Des militants écologistes peignent des barils de pétrole lors d'une manifestation à Washington DC en octobre 2008

Le "greenwashing" des entreprises pétrolières: le nouveau front de la désinformation climatique

"Limiter le changement climatique", "protéger la biodiversité", "atteindre la neutralité carbone"... : la communication -en particulier via les réseaux sociaux- de nombreuses multinationales du pétrole et du gaz quant à leurs actions en faveur du climat est régulièrement trompeuse, pointent depuis des années scientifiques et ONG, qui les accusent de "greenwashing". Selon eux, cet "écoblanchiment" (qui consiste à tenir un discours "vert" tout en continuant à promouvoir les énergies fossiles) est devenu un nouveau front de la désinformation et contribue à ralentir la lutte contre le réchauffement climatique.

Régulièrement utilisé par les ONG à l'encontre d'entreprises ou de gouvernements, le mot "greenwashing" désigne selon le dictionnaire Larousse "une utilisation fallacieuse d’arguments faisant état de bonnes pratiques environnementales dans des opérations de marketing ou de communication", parce que lesdits arguments sont faux ou, plus fréquemment, parce qu'ils sont en décalage avec un discours et surtout des actions qui vont à l'encontre de cette communication "verte", au point d'en devenir trompeurs.

En résumé, leurs détracteurs estiment que ces messages ont pour effet de dissimuler l'essentiel de l'activité des entreprises polluantes alors que l'impact des énergies fossiles sur le réchauffement climatique est parfaitement connu et documenté.

Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) de l'ONU explique que les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites à "zéro net" d'ici à 2050 pour respecter l'objectif de 1,5 °C de réchauffement, seuil permettant théoriquement d'échapper aux conséquences environnementales les plus dramatiques.

L'Agence internationale de l'énergie (AIE) a pour sa part publié en 2021 une feuille de route sur la manière de réaliser la transition vers des sources d'énergie non fossiles pour atteindre cet objectif. "Il s'agit notamment, à partir d'aujourd'hui, de n'investir dans aucun nouveau projet d'approvisionnement en combustibles fossiles", précise-t-elle.

Malgré cela, les grandes banques - dont beaucoup ont elles-mêmes signé des engagements "net zéro" - ont déversé des centaines de milliards de dollars dans des entreprises qui développent l'extraction de pétrole et de gaz, selon une analyse de l'organisation spécialisée dans la surveillance des investissements éthiques ShareAction.

"Zero émissions nettes"

De nombreuses entreprises se sont engagées à atteindre ce niveau de "zéro émission nette", nécessaire pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C, conformément à l'accord de Paris de 2016 sur le climat mais dans le même temps, elles encouragent les combustibles fossiles, comme le soulignent des chercheurs, et se lancent même dans de nouveaux projets de forage.

Ce que pointent en particulier les militants pro-climat et de nombreux experts spécialisés, c'est le décalage entre un discours "vert" et des actions qui ne suivent pas, ou vont même dans le sens inverse.

Interrogés par l'AFP, ExxonMobil et Chevron se défendent en soulignant que les scénarios prévus par l'accord de Paris et l'AIE supposent que les combustibles fossiles devront jouer un rôle dans la transition, aux côtés des nouvelles sources d'énergie renouvelables.

On peut voir ci-dessous deux exemples de communication contradictoire du britannique BP sur Facebook. A gauche, "les entreprises qui se verdissent permettent d'atteindre plus vite les objectifs de l'accord de Paris, grâce à leur taille et leurs ressources". A droite, une publicité (Afrique du Sud) explique que faire le plein chez BP permet de participer à un concours pour gagner une grosse somme.

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Capture d’écran réalisée le 2 mai 2022 d’une publication Facebook du 6 janvier de BP ( Roland LLOYD PARRY)
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Capture d’écran réalisée le 2 mai 2022 d’une publicité de BP sur Facebook en avril 2022 ( Facebook Ad Library / )

 

 

Dans un post sur sa Page Facebook de février 2022, le français TotalEnergies dit "participer à la décarbonation du transport routier". Parallèlement, dans une publicité au même moment, elle proposait à ses clients de gagner "un an de carburant".

Contacté pour cet article, TotalEnergies a renvoyé à un discours de son PDG Patrick Pouyanné lors de l'assemblée générale annuelle des actionnaires en mai 2022, dans lequel il a détaillé le plan de l'entreprise pour des émissions nettes nulles d'ici 2050.

"Cette vision n'est pas une illusion ou du 'greenwashing' : elle est ancrée dans des objectifs quantifiables de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre", y avait-il assuré.

BP n'a pas répondu aux demandes de commentaires envoyées par l'AFP.

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Capture d’écran réalisée le 18 mai 2022 d’une publication Facebook du 12 février 2022 de TotalEnergies
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Capture d’écran réalisée le 18 mai 2022 d’une publicité de TotalEnergies sur Facebook en février 2022 ( Facebook Ad Library / )

 

 

Des pingouins et du pétrole

Même s'il n'est pas surprenant que les entreprises de combustibles fossiles continuent à chercher et exploiter pétrole, gaz ou charbon, on peut parler "d'écoblanchiment" lorsqu'elles poursuivent de tels projets tout en prétendant s'être engagées à atteindre des objectifs de "zéro émission nette", estime auprès de l'AFP la chercheuse et militante américaine Genevieve Guenther.

La clé pour identifier le "greenwashing", confirme-t-elle, c'est de mesurer l'écart entre les actions dont les entreprises se vantent et les normes qui, selon les scientifiques, sont nécessaires pour réduire réellement les émissions.

Greenpeace pointe pour sa part "les affirmations audacieuses, l'imagerie inspirée de la nature ou les mots 'verts' à la mode" et "les gestes symboliques... promouvant une caractéristique 'verte' tout en ignorant d'autres questions environnementales plus importantes".

Le Forum économique mondial de Davos lui-même met d'ailleurs en garde contre "les affirmations qui attirent l'attention sur des problèmes mineurs sans qu'aucune action significative ne les accompagne".

L'observatoire numérique Eco-Bot.net (qui a pour but de "dévoiler la désinformation autour du changement climatique et le 'greenwashing' des entreprises sur les réseaux sociaux pendant la COP26" de Glasgow fin 2021) pointe quant à lui la communication qui "révèle de manière sélective les références de l'entreprise ou présente des actions symboliques pour construire une image de marque sympathique".

L'organisation a ainsi repéré des publicités et des messages sur les réseaux sociaux sur la protection des vers à soie (société mexicaine Cemex), des grenouilles (société gazière TransCanada), des opossums (Eletronuclear, filiale de la société brésilienne Eletrobras), des forêts (diverses sociétés, dont la pétrolière espagnole Repsol et la malaisienne Petronas) et un message du géant américain ExxonMobil sur le recyclage des cordages de pêche en Patagonie.

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Capture d’écran réalisée le 8 avril 2022 d’une publication Facebook du 28 juillet 2021 de l’entreprise brésilienne Petrobras ( AFP / )

Dans ces captures d'écran, la société pétrolière brésilienne Petrobras (ci-dessus) parle d'aider les pingouins en difficulté, tandis que (ci-dessous) le géant gazier russe Gazprom travaille avec des morses et que la société d'État chinoise Sinopec affirme que les aigrettes prospèrent près de l'une de ses raffineries, "grâce à une excellente épuration des eaux usées".

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Capture d’écran réalisée le 8 avril 2022 d’une publication Facebook du 5 août 2021 de l’entreprise russe Gazprom ( AFP / )
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Capture d’écran réalisée le 8 avril 2022 d’une publication Facebook du 27 juillet 2021 de l’entreprise chinoise Sinopec ( AFP / )

 

 

Zone gris-vert

Ce genre de messages échappe le plus souvent au travail de vérification journalistique (le "fact-checking") traditionnel, notent plusieurs spécialistes interrogés par l'AFP.

"L'écoblanchiment est une forme beaucoup plus complexe d'infox" que le simple fait de vérifier si quelque chose est "vrai" ou "faux", relève Melissa Aronczyk, professeure associée de communication à l'université Rutgers du New Jersey, qui a coécrit plusieurs études sur le sujet.

"Il est vrai que la désinformation consistant simplement à nier l’existence du changement climatique d’origine humaine ne semble plus aussi visible aujourd’hui que par le passé. Les nouvelles formes de désinformation qui ont pour but de ralentir l'adoption de mesures contre le changement climatique concernent de plus en plus les solutions (comme les attaques contre les énergies renouvelables)", estime aussi auprès de l'AFP Emmanuel Vincent, fondateur du site de vérification spécialisée dans les questions de climat Climate Feedback.

Le "greenwashing" est une "zone grise" avec des messages commerciaux, qui "n’entre(nt) pas directement dans les activités de vérification des 'factcheckers", relève-t-il.

Pour Mme Guenther, les grandes entreprises de combustibles fossiles sont assez habiles pour ne pas se faire prendre en flagrant délit de mensonge. "Elles ont fait de l'équivoque une science", lance-t-elle.

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Des militants écologistes lors d’un rassemblement en France en août 2021 ( AFP / Alain Jocard)

La nature même des allégations de "blanchiment écologique" les rend "difficiles à repérer", dit encore Mme Aronczyk.

"Il est difficile de mesurer le résultat de certains types d'engagements environnementaux, surtout s'ils sont à long terme", ajoute l'experte, soulignant que certaines affirmations sont si vagues qu'elles en deviennent difficiles à contrer.

"Si une entreprise dit qu'elle 'progresse vers le net zero ou qu'elle 'lutte contre le changement climatique' avec des voitures électriques [...], comment une personne pourrait-elle enquêter ou contrer cela ?", interroge-t-elle.

Pour les défenseurs de l'environnement, c'est ainsi devenu le véritable front de la désinformation liée au climat.

Impact et retard

Selon les militants pro-climat, la promotion de slogans environnementaux rassurants (vantant par exemple les nombreuses initiatives que les entreprises annoncent pour protéger la faune et les communautés locales) et de plans d'action parfois d'une utilité limitée sape le travail qui doit être accompli pour limiter le changement climatique.

"Ce 'blanchiment écologique' est fondamentalement une tactique visant à retarder la réglementation gouvernementale. Il a également le potentiel d'induire le public en erreur, en le convainquant que des mesures sont déjà prises en faveur du climat alors que 'Big Oil' (les grandes compagnies pétrolières, NDLR) continue de faire pression en coulisses pour de nouvelles exploitations pétrolières et gazières", estime Faye Holder, directrice de programme chez InfluenceMap.

Ce think tank est spécialisé dans l'analyse des actions des entreprises par rapport aux objectifs climatiques. Il a analysé des milliers de documents pour évaluer les messages publics des entreprises énergétiques sur les réseaux sociaux et les comparer à leurs actions.

"Nous avons vu comment les grandes compagnies pétrolières utilisent différentes stratégies de messages publics pour tenter d'apaiser les inquiétudes concernant leurs liens avec le changement climatique, en laissant entendre qu'elles partagent l'objectif d'un avenir 'net zéro'", explique Faye Holder.

Dans une étude publiée en février par la revue scientifique PLOS One, des scientifiques ont eux aussi analysé l'écart entre les paroles et les actes sur le changement climatique de quatre multinationales de l'énergie : BP, Shell, ExxonMobil et Chevron.

Bien qu'elles évoquent de plus en plus de stratégies vertes, "celles-ci sont dominées par des promesses plutôt que par des actions concrètes", conclut l'étude, dont l'auteure principale est Mei Li de l'université Tohoku au Japon.

"Tant que les actions et les comportements d'investissement ne seront pas alignés sur le discours, les accusations de greenwashing semblent fondées", ajoutent les auteurs.

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Capture d’écran réalisée le 2 mai 2022 d’une publication Facebook du 18 janvier 2022 de l’entreprise américaine ExxonMobil ( AFP / )
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Capture d’écran réalisée le 2 mai 2022 d’une publicité sur Facebook de l’entreprise américaine ExxonMobil en février 2022 ( Facebook Ad Library / )

 

 

En ce qui concerne les grandes entreprises énergétiques, "certaines actions contredisent les promesses", ont écrit les scientifiques dans l'étude PLOS One "Cela concerne notamment les intentions de freiner la production de combustibles fossiles ainsi que de réduire l'exploration et les nouveaux développements."

Contactées par l'AFP, ces entreprises ont détaillé leurs efforts en matière de climat : énergies alternatives (éoliennes, solaire...) , capture et stockage du carbone (selon l'AIE et le Giec, la capture du carbone a un rôle important à jouer, mais les capacités actuelles ne sont pas suffisantes pour atteindre les objectifs climatiques).

ExxonMobil et Chevron mettent en avant leurs mesures en faveur du climat dans plusieurs rapports. Shell a mis en avant son objectif de zéro émission nette et ses politiques de transition. La société a déclaré que la publicité était importante pour informer les clients des solutions à faible émission de carbone.

BP n'a pas répondu à nos sollicitations. On peut lire ici sa stratégie climatique détaillée.

De fait, les stratégies de certaines entreprises ont bel et bien évolué en faveur des énergies faibles en carbone ces dernières années. Shell affirme que sa production de pétrole a atteint son pic en 2019. BP dit avoir investi des milliards dans des sources d'énergie à faible teneur en carbone.

Des entreprises telles que TotalEnergies ont transféré une partie de leur production vers le gaz, une énergie critiquée par les militants pro-climat mais proposée comme un moyen d'assurer la transition vers l'abandon des combustibles fossiles puisqu'elle émet moins de gaz à effet de serre que le charbon ou le pétrole.

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Un conducteur fait le plein dans une station-service TotalEnergies en Corse en février 2022 ( AFP / Pascal POCHARD-CASABIANCA)

Les mesures prises par TotalEnergies pour réduire la production de pétrole et de gaz ont contribué à faire de l'entreprise l'une des rares à être classée comme conforme aux objectifs de Paris par des observateurs tels que Transition Pathway Initiative, organisation à destination des investisseurs qui mesure les efforts des entreprises en matière d'émissions carbone (mais ses calculs sont contestés par certaines ONG).

Le 'Greenwashing' devant la justice

Ce qui n'empêche pas l'entreprise française d'être assignée en justice depuis mars 2022 pour "pratiques commerciales trompeuses" par des ONG. Ces dernières l'accusent d'avoir trompé les consommateurs dans la façon de présenter ses produits via une campagne d'affichage dans les médias, internet et les réseaux sociaux en 2021. Elles mettent en cause en particulier son ambition affichée de neutralité carbone d'ici à 2050 et la présentation du gaz comme l'énergie fossile "la plus propre".

"TotalEnergies met sa stratégie en œuvre de manière concrète (investissements, nouveaux métiers, baisse significative des émissions de gaz à effet de serre…) et est en ligne avec les objectifs que la compagnie s'est fixée pour atteindre la neutralité carbone en 2050", a répondu une porte-parole du groupe pétrolier. "Il est donc faux de prétendre que notre stratégie serait du +greenwashing+", a-t-elle dit à l'AFP.

Aux États-Unis, la ville de New York a entamé en 2021 une action en justice similaire contre ExxonMobil, Shell, BP et l'American Petroleum Institute (API), puissant lobby du secteur, accusés de "systématiquement et intentionnellement tromper les New-Yorkais" notamment via de la publicité mensongère.

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Des militants du climat manifestent à New York en 2019 alors qu'ExxonMobil est jugé pour avoir trompé les investisseurs sur l'impact financier du changement climatique ( AFP / Angela Weiss)

La France a publié en avril 2022 un décret pour encadrer les affirmations de "neutralité carbone". Il sera interdit à compter de 2023 de vanter un produit comme "neutre en carbone" dans la publicité sans expliciter son bilan carbone et les mesures de compensation éventuelles.

Le décret doit permettre "d'assurer la transparence vis-à-vis du public et de prévenir tout risque de +greenwashing+", expliquait le gouvernement lors de sa mise en consultation publique en janvier.

Les réseaux sociaux

Communiquer via les réseaux sociaux permet, à moindre coût, de faire passer des messages à des millions de personnes , souligne Melissa Aronczyk,

"Il est très facile et peu coûteux de produire des publicités et des campagnes pour les réseaux sociaux qui peuvent avoir un effet massif", dit-elle, "comme nous l'a appris l'élection présidentielle américaine de 2016".

Dans une étude publiée en 2021, des sociologues américains ont analysé la manière dont les cabinets de relations publiques font passer les messages des entreprises pétrolières sur le climat via des "campagnes d'information et d'influence" (CII) qui passent largement par internet.

"Toutes les entreprises de relations publiques examinées ont à la fois fait de la pub dans les médias et créé des campagnes sur les réseaux sociaux. Il s'agit d'activités essentielles des CII modernes", estiment les auteurs.

"Le cabinet de relations publiques peut s'engager dans la promotion agressive d'un point de vue donné, amplifié par des 'trolls' et des 'bots'... ainsi que dans la participation rémunérée à des forums de discussion en ligne (...) pour diffuser le récit et attaquer les individus défendant d'autres" approches, poursuivent-ils.

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Une sculpture de glace réalisée par des militants près du Capitole à Washington DC en novembre 2021, accusant Facebook de diffuser de la désinformation sur le climat ( AFP / Olivier DOULIERY)

Les réseaux sociaux sont d'ailleurs régulièrement accusés de laisser ces entreprises pratiquer allègrement le "greenwashing", bien qu'ils s'en défendent.

Quelles émissions ?

Militants et chercheurs relèvent aussi que la communication de ces entreprises entretient fréquemment le flou sur leur bilan carbone, leur permettant parfois de laisser penser qu'elles sont plus vertueuses qu'elles ne le sont réellement.

Les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont classées en 3 catégories : "scope 1", "scope 2" et "scope 3".

Mais une entreprise qui ne comptabilise que les émissions liées à l'exploitation de ses puits de pétrole ("scope 1") ou à l'alimentation de ses bureaux ("scope 2"), mais pas celles des millions de voitures qui consomment le carburant fabriqué à partir de son pétrole et des chauffages domestiques qui consomment son gaz ("scope 3"), passe sous silence la majeure partie de ses émissions.

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En ne communiquant que par rapport aux scopes 1 et 2, elle peut s'exposer à des accusations d'écoblanchiment.

Selon une étude menée par le NewClimate Institute for Climate Policy and Global Sustainability, un groupe de recherche allemand, auprès de 25 grandes entreprises de différents secteurs émettant de fortes quantités de gaz à effet de serre, la plupart d'entre elles ne précisent pas si elles s'attaquaient aux émissions cruciales du "scope 3".

"Huit des 25 entreprises fixent des objectifs de 'net zéro' ou de neutralité carbone qui ne couvrent que leurs émissions opérationnelles directes (scopes 1 et 2), bien que les émissions en amont et en aval dans la chaîne de valeur (scope 3) représentent en moyenne 87 % des émissions de (ces) entreprises", écrit l'institut.

"Ces nuances ne sont pas toujours transparentes et peuvent induire en erreur les consommateurs, les actionnaires, les régulateurs et les observateurs qui pourraient mal interpréter l'intégrité de l'objectif", estime l'organisation.

Lobbying, groupes de pression

Selon les militants, les liens entre ces entreprises et les groupes de pression, les lobbies, pro-énergies fossiles révèlent la nature ambivalente de leur communication publique en matière d'énergie et de changement climatique.

Une analyse d'InfluenceMap a montré que les cinq plus grandes sociétés pétrolières et gazières cotées en Bourse ont dépensé 1 milliard de dollars pour promouvoir des messages "trompeurs" sur le climat par le biais de "l'image de marque et du lobbying" au cours des trois années qui ont suivi l'accord de Paris.

Aux États-Unis, une commission dirigée par les démocrates a passé sur le grill les grandes entreprises pétrolières au sujet de leur lobbying lié au climat, exigeant que leurs patrons viennent témoigner.

"D'un côté, ils agissent comme s'ils se conformaient à ces importants objectifs en matière de changement climatique. D'autre part, ils créent ces groupes (de pression) pour faire passer un message qui va totalement à l'encontre de ces objectifs", a déclaré le député démocrate John Sarbanes lors d'une audition de la commission le 8 février.

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Une capture d’écran réalisée le 8 avril 2022 d’une publicité Facebook de l’Americain Petroleum Institute en août 2020 ( Facebook Ad Library / )

"Une grande partie du lobbying a été faite indirectement, de manière intelligente, habile et cynique, par des groupes commerciaux industriels formés par ces entreprises", a déclaré M. Sarbanes à la commission.

L'un de ces lobbies les plus connus est l'Américain Petroleum Institute (API). Il compte parmi ses membres de nombreux grands groupes pétroliers et gaziers. Alors que les entreprises vantent les mérites de moyens alternatifs telle que la captation du carbone, l'API soutient l'extraction d'hydrocarbures via la pub et des actions de lobbying.

"Des solutions énergétiques abordables et fiables sont fabriquées en Amérique. Découvrez les avantages de la production américaine de gaz naturel et de pétrole", peut-on lire dans une publicité (publication "sponsorisée"), diffusée par l'API sur Facebook en septembre et octobre 2021, avant la COP26, le sommet sur le climat à Glasgow.

"Nous pouvons lutter contre le changement climatique et répondre aux besoins énergétiques essentiels en travaillant ensemble", peut-on lire dans une autre publicité de l'API diffusée en avril-mai 2021.

Dans un reportage diffusé par Channel 4 News en 2021, un lobbyiste ayant travaillé pour ExxonMobil a été filmé en train d'admettre, lors d'une interview avec des militants de Greenpeace se faisant passer pour des chasseurs de têtes, qu'il a effectivement "lutté de façon très active contre certaines données scientifiques", expliquant qu'il s'agissait de "protéger (leurs) investissements".

Cité dans le reportage , ExxonMobil répondait que "Greenpeace et d'autres ont déformé notre position sur la science du climat et notre soutien à des solutions efficaces."

En ce qui concerne le lobbying, la multinationale affirmait "s'engage(r) de manière transparente auprès de diverses associations commerciales, de groupes de réflexion et de coalitions afin de promouvoir un dialogue informé et une politique publique saine dans des domaines pertinents pour les intérêts de la société."

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Rex Tillerson, alors PDG d'ExxonMobil, prend la parole lors d'une conférence sur le gaz à Paris en juin 2015 ( AFP / Eric PIERMONT)

Les sommes dépensées par divers groupes de combustibles fossiles pour le lobbying fédéral aux États-Unis et le lobbying auprès des institutions européennes à Bruxelles sont disponibles et publiques.

Mais ces montants déclarés sont dérisoires par rapport aux sommes globales que les entreprises dépensent en publicité, relations publiques et autres formes d'influence, selon des études réalisées par des chercheurs comme Mme Aronczyk.

Fin mars, les Nations unies ont mis en place un groupe de travail chargé de faire pression sur les entreprises pour qu'elles tiennent leurs promesses de réduction des émissions.

"Certains dirigeants de gouvernements et d'entreprises disent une chose mais en font une autre", a déclaré le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, en lançant le dernier grand rapport de l'institution sur le changement climatique, le 4 avril 2022.

"Pour faire simple, ils mentent. Et les résultats seront catastrophiques."

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