Siddharth Sridhar, professeur adjoint de clinique au département de microbiologie de l'université de Hong Kong, ce biais méthodologique est typique de la plupart des études faisant état d'une mortalité plus élevée après les vaccins (lien archivé ici).

"Les études de cohortes de meilleure qualité ne révèlent invariablement aucune augmentation de la mortalité toutes causes confondues après la vaccination", rappelle-t-il auprès de l'AFP.

Takahiro Kinoshita et Raina MacIntyre soulignent que des centaines d'études menées dans le monde entier et portant sur la sécurité des vaccins n'ont révélé aucune augmentation du risque de décès toutes causes confondues. 

L'Organisation mondiale de la santé affirme que les vaccins Covid-19 sont sûrs et efficaces, et estime qu'en 2021 seulement, les vaccins ont permis de sauver 14,4 millions de vies dans le monde (lien archivé ici).

Interrogé le 3 octobre 2023 par l'AFP, le Pr Jeffrey Cirillo (lien archivé ici) martèle : "Clairement, la vaccination sauve des vies", mettant en avant que "le taux de mortalité des personnes vaccinées a été et continue d'être inférieur à 0,1 %, ce qui est bien mieux que celui de la population non vaccinée qui affiche un taux de mortalité d'environ 3 % dû à l'infection au SARS-CoV-2".

En délivrant une autorisation aux vaccins contre le Covid-19 (lien archivé ici), l'Agence européenne des médicaments (AEM) a estimé que la balance "bénéfice-risque" de ces vaccins était respectée, c'est-à-dire que la protection offerte globalement contre le Covid-19 était beaucoup plus importante que les potentiels effets secondaires ou risques induits par le vaccin, comme l'explique l'agence sur son site.

L'AFP a démenti des centaines d'autres affirmations fausses et trompeuses sur les vaccins Covid-19 ici.

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